Mahathir-Badawi : à couteaux tirés

Rien ne va plus entre l’ancien Premier ministre, père du « miracle économique », et son successeur, qu’il a lui-même installé au pouvoir.

Publié le 13 novembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Le torchon brûle entre Mahathir Mohamad, l’ancien Premier ministre malaisien, âgé aujourd’hui de 81 ans, et Abdullah Ahmad Badawi, 66 ans, le successeur qu’il s’est lui-même choisi et qu’il a installé au pouvoir le 31 octobre 2003. La rivalité qui les oppose, vieille de plusieurs mois, a franchi un nouveau palier le 23 octobre. Avec une violence inouïe, l’ancien homme fort de la péninsule a publiquement accusé Abdullah de corruption dans le cadre du programme onusien « Pétrole contre nourriture » (destiné à alléger le régime des sanctions contre l’Irak pendant l’embargo) et a invité ses compatriotes à le destituer et à le remplacer par le vice-Premier ministre, Najib Razak. Pour faire bonne mesure, Mahathir, se disant victime de boycottage médiatique, de harcèlement et de tracasseries, a également dénoncé la « dérive autoritaire » du chef du gouvernement, dérive ayant abouti, selon lui, à l’instauration d’un véritable « État policier ». Des accusations qui laissent songeur quand on connaît le pedigree de l’homme qui dirigea la Malaisie d’une poigne de fer pendant vingt-deux ans, et n’hésita pas, en 1998, à faire torturer et jeter en prison son dauphin d’alors, Anwar Ibrahim, pour corruption (déjà) et sodomie
En réalité, Mahathir, coutumier des sorties controversées et adepte du parler cru – on se souvient du scandale international déclenché par ses propos peu amènes sur les Juifs, en octobre 2003 -, vivrait particulièrement mal le fait que son successeur « détricote » méthodiquement des pans entiers de son héritage. Car Abdullah Badawi, qu’on disait falot et sans envergure, s’est rapidement imposé comme un leader. En convoquant, dès mars 2004, des législatives anticipées, remportées triomphalement, il s’est émancipé de la pesante tutelle de son autoritaire mentor, parti en pleine gloire et qui s’imaginait volontiers continuer à tirer les ficelles en coulisses, dans la plus pure tradition asiatique. Mahathir croyait pourtant avoir trouvé en la personne de Abdullah un prête-nom docile. Lourde erreur. Celui que ses compatriotes surnomment affectueusement « Pak Lah » (Oncle Abdullah) cachait sous des dehors débonnaires une froide détermination.
Il commence par s’attaquer au déficit public. Annule la construction, pour 3,8 milliards de dollars, d’une nouvelle ligne ferroviaire. Décrète une pause dans les grands travaux d’infrastructures, suspend les principaux chantiers de la nouvelle capitale fédérale, Putrajaya, un projet qualifié de pharaonique. Renonce au pont, trop coûteux à son goût, qui devait enjamber le détroit et relier la péninsule à la cité voisine de Singapour. Endossant les habits du « monsieur Propre », Abdullah profite des cent premiers jours de son mandat pour lancer une spectaculaire campagne de moralisation de la vie économique. Ses mesures anticorruption sont bien accueillies par les investisseurs, mais sèment la panique chez les proches de l’ancien Premier ministre, nombreux à avoir bénéficié de faveurs indues. Abdullah imprime aussi sa marque en politique étrangère, rompt avec les outrances et les imprécations tiers-mondistes, et se rapproche des États-Unis et de l’Australie.
Fin stratège, « Pak Lah » n’oublie pas d’affermir son emprise sur le tentaculaire parti au pouvoir, l’Organisation nationale des Malaisiens unis (ONMU). Mahathir, qui espérait profiter du congrès annuel de sa formation en novembre pour tancer publiquement l’action de son successeur, l’apprend à ses dépens le 10 septembre : il échoue à se faire élire délégué de son fief de Kubang Pasu, localité de l’État de Kedah, dont il est originaire. Humilié, privé de tribune, marginalisé politiquement, le vieux leader abat alors sa dernière carte, multipliant les sorties incendiaires dans la presse. Son comportement, davantage dicté par l’amertume que par le sens tactique, pourrait bien se retourner contre lui. Car en Malaisie, où la recherche du consensus prime l’expression publique des divergences, l’opinion n’est guère habituée à voir ses dirigeants faire ainsi étalage de leurs divisions. Et les observateurs redoutent que ce spectacle ne fasse, à terme, le jeu des islamistes restés en embuscade. Abdullah, qui a choisi de faire le dos rond, s’abstenant de répliquer, semble l’avoir bien compris. Mais sa patience pourrait avoir des limites. Et il se murmure déjà à Kuala Lumpur que la justice pourrait rapidement commencer à s’intéresser de plus près à certaines transactions douteuses avalisées par l’administration précédente, si Mahathir ne se décidait pas à mettre un terme à ses attaques.

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