Jacqueline Moudeïna : « Les victimes de Hissène Habré doivent être indemnisées »

Malgré plusieurs décisions de justice, et les promesses de l’État du Tchad et de l’Union africaine, les victimes de Hissène Habré n’ont toujours pas reçu les indemnisations promises. Pour l’avocate tchadienne Jacqueline Moudeïna, il est plus que temps.

Hissène Habré, lors de son procès en juillet 2015 devant les Chambres africaines extraordinaires, à Dakar. © Cemil Oksuz/Anadolu Agency/AFP

Hissène Habré, lors de son procès en juillet 2015 devant les Chambres africaines extraordinaires, à Dakar. © Cemil Oksuz/Anadolu Agency/AFP

Jacqueline Moudeïna

Publié le 18 décembre 2020 Lecture : 3 minutes.

« Le moment viendra où les vivants et les morts seront indemnisés par le gouvernement de la République du Tchad. » Au lendemain de l’arrestation de Hissène Habré au Sénégal, en 2013, le président du Tchad Idriss Déby Itno avait décrété un jour de fête nationale et prononcé ces belles paroles, promettant ainsi de dédommager les victimes de son prédécesseur.

Cependant, sept ans plus tard, et 30 ans après la chute de Hissène Habré, les victimes de son régime attendent toujours cette indemnisation, et ce, malgré deux décisions de justice, l’une rendue au Tchad et l’autre au Sénégal, qui leur ont accordé des milliards de francs CFA.

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Le 25 mars 2015, une Cour criminelle tchadienne a condamné 20 agents du régime Habré pour des faits de torture et d’assassinats, et a alloué 75 milliards de francs CFA (114 millions d’euros) à 7 000 victimes. Le paiement de ces réparations est divisé en deux : une moitié est à la charge des complices de Habré, alors que l’autre moitié doit être payée par l’État tchadien.

Rien n’a bougé

Des victimes et parents de victimes d’Hissène Habré, lors du procès du président tchadien en juillet 2015 devant les Chambres africaines extraordinaires, à Dakar. © Cemil Oksuz/Anadolu Agency/AFP

Des victimes et parents de victimes d’Hissène Habré, lors du procès du président tchadien en juillet 2015 devant les Chambres africaines extraordinaires, à Dakar. © Cemil Oksuz/Anadolu Agency/AFP

En 2016, les Chambres africaines extraordinaires à Dakar ont déclaré Hissène Habré coupable de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de torture, notamment pour des faits de violences sexuelles. Elles l’ont condamné en 2017 à verser 82 milliards de francs CFA (125 millions d’euros) aux victimes. Cette indemnisation doit être effectuée par le biais d’un Fonds fiduciaire piloté par l’Union africaine. Ce Fonds a pour mission de chercher, d’identifier et de saisir les biens de Hissène Habré, ainsi que de solliciter des contributions volontaires, afin de verser les réparations allouées.

Depuis, rien n’a bougé. Les victimes n’ont pas reçu un seul centime de réparation.

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Nous nous sommes battus aux côtés des victimes pendant des décennies pour obtenir ces jugements contre notre dictateur et ses sbires. Aujourd’hui, l’Union africaine et notre propre gouvernement nous forcent à nous battre encore pour que ces jugements soient enfin exécutés.

En novembre 2017, nous avons déposé auprès de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) une plainte concernant la non-exécution par le Tchad de la décision de réparations prononcée en 2015. Cette plainte est actuellement en instance. En août 2017, des experts des Nations unies ont exprimé leur inquiétude quant au non-respect par le gouvernement tchadien de l’exécution des réparations.

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L’Union africaine n’a, de son côté, toujours pas mis en place le Fonds fiduciaire, malgré ses engagements répétés. En février 2020, Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l’Union africaine, promettait « la tenue très bientôt [d’une] conférence de mobilisation des ressources pour alimenter ce Fonds ».

Un tournant pour la justice en Afrique

Le procès de Hissène Habré à Dakar a été le seul au monde lors duquel les tribunaux d’un État ont condamné un ancien dirigeant d’un autre État pour des violations des droits humains, et a été considéré par de nombreux observateurs comme « un tournant pour la justice en Afrique ».

Aujourd’hui, beaucoup de victimes qui ont remporté ces victoires historiques sont cependant dans une situation désespérée et dans le plus grand besoin.

Il est grand temps que l’Union africaine et le gouvernement du Tchad respectent ces décisions de justice

Parmi ces victimes, il y a des femmes qui ont été emprisonnées et utilisées comme esclaves sexuelles par les militaires dans des casernes dans le désert. Il y a aussi des anciens détenus qui ont vécu des années dans des conditions inhumaines et qui ont souvent été torturés. Enfin, la liste de ces victimes comprend celles et ceux qui n’ont pas survécu à l’enfer de la détention – ou qui ont été délibérément exécutés par les sbires de Habré –, ainsi que leurs veuves et orphelins, et dont les familles ont été déchirées.

Il est grand temps que l’Union africaine et le gouvernement du Tchad respectent ces décisions de justice et les obligations qui en découlent vis-à-vis des victimes. Tant que ces jugements n’auront pas été exécutés, en procédant au versement des indemnisations ordonnées, les victimes n’auront pas obtenu justice.

Monsieur le président Déby, monsieur le président Faki, à quand les réparations ?

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