Un pays qui donne le tournis

Avec une croissance à deux chiffres et un excédent commercial record, Pékin est d’ores et déjà l’un des poids lourds de l’économie mondiale.

Publié le 13 novembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Des tours poussant aussi vite que du bambou à Shanghai. Pékin en pleine métamorphose à l’approche des jeux Olympiques d’été de 2008. Des usines à perte de vue qui ne cessent d’empiéter sur les rizières autour de Canton La Chine a toutes les apparences du mirage économique. Il y a trente ans pourtant, on mourait encore de faim dans les campagnes alors que le pays, totalement épuisé par la Révolution culturelle, lancée par le grand timonier, Mao Zedong, commençait à peine à remiser le Petit Livre rouge. Aujourd’hui, avec une croissance continue à deux chiffres, l’empire du Milieu talonne la France et la Grande-Bretagne pour devenir l’un des cinq poids lourds de l’économie mondiale.
Selon les prévisions, 2006 devrait battre tous les records avec un excédent commercial avoisinant les 150 milliards de dollars, un produit intérieur brut (PIB) en progression de 10,5 % et des réserves de change qui devraient dépasser 1 000 milliards de dollars. Les compteurs s’affolent alors que les autorités tentent d’enrayer une « surchauffe » en augmentant notamment les taux d’intérêts. Objectifs : freiner les mouvements spéculatifs, notamment dans l’immobilier, et ralentir les investissements qui, à terme, font craindre une crise de surproduction. Mais déjà le moteur fonctionne à plein régime avec des performances qui parlent d’elles-mêmes. La Chine est la première puissance agricole au monde ; le premier producteur d’acier, de charbon ou encore de ciment ; le numéro un incontesté pour les téléviseurs, les jouets, les chaussures et l’électroménager ; et troisième en ce qui concerne les ordinateurs.
L’inépuisable réservoir de main-d’uvre pas chère et l’immense marché intérieur attirent les investisseurs venus de tous les continents. L’année dernière, la République populaire s’est classée au troisième rang des investissements directs étrangers (IDE) avec 72,4 milliards de dollars. L’Occident mise sur les délocalisations. Les multinationales révisent leur stratégie de développement, attirées par un pays devenu le premier marché de la téléphonie mobile, avec 400 millions d’usagers, et qui comprend une classe moyenne estimée à 200 millions de personnes. Le revenu par habitant et par an était de 80 dollars en 1978, il est aujourd’hui de 1 000 dollars. Les centres commerciaux climatisés affichent complet alors que les parkings regorgent de grosses berlines aux vitres teintées. Les plus grandes marques de luxe se disputent ce nouvel eldorado.
Tout cela n’est que le produit d’une décision politique. Après la mort de Mao, Deng Xiaoping, l’un des pères de la Révolution de 1949, est réhabilité par le comité central du Parti en janvier 1977. Pragmatique, un an plus tard, c’est lui qui initie l’ouverture économique. Sa devise : « Peu importe que le chat soit noir ou gris, pourvu qu’il attrape la souris ». Son mot d’ordre : « Enrichissez-vous ». Il sera entendu.
La première réforme porte sur une privatisation de fait de l’agriculture pour assurer l’autosuffisance alimentaire. Les exploitations familiales sont rétablies. Parallèlement, l’appareil d’État engage une décentralisation administrative avec à la clé d’importants transferts d’autorité et de compétence du gouvernement central vers les échelons locaux. Conjointement, si le système planifié n’a été éliminé que très progressivement, un marché libre hors plan a été très vite autorisé, voire stimulé, afin d’augmenter la productivité dans les usines d’État. Peu performantes, mal dirigées, celles-ci se contentaient alors de respecter les quotas définis à Pékin. Cette souplesse d’inspiration libérale a mécaniquement donné naissance à une mentalité d’entrepreneurs et naturellement réveillé l’âme commerçante du mandarin. Un marché concurrentiel apparaît, et, dans les années 1980, la majeure partie de la croissance provient de l’industrialisation des zones rurales grâce aux Entreprises de bourg et de village (EBV). Ni étatiques ni privées, elles relèvent des autorités locales, certes contrôlées par le Parti, à qui elles versent une part de leurs bénéfices. En échange, les administrations provinciales ont intérêt à faciliter l’accès au crédit via les banques publiques ainsi qu’à assouplir les règles juridiques et fiscales. Progressivement, une économie nationale se met en place même si elle reste encadrée par la puissance publique.
Le grand bond intervient trois ans après les manifestations et la répression de Tiananmen de 1989. Deng Xiaoping intensifie la privatisation de l’appareil productif et en appelle aux capitaux étrangers. Démarré au milieu des années 1980 puis relancé en 1992, le recours aux investissements internationaux donne du souffle à l’économie et permet d’accélérer les transferts de technologie. Les premiers partenaires viennent de Hong Kong, Taiwan, Singapour, du Japon et de la Corée. Dans un premier temps, il s’agit systématiquement de joint-ventures associant la partie chinoise. Progressivement, un tissu industriel voit le jour. Avec un salaire mensuel de 100 dollars pour un ouvrier, une multitude d’ateliers de production disséminés dans les régions les plus développées, des ports et des aéroports, la Chine offre de larges opportunités. Depuis 1979, les investissements internationaux sont évalués à 600 milliards de dollars, et 58 % des exportations chinoises sont le fait de sociétés à capitaux étrangers.
Néanmoins, l’empire du Milieu a su défendre des champions nationaux dans un certain nombre de secteurs clés. Dans le domaine pétrolier, la Cnooc, Petrochina et la Sinopec jouent dans la cour des grands. Lenovo a racheté l’année dernière la branche micro-informatique du géant américain IBM. Haier est en train d’imposer sa griffe dans l’électroménager. Les constructeurs automobiles chinois commencent à jouer des coudes. La plupart du temps, ces mastodontes sont des entreprises publiques, mais appliquent les mêmes recettes que la concurrence. Ce qui permet d’être réactif tout en profitant de la tutelle d’État lorsqu’il s’agit de se financer. Les IDE ne représentent que 10 % des investissements effectués en Chine depuis 1979 !

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