Le tournant du 7 novembre

Publié le 13 novembre 2006 Lecture : 6 minutes.

Dans les états-majors des entreprises comme au sein des gouvernements, l’année 2006 est déjà enterrée, et c’est 2007 qui occupe les esprits On passe en revue ce qui est inéluctable, parce que déjà inscrit dans le calendrier ; on spécule sur le probable
Procédons à un petit tour d’horizon pour voir ce que cela donne.

La France aura, au mois de mai, un nouveau président, qui pourrait être, pour la première fois de son histoire, une présidente.
Chaque jour qui passe confirme que, même si d’aventure l’envie lui prenait de se représenter, l’actuel président, Jacques Chirac, a perdu la capacité de se faire réélire. Mais nullement celle de favoriser une candidature, même de gauche, ou de faire obstacle à une autre, fût-elle issue de son propre camp, la droite.
Au Royaume-Uni, le Premier ministre Tony Blair, qui n’a pourtant aucune envie de quitter le 10 Downing Street, a été fortement poussé vers la sortie : il s’est donc, de mauvais gré, engagé à évacuer la place et, sauf imprévu, quittera, lui aussi au mois de mai, une fonction conquise le 2 mai 1997 et qu’il aura donc occupée pendant dix ans.

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Les Américains devront, eux, s’accommoder d’un George W. Bush à la Maison Blanche pendant deux longues années encore : 2007 et 2008. Mais, fort heureusement pour eux – et pour nous -, il n’est plus, depuis le 8 novembre, qu’un président (républicain) aux ailes coupées, étroitement contrôlé par un Congrès à majorité démocrate. Sa politique en sera-t-elle pour autant moins nocive ?
Ses deux âmes damnées, Dick Cheney et Donald Rumsfeld, ont, en tout cas, déjà perdu, le premier de sa superbe, le second son poste. Dans quelques semaines passera à la trappe un autre malfaisant, l’inénarrable John Bolton, envoyé par Bush à l’ONU comme ambassadeur-proconsul pour contrôler l’organisation internationale.
Les élections législatives américaines du 7 novembre ont donné à la mauvaise politique de George W. Bush un coup d’arrêt bienvenu. Le paysage politique mondial s’en trouve bouleversé, ainsi que les perspectives pour 2007.
J’y reviendrai plus bas, après une courte et nécessaire incursion en Afrique de l’Ouest.

La Côte d’Ivoire connaîtra-t-elle en 2007 les élections présidentielle et législatives que la communauté internationale tente d’y organiser pour la faire sortir de la crise où se complaisent ses dirigeants depuis plus de sept ans, faisant ainsi perdre à leur pays l’avance qu’il avait acquise sur les autres pays de la région ?
Rien n’est moins sûr, et je crois bien que Laurent Gbagbo lui-même n’a pris à ce sujet, en son for intérieur, aucune décision.
Ce qui est de plus en plus évident, en revanche, c’est qu’il est celui qui peut faire en sorte qu’elles se tiennent ou empêcher qu’elles aient lieu.
Très lourde responsabilité, partagée avec celui qui est là pour rendre ces élections possibles et les organiser : le Premier ministre Charles Konan Banny.
Si le fameux «tandem» qu’ils sont censés constituer tire à hue et à dia au lieu de pédaler dans le même sens, la crise se durcira au lieu de se dénouer.
Si le scrutin-sortie de crise n’a pas lieu d’ici à un an, s’il n’a même pas été programmé de façon ferme et définitive, c’est d’une tout autre Côte d’Ivoire que l’Union africaine et la communauté internationale devront s’occuper dès la fin de 2007 (voir pp. 38-42).

Toujours en 2007, et dès le début de l’année, dans les deux pays de l’Afrique de l’Ouest où la démocratie paraît la mieux établie, le Sénégal et le Mali, les deux présidents en place, Abdoulaye Wade et Amadou Toumani Touré, brigueront un second mandat, sans risque sérieux, me semble-t-il, de se voir récusés par le suffrage universel.
À leurs frontières, la Mauritanie va devoir nous montrer, elle, qu’une démocratie née d’un coup d’État peut surprendre agréablement : nous guetterons au mois de mars sa première vraie élection présidentielle transparente et reconnue comme telle par une kyrielle d’observateurs venus de tous les continents

