Kinshasa retient son souffle

Les résultats de la présidentielle ne sont pas encore proclamés que la population, impatiente de sortir de la crise, s’inquiète déjà de l’après-scrutin et du vaste chantier qui s’ouvre pour le futur chef de l’État.

Publié le 13 novembre 2006 Lecture : 6 minutes.

En République démocratique du Congo (RDC), les candidats ont encore le sourire sur les affiches, mais les habitants font grise mine. L’angoisse du lendemain pèse lourd sur Kinshasa, où tout le monde garde encore en mémoire les tirs entendus après l’annonce des résultats du premier tour, le 20 août dernier. Les inquiétudes de la campagne ne sont pas dissipées que déjà les Congolais, épuisés par une sortie de crise qui n’a que trop duré, s’interrogent sur l’après-scrutin. « Ce pays est continuellement en situation pré-insurrectionnelle. Il est tellement riche qu’il y a de l’espoir, mais il est en permanence déchiré et le peuple se cherche désespérément un leader », tranche Jean-Paul Ilopi Bokanga, directeur d’antenne d’une radio indépendante Réveil FM, en traversant la cité de Massina, l’une des plus pauvres de la capitale. Plus de 1 million d’habitants, certainement, près de 2 millions, sans doute.
En fait personne ne sait vraiment combien de personnes s’entassent, la plupart sans eau ni électricité, dans ce dédale de ruelles tracées à travers immondices et habitations brinquebalantes. Tout juste sait-on que ces laissés-pour-compte ont fortement augmenté ces dix dernières années, fuyant la peur, la violence et les exactions des groupes armés. À Massina, ils ont trouvé un peu de sécurité, mais partagent la même pauvreté. Beaucoup de familles pratiquent le « délestage » en ne mangeant un véritable repas qu’un jour sur deux. Il y a très peu d’écoles et quasiment pas de dispensaires. La plupart des habitants sont sans emploi et vivent de petits commerces ou de débrouille. « C’est la commune rouge de Kinshasa. Beaucoup de contestations viennent de ce quartier populeux où les gens vivent au jour le jour », conclut Ilopi. Pourtant, au lendemain des scrutins législatifs et présidentiel, Massina espère.
« Pour l’instant, le discours des politiciens est sans effet sur notre quotidien. Mais en cas d’échec et s’ils ne font rien, nous pourrons les sanctionner lors du prochain scrutin », se rassure Martin Kibungi Makola, responsable d’une ONG locale, Étoile du Sud. Avant même de connaître le vainqueur du face-à-face entre Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba, les Congolais ont déjà saisi cette opportunité au Parlement. Sur les 600 députés sortants – tous cooptés -, seuls 45 % ont réussi à se faire élire et à conserver leur siège, le 30 juillet dernier. Le clientélisme des uns, le populisme des autres n’ont pas suffi. Le suffrage universel a ses règles que la RDC commence à découvrir. En ligne de mire, la reconstruction d’un pays économiquement exsangue et sociologiquement dévasté par les clivages ethniques étouffés sous l’ère Mobutu.
« Les élections ne sont qu’une étape, le plus dur est devant nous », a déclaré Joseph Kabila, avant le scrutin du 29 octobre. Outre la consolidation de la paix, son programme s’articule autour de « cinq chantiers » : emploi, infrastructures, eau et électricité, éducation, et santé. « Je peux redresser le Congo grâce à la relance de l’économie, la réforme de l’État et la mobilisation de l’aide internationale », a promis son rival, Jean-Pierre Bemba. Il y a de quoi faire. Les trois quarts des 60 millions de Congolais sont confrontés à la malnutrition. Cinquante personnes meurent chaque heure faute de médicaments, selon des statistiques fournies par le bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha).
Ce pays de 2,3 millions de km2 (77 fois la Belgique) compte moins de 2 000 kilomètres de routes goudronnées. Le port de Matadi tourne au ralenti. Victime d’un dépeçage en règle, l’ancien fleuron de l’économie nationale, la société minière Gécamines, a vu sa production de cuivre chuter de 500 000 à 17 000 tonnes en dix ans. L’exploitation illégale du bois, du diamant, de l’or et du coltan se poursuit même si les chefs de guerre ont échangé leurs cartouchières contre un costume trois-pièces. Les caisses de l’État sont désespérément vides. Plus inquiétant encore, lors de sa dernière mission, du 7 au 12 octobre, le Fonds monétaire international (FMI) a remarqué une nette reprise de l’inflation ainsi qu’un dérapage des dépenses publiques financées par la planche à billets. À la clé, une dépréciation du franc congolais de 15 % face au dollar depuis janvier dernier, après trois années de stabilité.
