Partenariat gagnant-gagnant ?

Publié le 13 novembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Le premier sommet sino-africain a mis sur la table une offre alternative de développement occultant les questions qui fâchent. C’est une bouée de sauvetage pour les pays africains qui étaient jusqu’alors obligés de se soumettre au diktat d’un double ajustement économique et politique de leurs bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux occidentaux. En exigeant de leurs interlocuteurs africains davantage de démocratie et de bonne gouvernance, ces partenaires traditionnels ont facilité le retour en force du dragon chinois sur un continent africain, d’où il s’était effacé au début de ses réformes économiques engagées à partir de 1978.
L’adaptation du modèle chinois a été d’autant plus aisée qu’il prolonge une tradition de gestion univoque, centralisée, du pouvoir en Afrique. Ce qui l’a rendu encore plus attrayant, c’est qu’il offre des solutions pratiques en fournissant aux partenaires de la Chine un package complet. Ce paquet de solutions, distinctes des conditionnalités qu’imposent les Occidentaux, mêle prêts concessionnels, annulation de dettes, fournitures de services dans des secteurs aussi essentiels que les infrastructures, la santé ou l’éducation, quitte à le faire à perte dans un premier temps. Le tout est enrobé par un discours séducteur aux antipodes du déploiement de la force de frappe que l’Amérique, tentée à nouveau par l’isolationnisme, met à l’uvre depuis qu’elle s’est lancée dans une guerre, souvent aveugle, contre le terrorisme. Le modèle tranche aussi par rapport à l’incapacité des pays européens, anciens colonisateurs sur le continent, à surmonter leurs difficultés internes, comme le chômage ou le défi démographique, pour pouvoir voler au secours d’une Afrique en quête d’alliés en mesure de l’accompagner dans ses besoins importants de développement.

En plus de déployer une offensive de charme en usant de termes consensuels, mettant en relief la paix, la prospérité ou le développement, la Chine ne pouvait pas ne pas mettre en avant sa principale doctrine dans les relations internationales. L’État le plus anciennement unifié au monde, avec plus de vingt-deux siècles de vie sous une autorité centrale, n’a donc pas craint de placer le respect de la souveraineté comme l’un des paradigmes dominants de son rapport à l’Afrique. L’exaltation des vertus de l’État-nation ne peut que séduire les dirigeants d’un continent qui ont vu s’effriter la puissance de ce concept chez eux, en raison du rôle grandissant joué par des forces parallèles – institutions financières internationales, ONG, mouvements prodémocratiques. Le message que délivre la Chine à l’Afrique est aussi porté par sa capacité à emprunter à l’ennemi capitaliste (qui ne l’est qu’en théorie) ses méthodes et une partie de son discours le plus efficace. Pékin fait mouche chaque fois qu’il parle de partenariat « gagnant-gagnant ». Son internationalisme prolétarien a été remplacé par une triple stratégie, qui tourne autour d’une recherche de matières premières, d’élargissement de ses marchés, mais aussi d’endiguement des prétentions diplomatiques de Taiwan. Le tout s’inscrit dans le souci de Pékin de promouvoir une vision multipolaire du monde.

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Le sommet sino-africain n’a pas grand-chose à voir avec les rencontres souvent superficielles que ses partenaires traditionnels proposent à l’Afrique. Présentée comme un événement diplomatique majeur, cette rencontre illustre ce que China Incorporated, cet État-entreprise, est capable de faire : ses ordres sont suivis avec un enthousiasme contenu, mais sans murmure.
Ce sommet a offert à l’Afrique le prétexte pour comprendre les fondements du renouveau d’un pays qui a subi au cours des deux derniers siècles les mêmes revers qu’elle. Aussi bien, le soleil qui se lève sur la Chine pour en faire la première puissance économique mondiale dès l’an 2040, selon la banque d’affaires américaine Goldman Sachs, a donc de quoi inspirer l’Afrique. Elle peut reprendre le modèle chinois en gardant ses acquis, si fragiles soient-ils, sur le front de la démocratisation, des droits de l’homme et de l’implication de la société civile dans la vie publique.
Si la Chine se montre accommodante du fait de son souci de ne pas se mêler des affaires intérieures de ses interlocuteurs, il n’en demeure pas moins que l’Afrique doit mieux négocier les termes économiques de sa relation avec elle. Et pourquoi pas en copiant certains aspects du nationalisme chinois. En lançant ses réformes, Pékin n’avait-il pas insisté pour que les investisseurs étrangers mettent en place des joint-ventures avec des partenaires locaux, fassent un vrai transfert de technologie et créent de la valeur ajoutée sur ses matières premières ? Il y a là des pistes pour l’Afrique, qui doit cesser de se distinguer en applaudissant les mesures annoncées par la Chine à son intention. En économie, il n’y a jamais rien de gratuit. Le déluge des aides économiques et commerciales et la douceur des formules de coopération que les Chinois ont déroulées devant elle ne doivent pas lui faire perdre de vue la nécessité de lire les intentions de cet allié si prévenant, pour mieux peser sur l’orientation de leur relation stratégique.

* Adama Gaye est l’auteur de Chine-Afrique : le dragon et l’autruche (L’Harmattan, Paris).

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