Babel africaine
Le continent compte pas moins de deux mille langues. Un ouvrage signé par les meilleurs spécialistes fait un tour complet de la question.
On dénombre environ 7 000 langues dans le monde. L’Asie en compte plus de 2 100, mais sa population est de 3,6 milliards d’habitants. L’Afrique, avec près de 2 000 langues pour moins de 800 millions d’habitants, connaît la plus grande diversité en la matière : affichant une population voisine, les Amériques ne totalisent que 1 000 langues, tandis que l’Europe (730 millions d’habitants) n’en a que 225.
C’est dire l’étendue du champ de recherche offert aux spécialistes des langues africaines. On peut s’en faire une idée en parcourant la somme récemment parue aux éditions Karthala. Dans cet ouvrage débordant d’érudition, dont la version originale en anglais a été publiée par Cambridge University Press, le lecteur non initié découvrira les concepts de base et la terminologie spécifique. Il aura du mal à suivre les développements relatifs à la linguistique théorique (phonologie, morphologie, syntaxe), mais pourra se rattraper avec les chapitres traitant des relations entre langue, histoire et société.
Traditionnellement, pour distinguer une langue d’un dialecte, on définit la première par la combinaison de plusieurs traits : elle doit avoir un statut national ; être écrite ; constituer la forme standardisée d’un certain nombre de parlers ; ne pas être intelligible par les locuteurs d’autres « langues » ; avoir un assez grand nombre de locuteurs natifs. En Afrique, la plupart du temps, une telle définition n’est pas opérationnelle. Dans bien des cas, ce que l’on considère comme des langues, voire comme des variétés d’une même langue, ne sont pas mutuellement compréhensibles au sein d’une famille linguistique. En général, on trouve une chaîne de variétés similaires dans laquelle les locuteurs de la variété A comprennent ceux de la variété B voisine, qui à leur tour comprennent ceux de la variété C, etc.
Quoi qu’il en soit, les linguistes sont tous d’accord pour répartir les 2 000 langues africaines en quatre superfamilles (ou phylums) : Niger-Congo, qui en regroupe 1 436 (y compris les 500 de la famille bantoue), Afroasiatique (371), Nilo-Saharienne (196) et Khoisan, au sud du continent (35).
Tandis que certains pays, notamment en Afrique du Nord, où l’arabe domine largement, abritent un nombre restreint de langues, d’autres sont le foyer d’un nombre étonnant de communautés linguistiques. C’est le cas en particulier du Nigeria, qui en regroupe quelque 500, et du Cameroun (300). Mais la situation de ces deux pays présente une différence de taille. L’émiettement linguistique au Cameroun a favorisé l’essor de langues étrangères, le français ainsi que, dans une moindre mesure, l’anglais, introduites par les anciens colonisateurs. Le Nigeria utilise largement l’anglais, mais il possède aussi les deux langues subsahariennes comptant le plus grand nombre de locuteurs : le haoussa, parlé par près de 25 millions de personnes (y compris une bonne partie des habitants du Niger), et le yorouba, par 20 millions.
La très grande majorité des 2 000 langues recensées n’est parlée qu’à l’intérieur d’un même groupe. Certaines, cependant, se sont dégagées du lot pour servir à la communication inter-groupes. Parmi les plus connues de ces langues « véhiculaires (ou lingae francae), l’amharique en Éthiopie, le swahili en Afrique de l’Est, le sango en Afrique centrale, le haoussa, le manding, le moré, le songhaï dans de vastes régions de l’Ouest africain. Pour ajouter à la complexité du tableau, il faut mentionner les pidgins et les créoles issus des langues européennes.
On le disait : les spécialistes de la linguistique africaine ont de quoi s’occuper…
Les Langues africaines, sous la direction de Bernd Heine et Derek Nurse (édition française sous la dir. d’Henry Tourneux et Jeanne Zerner), Karthala, 468 pp., 29 euros.
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