Algérie : entre virage et voie de garage
L’Algérie va-t-elle opter pour la libre entreprise et l’économie de marché, ou continuer de miser sur un tout-pétrole qui prend l’eau ?
Au premier abord, l’Algérie se porte bien, malgré une croissance modeste (+ 2,7 % en 2013) par rapport à celle des autres pays pétroliers. L’inflation s’y est assagie (à 4,5 %), ses dépenses budgétaires ont été réduites et ses réserves en devises atteignent 196 milliards de dollars, soit trois ans d’importations. Ajoutez que sa dépense publique massive a permis de construire logements, routes ou voies ferrées, et vous comprendrez pourquoi l’Algérie peut s’enorgueillir d’un vrai recul des inégalités depuis dix ans.
Voici qu’en cette période préélectorale le Tout-Alger fonde ses espoirs dans le pacte économique de croissance et dans la promesse du gouvernement de défendre enfin la libre entreprise, seule capable de créer de la richesse à long terme et de réduire le taux de chômage, certes tombé sous la barre des 10 %, à 9,8 % fin 2013, mais qui s’élève à 21,35 % pour les moins de 35 ans, selon le Fonds monétaire international (FMI).
À l’aube de l’élection présidentielle, le pouvoir se serait converti à l’économie de marché et renoncerait à la drogue pétrolière. Quoique affaibli par un accident vasculaire cérébral, le président sortant et candidat à sa propre succession aurait décidé de réformer une économie corsetée et de libérer les forces du changement.
Pathologie
La compétitivité a été dégradée par un laxisme évident : de 2005 à 2010, les salaires ont bondi de 50 %, bien plus qu’au Maroc ou en Chine.
Faut-il croire en cette révolution ? Croisé dans les couloirs du Africa CEO Forum organisé par Jeune Afrique à Genève du 17 au 19 mars, Issad Rebrab, le patron de Cevital, la première entreprise privée algérienne, fait une moue dubitative. « J’y croirai quand j’en verrai les preuves », répond celui qui brûle d’impatience de développer ses activités au sud du Sahara, mais qui ne peut sortir d’Algérie l’argent nécessaire à la réalisation de ses projets.
Et comment ne pas comprendre sa réserve… L’Algérie souffre toujours d’une « maladie hollandaise » carabinée, pathologie spécifique aux pays ayant à la fois la chance et le malheur de détenir un sous-sol riche en matières premières et où les autres activités économiques semblent atrophiées.
Elle ne produit pas grand-chose d’autre que des hydrocarbures : 34 % de son produit intérieur brut (PIB), 98 % de ses recettes d’exportations et 65 % de ses recettes budgétaires en proviennent. Cette manne a généré deux maux : une compétitivité internationale de plus en plus médiocre et un mépris souverain à l’égard de l’entreprise privée.
Compétitivité
l'image." class="caption" style="margin: 4px; border: 0px solid #000000; float: left;" />La compétitivité a été dégradée par un laxisme évident : de 2005 à 2010, les salaires ont bondi de 50 %, bien plus qu’au Maroc ou en Chine. Dans tous les classements internationaux, certes organisés selon les canons du libéralisme, l’Algérie se traîne en queue de peloton. Forum économique mondial, Banque mondiale, Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ou Heritage Foundation critiquent ses coûts de production élevés, son manque de transparence, le poids de sa bureaucratie et sa préférence pour les entreprises publiques.
Les subventions implicites pour les carburants – qui profitent aux plus riches, propriétaires d’une voiture – amputent les recettes budgétaires de 22 milliards de dollars. Les différents prélèvements sur les bénéfices des entreprises atteignent 72 % du montant de ceux-ci. Pas de quoi séduire les investisseurs étrangers, qui n’ont misé en Algérie que 1,5 milliard de dollars en 2012. Une misère !
L’analyse que le FMI a publiée le 28 janvier sur l’économie du pays est alarmante. Selon ses auteurs, sa « trajectoire budgétaire n’est pas viable », car « l’Algérie est vulnérable à une baisse prolongée des prix du pétrole, à une dégradation de la conjoncture mondiale, à de nouvelles pressions sur la rente des hydrocarbures et à une intensification des tensions régionales ».
À poursuivre dans cette voie et en raison de l’épuisement inéluctable de ses réserves pétrolières et gazières, le pays s’expose à devoir recourir aux emprunts d’ici à vingt ans et pourrait dériver vers un endettement redoutable, équivalant à 100 % de son PIB, en 2050.