Nous guetterons avec encore plus d’intérêt – et d’attention – l’évolution de la situation en Irak et aux États-Unis : elles sont liées, et la semaine écoulée aura marqué, pour les deux pays, un tournant.
Le 5 novembre, l’ancien dictateur d’Irak, Saddam Hussein, a été condamné par un tribunal ad hoc à être pendu et, dès le 7, a commencé un deuxième procès qui le condamnera en 2007 à la même peine, pour la deuxième fois.
Je pense que les coorganisateurs du procès, ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir en Irak et ceux qui, depuis Washington, les y ont installés, auront à cur de faire pendre ce dictateur sanguinaire qui a réprimé et humilié les premiers, fait perdre la raison aux seconds.
Ce sera plus proche de la vengeance politique que de la justice, et personne n’en sortira grandi. Notre confrère Robert Fisk, l’un des meilleurs observateurs de cette farce politique, la décrit en ces termes :
« Ainsi donc, cet ancien allié de l’Amérique a été condamné à mort pour des crimes de guerre commis à l’époque il était le meilleur ami de Washington dans le monde arabe. Bien que l’Amérique n’ait jamais rien ignoré de ses atrocités et lui ait même fourni le gaz pour les commettre – de même, bien sûr, que le Royaume-Uni -, on nous a fait savoir le 5 novembre que sa condamnation était, selon les termes de la Maison Blanche, un nouveau grand jour pour l’Irak.
Bien sûr, aucun homme ne mérite davantage ce qui lui arrive ; ou ne le mérite moins. Il ne saurait y avoir de verdict plus juste ; ni de plus hypocrite. Il est difficile d’imaginer un monstre méritant autant la potence ».

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Ce 7 novembre 2006 fera date parce qu’il aura débarrassé l’Amérique et le monde de l’omnipotence de George W. Bush, l’incompétent ; de la présence au pouvoir de Donald Rumsfeld, le malfaisant ; de la néfaste influence de Dick Cheney, le ténébreux.
Le Financial Times de Londres en dit ceci :
« Les Américains ont enfin commencé à faire payer aux dirigeants républicains et à l’administration de George W. Bush leur incompétence et leur mépris du droit. Sous la conduite de Bush et de ses séides, la démocratique Amérique est devenue pour la plupart des pays une plus grande menace que le théocratique Iran.
En dépit des tripatouillages, de la culture de l’extrémisme et de l’intimidation qui ont fleuri ces cinq dernières années, les Américains ordinaires ont fait savoir clairement qu’ils en avaient assez. »
Le New York Times est encore plus net :
« Les électeurs américains ont montré à l’évidence qu’ils veulent un changement en Irak.
Le président George W. Bush s’est finalement débarrassé de l’homme dont les erreurs de jugement et l’autorité dévoyée ont tant contribué à créer le bourbier irakien.
Mais le départ de Rumsfeld n’est qu’un premier pas. Il doit être suivi par un changement fondamental de politique si l’on veut que les soldats américains rentrent à la maison sans laisser derrière eux un désastre. »

Dotés d’un formidable pouvoir et très peu contrôlés, George W. Bush et les hommes dont il s’est entouré tenaient jusqu’ici le haut du pavé : ils étaient de ce fait suprêmement dangereux. Ceux d’entre eux qui garderont leurs postes seront désormais plus humbles parce que soumis à contrôle et cantonnés à expédier les affaires courantes. Ouf !
Mais leur influence ne disparaîtra pas du jour au lendemain, ni les effets de la détestable politique qu’ils mènent depuis près de six ans.

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Le 7 novembre 2006 fera date, certes, mais c’est seulement le début de la fin d’une mauvaise phase de l’histoire.
L’année 2007 et la suivante serviront, je pense, de transition vers une époque marquée sur tous les continents par l’arrivée aux affaires d’hommes et de femmes nouveaux.
Ils mettront de longues années à nous sortir de l’imbroglio dans lequel Bush et consorts ont mis les relations internationales : l’Afghanistan est désarticulé, l’Irak en morceaux, le conflit israélo-palestinien plus meurtrier que jamais, la Corée du Nord et l’Iran sont diabolisés et traités en parias, ce qui ne les rend pas plus dociles, l’islamisme est exacerbé au lieu d’être réduit, l’Amérique latine est au bord de la révolte, l’Afrique est laissée à l’abandon et à ses démons

Que de situations à redresser après le passage de l’ouragan Bush-Cheney-Rumsfeld sur l’Amérique et, par ricochet, sur le reste du monde.

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