Bush est-il projuif ?Et pro-Noir ?Est-il antimusulman ?

Publié le 13 décembre 2004 Lecture : 6 minutes.

L’actuel président des États-Unis d’Amérique, qui vient d’être réélu pour un second (et dernier) mandat de quatre ans, se distingue de ses quarante-deux prédécesseurs sur bien des plans.
Je vous propose que nous en examinions un qui m’a paru intriguant : la manière très particulière dont il s’est conduit jusqu’ici vis-à-vis de trois communautés qui nous intéressent plus que d’autres : les Noirs, les juifs et les musulmans.

Aucun des prédécesseurs de George W. Bush n’a autant donné :
– Aux Noirs américains, au moins sur le plan de la visibilité.
Son secrétaire d’État a été, tout au long du premier mandat, Colin Powell, premier Africain-Américain à occuper une fonction aussi élevée au sein du gouvernement américain : c’est le troisième personnage de l’État, tout de suite derrière le président et le vice-président. Il est le visage que les États-Unis offrent au monde, le négociateur en chef de leurs intérêts extérieurs.
Le chef du Conseil national de sécurité est le plus proche collaborateur du président, celui qui est le premier et le dernier à le voir chaque jour : pendant quatre ans également, ce poste éminent a été occupé par une autre personnalité de la communauté africaine-américaine : Condoleezza Rice, première femme noire à accéder à une telle fonction.
Elle va prendre la suite de Colin Powell au département d’État, dès le début du second mandat. Et sera, là encore, la première Africaine-Américaine à assumer de telles responsabilités.

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– Aux juifs, George W. a offert non pas des apparences, mais un soutien inconditionnel et illimité à l’État d’Israël et à la politique de son gouvernement du moment.
Les bénéficiaires eux-mêmes, à la tête desquels se place le Premier ministre israélien, Ariel Sharon, ont déclaré qu’aucune des précédentes administrations américaines ne leur a donné autant, et l’on sait que, pour montrer que son soutien est sans faille, George W. Bush n’a pas hésité à renier la signature de son pays au bas de plusieurs résolutions des Nations unies sur les droits des Palestiniens, comme sur les frontières d’Israël.
Last but not least, comme ils diraient : sept fois en quatre ans, à la demande d’Ariel Sharon, l’actuel président américain a opposé le veto des États-Unis à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU déplaisant à Israël (en huit ans, Bill Clinton ne l’a fait que trois fois !).

George W. Bush a-t-il été guidé par ses convictions ou bien a-t-il agi par opportunisme électoral ? A-t-il fait ce que j’ai rappelé ci-dessus pour récupérer les voix des Noirs et des juifs qui, aux États-Unis, et à l’élection présidentielle, votent en très grande majorité pour le candidat démocrate ?
S’il a agi par opportunisme électoral, il a dû être déçu, car aucune des deux communautés n’a considéré qu’elle devait le récompenser de ce qu’il a fait pour elle ou, plus précisément, pour ceux qui se présentent comme ses chefs.
Les chiffres – implacables – montrent en tout cas que son attitude ne lui a fait gagner, de manière significative, ni les faveurs des électeurs juifs, ni celles des électeurs africains-américains.
En l’an 2000, George W. Bush se présentait à l’élection présidentielle contre le démocrate Al Gore. On ne savait pas alors qu’il nommerait Powell et Rice à d’aussi hautes fonctions, ni qu’il soutiendrait l’Israël de Sharon au-delà du raisonnable : 90 % des Africains-Américains ont voté pour Al Gore et 9 % pour Bush.
En 2004, les Africains-Américains ont à peine changé leur vote : 88 % d’entre eux ont voté contre Bush (pour Kerry) et seulement 11 % d’entre eux lui ont donné leurs voix.
Quant aux juifs, 74 % d’entre eux ont voté Kerry ; en 2000, ils étaient 79 % à voter pour Al Gore.
Très étonnant, n’est-ce pas ?

