De l’art de jouer sur tous les tableaux

L’armée développe activement sa coopération tant avec les forces de l’Otan qu’avec celles de l’Union européenne. Les objectifs des uns et des autres sont pourtant loin d’être identiques !

Publié le 13 décembre 2004 Lecture : 5 minutes.

Sans doute l’armée algérienne est-elle en quête de respectabilité après avoir été tenue en suspicion, dix ans durant, par la communauté internationale. Les accusations de massacres de populations civiles portées contre ses généraux par les médias français et occidentaux sont encore dans toutes les mémoires… L’embargo, informel mais très efficace, opposé à ses velléités d’achat de matériels militaires, aussi… Sans doute est-elle également obsédée par sa propre modernisation et par la professionnalisation de ses personnels, l’une et l’autre se heurtant à de sérieuses difficultés. Quoi qu’il en soit, elle multiplie actuellement les contacts avec les institutions militaires européennes. Dans un cadre à la fois bilatéral et multilatéral.
Longtemps exclusivement équipée par l’Union soviétique, puis par son héritière, la Fédération de Russie, elle s’est résolue à diversifier ses sources d’approvisionnement en armement. Elle dispose pour cela de beaucoup d’argent (les réserves de change du Trésor public sont actuellement de 42 milliards de dollars), même si son budget doit désormais passer sous les fourches Caudines – parfois fort acérées – de la Commission de défense de l’Assemblée nationale.
Cette frénésie d’armement inquiète, bien sûr, le voisin marocain. Dans un souci d’apaisement, le président Abdelaziz Bouteflika s’est donc efforcé de dissiper tout malentendu : « Le différend entre nos deux pays à propos du Sahara occidental, a-t-il indiqué, ne saurait constituer un casus belli. » Et pour que les choses soient bien claires, le défilé militaire prévu dans le cadre des cérémonies commémoratives du cinquantenaire du déclenchement de la guerre de libération a été annulé. Mais revenons à cette volonté d’ouverture tous azimuts de l’armée algérienne.
Démissionnaire, le 2 août, de son poste de chef d’état-major, le général Mohamed Lamari a, ces dernières années, multiplié les déplacements dans les capitales qui comptent sur le plan géostratégique. Beaucoup plus qu’aucun de ses prédécesseurs depuis l’indépendance ! En moins de deux semaines, le général Gaïd Salah, son successeur, s’est tout à tour rendu à Bruxelles, au siège de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan), puis à Stuttgart, au siège du commandement des forces américaines en Europe, à l’invitation du général James Jones.
Depuis le début de l’année, une trentaine de bâtiments de guerre étrangers ont accosté dans les ports d’Alger et de Mers el-Kébir (non loin d’Oran) et ont participé à des manoeuvres en haute mer avec la flotte algérienne. On peut certes estimer qu’après la chute du mur de Berlin, la dislocation du bloc soviétique et le dépérissement du pacte de Varsovie, le renforcement de la coopération entre l’Algérie et l’Otan constitue une évolution normale. Il n’en intervient pas moins à un moment délicat, tant les rapports entre l’Otan et l’Europe sont actuellement empreints d’ambiguïté.
Il convient de signaler que les navires européens qui ont récemment mouillé dans les ports algériens battaient tous des pavillons différents. Commandant de la façade maritime du centre, le colonel Mustapha Benyahia a successivement accueilli des bâtiments espagnols, italiens, turcs et portugais, puis un détachement de l’Euromarfor (les forces navales de sept pays d’Europe méridionale), puis une frégate française anti-sous-marins (le La Motte-Picquet), et pour finir (4-9 décembre) une petite flotte de l’Otan. Manque de coordination ou concurrence exacerbée entre les diverses forces navales européennes ? En fait, cette apparente confusion trouve sans doute son explication dans la volonté politique de l’Union européenne (UE) de se doter de moyens de défense parallèles à ceux de l’Otan. De manière très symptomatique, l’annonce par l’UE de la création de treize groupements d’intervention rapide a d’ailleurs coïncidé avec la présence à Alger de Jaap de Hoop Scheffer, le secrétaire général de l’Otan.
Il est incontestable que, s’agissant de la coopération militaire avec les pays de la rive sud de la Méditerranée, le Projet européen de sécurité et de défense (Pesd) risque de susciter des conflits de compétences. Ce qui ne semble pas troubler outre mesure les Algériens. « Cette compétition ne nous gêne pas, assure un officier supérieur, nous avons un problème de mise à niveau de nos moyens humains, de modernisation de nos équipements et de mise à jour de notre mission de défense du territoire. Être « interopérables » », selon l’expression consacrée, avec des forces que nous pourrions être un jour amenés à assister – ou qui, au contraire, pourraient nous assister – est pour nous un sérieux atout. »
Maintes fois annoncé, le retrait de l’armée du champ politique passe sans nul doute par sa professionnalisation. Or celle-ci paraît bel et bien engagée… Mais toute forme de coopération militaire a nécessairement des implications politiques. Nul n’ignore, par exemple, que l’agenda des États-Unis – pour ne rien dire de leur projet de Grand Moyen-Orient – diffère sensiblement de celui des Européens. Ces derniers ont pour objectif l’instauration d’un Bassin méditerranéen sûr et sous contrôle, grâce au dialogue engagé dans le cadre du processus de Barcelone (le fameux « 5 + 5 »). « Nous sommes preneurs des deux, assure un diplomate algérien. S’agissant du Grand Moyen-Orient, je ne crois pas que nous ayons à rougir de notre modèle démocratique. Quant au processus de Barcelone, nous jouons le jeu de la concertation en matière de lutte contre l’immigration clandestine, le terrorisme et les trafics de toutes sortes – mais en ne manquant pas de faire valoir notre point de vue. La multiplication des partenaires et des cadres de dialogue est une véritable bénédiction pour nous qui avons été si longtemps boudés, voire boycottés. »
Reste à savoir ce que l’Otan et l’UE attendent de l’armée algérienne. Une mission, au moins, paraît lui être assignée. À l’horizon 2010, l’Algérie sera en effet, avec la Russie, la Norvège et le Qatar, l’un des principaux fournisseurs de l’Union européenne en gaz naturel. Deux gazoducs sont déjà opérationnels, un troisième est en cours de construction. La marine algérienne va donc devoir se doter des moyens opérationnels de sécuriser ces ouvrages sous-marins par où transiteront annuellement quelque 85 milliards de m3 de gaz. Un enjeu véritablement stratégique.

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