Pourquoi le hijab ?

Ici comme ailleurs, le phénomène du voile islamique est en pleine expansion. Mais à la différence, par exemple, de la Tunisie (voir J.A. nos 2388 et 2390), il ne donne lieu ni à débats passionnés ni à mesures coercitives. Enquête.

Publié le 13 novembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Comme chez le voisin tunisien, les femmes actives sont, en Algérie, de plus en plus nombreuses à porter le voile islamique. Mais ici, le phénomène ne suscite pas de débats passionnés et ne donne lieu à aucune mesure coercitive. Est-ce la conséquence de la volonté des autorités de poursuivre la réconciliation nationale et de pardonner aux islamistes ? La preuve d’un regain de religiosité au sein d’une société réputée conservatrice ? Une revendication identitaire ? Un simple phénomène de mode ? À bien ?y réfléchir, l’explication est peut-être plus simple.
Une image illustre à merveille cette explosion du port du hijab. Au début de ce mois de novembre, le Parti des travailleurs (PT) réunit son comité central. Cette formation d’obédience trotskiste est la seule à être dirigée par une femme, Louisa Hanoune, qui est aussi la seule Algérienne à ce jour à s’être présentée à une élection présidentielle (en 2004). À la tribune, l’égérie de la révolution permanente dirige les débats. Elle est la seule à avoir la tête nue. Toutes ses camarades, sans exception, portent des fichus qui évoquent furieusement le hijab, ce symbole de l’islamisme triomphant
Seuls quelques îlots résistent à ce tsunami vestimentaire. À la télévision publique, aucune animatrice, speakerine, journaliste ou présentatrice météo ne porte de voile à l’écran. Il en va de même dans les services des douanes, la gendarmerie, l’armée et la police. Mais quelques factrices distribuant le courrier dans les quartiers populaires commencent à arborer, sous leurs casquettes, un foulard islamique du plus bel effet.
Pourquoi, dans un pays où l’islamisme dans sa forme la plus radicale a été défait par les armes, puis par les urnes, le port du voile se généralise-t-il à un rythme aussi rapide ? « C’est inexact, il n’y a pas davantage de voiles dans les rues. Il y a seulement davantage de femmes qui sortent », proteste une sociologue. Peut-être En dépit des clichés qui collent à la peau de ce pays, la situation des femmes s’y est indéniablement améliorée. On peut certes disserter à l’infini sur la modestie des amendements apportés au code de la famille, ce « code de l’infamie », comme disent les militantes féministes, mais les chiffres parlent d’eux-mêmes. Chez les journalistes, les enseignants, les étudiants, les personnels de santé ou les avocats, les femmes sont désormais majoritaires. Et la parité hommes/femmes en matière de salaires est quasi parfaite. De même, l’islam a beau être ici religion d’État, la plus haute juridiction de la République, le Conseil d’État, a une présidente – et non un président. Bref, les femmes sont désormais omniprésentes dans le monde du travail. Et si elles portent le voile davantage que dans le passé, la raison n’en est pas forcément – en tout cas, pas toujours – idéologique.
En fait, le débat est aussi vieux que l’Algérie elle-même. Dès les lendemains de l’indépendance, alors que l’euphorie de la victoire sur les forces coloniales n’était pas encore retombée, les conservateurs se déchaînèrent contre les citadines habillées à l’occidentale qui avaient remisé le traditionnel haïk blanc, accessoire indispensable de l’Algéroise de la Casbah, au magasin des souvenirs. À la tête de ce combat d’arrière-garde, Cheikh Kheiredine, le principal défenseur des idées fondamentalistes au sein du courant nationaliste. Celui-ci devra finalement s’incliner. Les anciennes maquisardes de la guerre de libération (moudjahidate), qui n’avaient jamais porté le voile pendant les sept années de conflit, parvinrent à imposer l’idée que le fait de montrer ses cheveux ne menaçait en rien la « pureté » de la société. Et qu’il s’accordait parfaitement avec une attitude citoyenne. Les dévoilées ne seront donc pas lapidées dans l’Algérie indépendante.
Nullement découragés par ce premier échec, les conservateurs, mettant à profit le conservatisme ambiant, réussirent peu à peu à exclure les femmes de la scène politique. Et à les marginaliser dans le monde de l’entreprise. Bref, à instaurer une société résolument mâle, où toute présence féminine visible relève presque de l’exotisme. Ce qui conduisit, par exemple, l’écrivain Assia Djebbar, aujourd’hui membre de l’Académie française, à trouver refuge de l’autre côté de la Méditerranée et à refuser de retourner dans son pays tant que cette situation perdurera.
Les conditions socio-économiques très difficiles imposées à l’ensemble des Algériens n’ont certes pas contribué à rendre plus harmonieux les rapports entre les hommes et les femmes. Du coup, pour ces dernières, le voile a toujours été davantage un instrument d’autodéfense qu’un symbole de soumission.
Bien sûr, il se trouve quelques milliers de jeunes filles contraintes de porter le hijab par un père ou un frère ayant lu quelques pages d’Ibn Taymiya, le maître à penser des salafistes, mais le phénomène reste marginal. Le voile islamiste tel qu’on le rencontre ici est une sorte de burqa afghane « mondialisée » : corps entièrement dérobé aux regards, visage masqué, mains gantées et pieds bottés. Les femmes ainsi accoutrées sont souvent surnommées, ironiquement, les « Kinder Surprises ». Parce qu’on ne sait jamais quel jouet on va trouver à l’intérieur de l’uf en chocolat ! Elles sont surtout présentes dans les quartiers populaires et en milieu rural. Celles qui ont choisi cette tenue pour des raisons strictement religieuses – elles sont très loin d’être les plus nombreuses – sont visibles, si l’on peut dire, autour des mosquées, dans les cimetières ou aux arrêts de bus.
La majorité des porteuses de hijab, qu’elles soient étudiantes, vendeuses dans une grande surface ou laborantines dans une pharmacie de banlieue, sont consentantes. Elles ont choisi le voile pour avoir la paix. « Comme ça, j’ai une chance d’être un peu moins harcelée dans les transports en commun », raconte Manal, vétérinaire à Boufarik, un gros bourg de la Mitidja, au sud d’Alger, qui fut le fief des Groupes islamiques armés (GIA) de sinistre mémoire. Mais leurs motivations sont multiples.
La coquetterie est du nombre. Les commerçants les plus avisés ont d’ailleurs vite compris l’importance du créneau. On trouve désormais des magasins spécialisés dans toutes les grandes villes. Un slogan publicitaire très en vogue actuellement se passe presque de commentaires : « religion et beauté » (Dine ou Zine). Un autre, qui cible plus spécialement les femmes actives, évoque le « hijab high-tech ».
Des centaines de coloris et de formes, jusqu’aux plus fashion, sont disponibles. Et rien n’interdit les assemblages les plus incongrus. Il est ainsi parfaitement possible de porter le khimar (une sorte d’écharpe) avec un jean 501 moulant et taille basse. L’engouement est tel que les importateurs sont souvent en rupture de stock. Le marché algérien est une véritable bénédiction pour les industries textiles syrienne, turque, koweïtienne et chinoise. Il est vrai qu’une Algérienne peut dépenser jusqu’à 20 000 dinars (220 euros) par an pour renouveler sa garde-robe islamiquement correcte…

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