Interrogés, les spécialistes de ce qu’on appelle « la cuisine électorale » me disent que George W. Bush a tout de même réussi, en 2004, à « grappiller » quelque 3 % ou 4 % chez les Africains-Américains et autant chez les juifs.
C’est peu, certes, mais lui et son stratège électoral, Karl Rove, savaient qu’ils n’en gagneraient pas plus en caressant les Noirs et les juifs dans le sens du poil. Mais ils redoutaient de perdre de l’influence – et des voix – au sein de ces deux communautés, plus portées à sanctionner le candidat qui les ignore qu’à récompenser celui qui les flatte.

– Reste les musulmans. Aux États-Unis, les musulmans ne sont, à ce jour, ni une force électorale significative, ni un lobby suffisamment efficace pour qu’on en tienne compte. Les relations de George W. Bush avec eux se situent donc sur un autre plan : celui créé par le 11 septembre 2001.
Il n’ignore pas complètement les musulmans d’Amérique, car ils sont quelque six millions, et les conseillers du président, de même que quelques élus républicains, lui rappellent de temps à autre que « des gestes » sont nécessaires pour montrer qu’on n’oublie pas leur existence.
Mais ce sont les autres, le milliard et demi de musulmans présents sur les cinq continents, qui le préoccupent.
Il en avait à peine entendu parler avant le 11 septembre 2001. Depuis, ils envahissent ses pensées, et une formule de l’un de ses conseillers est restée gravée dans sa tête : « Tous les musulmans ne sont pas des terroristes, mais tous les terroristes (qui nous combattent) sont musulmans… »
Musulmans ou islamistes ? Je pense que George W. Bush ne fait pas de différence entre les deux et n’est pas loin de penser qu’en tout musulman il y a un islamiste (qui ne sommeille pas).

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Si vous pensez que l’actuel président des États-Unis est moins simpliste, lisez ce qu’en a dit, ce 8 décembre 2004, l’ancien Premier ministre de Malaisie, Mahathir Bin Mohamad :
« Lorsque les avions se sont écrasés sur le World Trade Center le 11 septembre 2001, le président George W. Bush a immédiatement trouvé la bonne explication : c’était parce que les musulmans étaient jaloux de la liberté dont jouit le peuple américain. C’était parce que les musulmans étaient pauvres.
Explications courtes et qui montrent que le président des États-Unis ne comprend rien à la vraie nature des choses.
De même, il est probable qu’il ne sait pas très bien pourquoi le dollar se déprécie et pourquoi le prix du pétrole s’envole. Il est tout aussi probable qu’il ne fait pas le lien avec les énormes déficits américains ou avec les dépenses incontrôlées de son gouvernement.
Il ne faut pas s’imaginer que Bush va faire le moindre geste pour redonner au dollar sa véritable valeur. Pas plus que pour faire baisser le prix du pétrole. »
Il peut d’autant moins le faire qu’il s’occupe pour l’heure de… Kofi Annan, secrétaire général des Nations unies, devenu « l’homme à abattre » des conservateurs américains.
Bush, lui, ne veut pas abattre Kofi Annan, dont le mandat se termine en 2006. Seulement l’affaiblir pour qu’il redevienne obéissant à 100 % tout au long du temps qui reste à courir d’ici à la fin de son mandat – et intimider ceux que son exemple aurait pu encourager à sortir du rang.
Le pauvre Kofi Annan a eu le malheur et le courage (tardif et tout relatif) de dire que leur guerre en Irak est « illégale », que détruire Fallouja pouvait paraître excessif et que tenir des élections dans un pays où la sécurité n’est pas assurée partout est hasardeux.

De la nouvelle « croisade » de Bush et de ses conservateurs, cette fois contre l’ONU et son secrétaire général, François Soudan traitera longuement la semaine prochaine.
Et nous vous dirons qu’après Kofi Annan viendra le tour de… Jacques Chirac. Il faudra que d’ici à 2007 il se « tienne à carreau ».

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