À Kingabwa, on n’a pas attendu le diagnostic des experts venus de Washington pour savoir que les fins de mois sont difficiles. Marie-Jeanne a huit enfants et doit payer 1 700 dollars par an pour les scolariser dans le privé. Son mari, un ancien forestier, a bien quelques économies, mais elle a dû ouvrir une petite buvette afin d’augmenter les revenus du ménage. « La qualité de l’enseignement public est très médiocre. C’est la même chose lorsqu’on tombe malade, l’hôpital général de Kinshasa est un véritable mouroir », s’insurge-t-elle. Rapidement, la conversation s’anime lorsque la politique s’invite à la table des discussions. Dans ce quartier périphérique de Kinshasa, les habitants sont essentiellement originaires de la province de l’Équateur (Nord), favorable à Jean-Pierre Bemba. C’est le cas d’Olivier, un jeune étudiant en technique médicale. « Bemba a le bagage intellectuel nécessaire et un projet pour sauver le pays », estime-t-il. À côté, Ben est natif du Katanga (Sud-Est), où Joseph Kabila a fait le plein des voix. « Le président a la confiance de la communauté internationale, et c’est un homme de paix », rétorque-t-il. L’échange n’ira pas plus loin car une de leurs amies, Gina, intervient : « Nous voulons seulement vivre comme les autres jeunes en Afrique. Pourquoi on n’y a pas droit ? »
Lors de la signature de l’accord de paix à Sun City en décembre 2002, les élections ont été considérées comme un passage obligé sur la route de la réconciliation. Objectif : permettre aux 25 millions d’électeurs de trancher entre tous ceux qui se sont partagé le pouvoir durant la transition et ainsi mettre fin à la crise de légitimité. Pour autant, les vainqueurs sauront-ils triompher sans arrogance ? Les perdants accepteront-ils leur défaite ? Les terribles affrontements entre les éléments de la garde présidentielle et ceux du vice-président, du 20 au 22 août, permettent d’en douter. « Il y a des fous furieux des deux côtés », dénonce le chef de la mission d’observation européenne, le général français Philippe Morillon.
Sans l’intervention énergique de la Monuc et des soldats européens de l’Eufor, nul ne sait ce qu’il serait advenu tant les va-t-en-guerre voulaient en découdre. À la suite de fortes pressions internationales, les deux camps ont depuis pris l’engagement de respecter le verdict des urnes et promis de garantir la sécurité de leurs opposants. Le texte a été signé, la veille du scrutin, devant les caméras de télévision. Un statut de l’opposition doit être prochainement voté à l’Assemblée nationale. Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba ont eu par ailleurs un tête-à-tête, le 7 novembre, en plein dépouillement des résultats du second tour. À l’issue de cet entretien, ils ont appelé « au calme, au respect des institutions et à éviter les actes de provocation ». Il n’empêche, les nombreux incidents qui ont jalonné la campagne électorale sont autant de signes inquiétants.
Après avoir « tenu en main les ufs » lors du premier tour pour éviter la casse, Joseph Kabila les a « déposés » pour déclarer : « En ma qualité de chef de l’État, il n’est plus question de laisser sombrer le pays dans la confusion. » Le secrétaire général du Parti du peuple pour la reconstruction (PPRD), Vital Kamehre, se montre encore plus clair : « Si Bemba bouge, on le remettra à sa place. » Le leader du Mouvement de libération du Congo (MLC) réplique : « Je ne me laisserai pas voler ma victoire. » Ambiance. Kabila dispose d’une garde dont les effectifs sont estimés à 13 000 hommes par l’organisation International Crisis Group. Bemba peut compter sur 5 000 à 6 000 combattants dévoués et bien entraînés. Mais le pire n’est jamais certain.
« Le pouvoir, c’est comme un bonbon à la menthe. Une fois fondu, le goût manque », fait remarquer Henri Mundele, le chef d’un centre de vote, à Ngaliema. « Si le prochain président se conduit mal, il nous trouvera face à lui, car, cette fois, nous aurons notre mot à dire », estime pour sa part Patrick, un habitant de ce quartier de Kinshasa. Pour conjurer le mauvais sort, chacun au Congo veut croire que le pire sera évité. Dans l’attente des résultats, prévus au plus tard le 19 novembre, les populations espèrent que cette démocratie naissante sera préservée. On pourra alors savoir si le choix des urnes a triomphé.

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