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Remèdes
Les remèdes énumérés par le FMI sont nombreux. Il y a les thérapeutiques classiques, comme la limitation de la croissance de la masse salariale, notamment dans la fonction publique, ou l’élimination progressive des subventions.
On trouve aussi des préconisations plus originales, telles la transformation du Fonds de régulation des recettes (FRR), qui conserve les surplus de recettes pétrolières, en fonds souverain, sur le modèle du Qatar ou de la Norvège, afin de transmettre aux générations futures un peu de la richesse extraite aujourd’hui.
Le FMI conseille encore de lever l’interdiction du crédit à la consommation (instaurée en 2009) et les obstacles aux émissions d’obligations et d’actions des sociétés privées. Il demande de supprimer l’interdiction pour les investisseurs étrangers d’acquérir la majorité du capital d’une société algérienne, quelle qu’elle soit. Il encourage une transparence des recettes provenant des hydrocarbures grâce à l’application des règles de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE).
Gaz de schiste
Le gouvernement qui sortira de l’élection présidentielle suivra-t-il les conseils du FMI ? Les réponses divergent. « Tous les économistes ont annoncé la fin de la manne pétrolière et souligné l’urgence de prendre un virage dans le sens d’une gouvernance digne de ce nom, affirme Lies Kerrar, président du cabinet de développement financier Humilis. Mais les réserves de devises abondantes, la découverte de nouveaux gisements et l’éventualité d’un grand potentiel en gaz de schiste maintiennent l’illusion que le système actuel peut perdurer. »
Il appelle de ses vœux l’inscription dans la Constitution de règles budgétaires qui conduiraient le pays à en finir avec sa dépendance à l’égard des hydrocarbures. Et voudrait que le gouvernement élabore une stratégie industrielle, ce qui suppose de réformer le climat des affaires et d’instaurer une gouvernance moderne. Mais il est dubitatif.
« La réforme est inévitable. Le pays la veut, mais dans l’ordre, estime Slim Othmani, patron de NCA-Rouiba. Le dosage entre la liberté d’entreprendre et le maintien d’une certaine tradition variera en fonction de l’identité du vainqueur de l’élection présidentielle, mais la réforme avancera. Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal (« en congé » pour diriger la campagne d’Abdelaziz Bouteflika) est pragmatique et semble conscient que l’Algérie ne peut plus se permettre de continuer à vivre en autarcie. Il a récemment dénoncé les risques d’un “inceste intellectuel” jusque dans les universités. »
Privilèges
On en saura bientôt plus sur les nouvelles convictions du gouvernement. Le 31 mars, Mustapha Benbada, ministre du Commerce, devait participer, à Genève, à de nouvelles négociations pour l’adhésion de l’Algérie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
En 2012, les investisseurs étrangers, n’ont misé que 1,5 milliard de dollars. Une misère !
« Le processus d’adhésion est un dialogue entre le pays candidat et les pays membres de l’OMC, explique Mustapha Sekkate, économiste à la division des accessions du secrétariat de l’Organisation. Au cours de ce dialogue, on vérifie la conformité des règles du commerce extérieur du pays avec les deux règles majeures de l’OMC : la clause de la nation la plus favorisée, qui interdit à un membre de discriminer ses partenaires commerciaux, et le principe du traitement national, qui interdit à un pays de faire une distinction entre les produits nationaux et les produits importés une fois que ceux-ci sont entrés sur son territoire. » Une cinquantaine de pays se sont inscrits pour négocier ainsi de façon multilatérale avec Alger.
Des négociations bilatérales sont aussi en cours entre l’Algérie et une vingtaine de pays, afin de préciser les tarifs douaniers à ne pas dépasser pour leurs produits et services respectifs. Ce qui coince ? La règle selon laquelle un investisseur étranger ne peut détenir plus de 49 % du capital d’une société algérienne, mais aussi les privilèges des entreprises publiques – qui faussent la concurrence – et la politique de fixation des prix. Enfin, ses partenaires s’interrogent sur la manière dont Alger compte s’y prendre pour passer d’une économie planifiée à une économie de marché. Voici vingt-sept ans (record mondial de durée des négociations) que la réponse se fait attendre. L’Algérie va-t-elle enfin y aller, oui ou non ?
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