Agriculture africaine : place aux intrants !

Trop cher, mal distribué, l’engrais n’est pas entré dans les habitudes des cultivateurs du continent. Mais les industriels du monde entier, en quête de débouchés, comptent bien y remédier.

L’Asie utilise 210 kg de fertilisants par hectare, quand l’Afrique subsaharienne se contente de 8 kg.

L’Asie utilise 210 kg de fertilisants par hectare, quand l’Afrique subsaharienne se contente de 8 kg.

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Publié le 18 avril 2014 Lecture : 4 minutes.

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Agriculture : révolution de palais

Sommaire

« L’Afrique, c’est 15% de la population mondiale, 16% des terres arables de la planète et un peu plus de 3% de sa consommation d’engrais », rappelle Joël Joffre, consultant et directeur d’AGRinputS, cabinet spécialisé dans le secteur des intrants agricoles et des cultures tropicales.

Alors qu’un Africain sur quatre est encore menacé de malnutrition et que le nombre d’habitants du continent doit passer de 1,1 milliard aujourd’hui à 2,5 milliards à l’horizon 2050, cette sous-utilisation chronique d’engrais a de quoi inquiéter. D’autant qu’on constate peu d’améliorations, ces dernières années, concernant des handicaps pourtant identifiés depuis longtemps.

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Transport & distribution

« Le manque d’infrastructures de transport et de distribution, les difficultés à trouver des sources de financement pour les producteurs ou le coût élevé des barrières douanières sur un marché très fragmenté sont autant d’éléments qui limitent l’accès physique aux intrants en même temps qu’ils en gonflent le prix », explique Rob Groot, responsable régional de l’International Fertilizer Development Center (IFDC).

« L’agriculture extensive n’est plus une solution. Il faut arrêter de défricher les forêts. »

Mais la situation semble être sur le point d’évoluer. Alors que l’économie est presque à l’arrêt dans les pays développés et que les premiers signes de ralentissement se font sentir en Asie, la croissance africaine devrait rester supérieure à 5,5%, au moins pour les dix prochaines années, selon les prévisions.

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Une situation qui commence à intéresser très fortement un secteur privé en manque de débouchés commerciaux. « Nous voyons de plus en plus de fabricants venir pour tenter de comprendre les besoins du continent », confirme Patrick Heffer, directeur de l’International Fertilizer Industry Association (IFA), qui représente l’industrie des engrais.

Signe des temps, la 5e conférence Argus FMB Africa Fertilizer, qui s’est tenue fin février à Marrakech, a attiré un nombre record de participants, avec pour la première fois la présence de producteurs chinois ou du géant canadien Potash Corp. L’arrivée de grands groupes sur le continent pourrait progressivement changer la donne, notamment en Afrique subsaharienne.

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Export

La première évolution visible devrait être le lancement d’engrais adaptés aux sols du continent, alors que pour l’heure les industriels se contentent le plus souvent de produits mis au point pour d’autres régions du monde. Cette « africanisation » des fertilisants a pris corps en février lorsque Mustapha Terrab, le PDG du marocain OCP, numéro un mondial des engrais phosphatés, a annoncé l’ouverture prochaine dans le royaume d’une usine dont la production (1 million de tonnes par an) sera entièrement destinée à l’export vers le reste du continent. Un investissement de 600 millions de dollars (plus de 435 millions d’euros).

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« OCP est aujourd’hui le seul à avoir développé une stratégie aussi claire vers l’Afrique », constate Patrick Heffer. D’autres pourraient bien lui emboîter le pas, mais le secteur privé ne sera pas en mesure de lancer seul la révolution verte dont l’Afrique a besoin. Actuellement, 40% des achats d’engrais sur le continent sont subventionnés par les États. « Il faut regrouper tous les intervenants de la filière autour d’une table, à commencer par les banques et les pouvoirs publics, sans qui rien ne sera possible », reconnaît le responsable de l’IFA.

Car malgré l’apparition d’une concurrence sur le marché des engrais, les prix ne devraient pas connaître de forte baisse. Ils sont beaucoup plus élevés en Afrique que dans le reste du monde : entre 20% et 300% de plus en fonction des volumes livrés, du lieu de destination et de la densité des réseaux de distribution propre à chaque pays. « Les prix baisseront lorsque les infrastructures de transport et de stockage auront été mises à niveau », insiste Patrick Heffer.

Extension vs intensification

Si les volumes consommés ont régulièrement progressé sur le continent ces dernières décennies, cette évolution est moins liée à une intensification de l’usage des fertilisants qu’à l’extension des terres cultivées.

Selon l’IFDC, la superficie de celles-ci a plus que doublé en Afrique entre 1961 et 2011, alors qu’elle a augmenté de moins de 25% en Asie. Dans le même temps, les rendements asiatiques à l’hectare ont progressé en moyenne de 190%, contre moins de 70% au sud du Sahara. Résultat : aujourd’hui encore, les trois quarts des besoins alimentaires de l’Afrique sont satisfaits grâce aux importations.

« L’agriculture extensive n’est plus une solution. Il faut arrêter de défricher les forêts et d’exploiter ces terrains jusqu’à l’appauvrissement des sols, comme on le fait pour la culture du cacao. Sinon l’Afrique risque de devenir une savane improductive », résume Joël Joffre.

Consommation

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– Afrique : l’utilisation des engrais reste minimale

Seule solution efficace à court terme, pour les experts : généraliser la consommation d’engrais sur le continent. »Quand l’Asie utilise aujourd’hui 210 kg d’engrais par hectare, l’Afrique subsaharienne se contente de 8 kg », a rappelé à Marrakech Rob Groot, pour qui l’Afrique orientale fait office de bon élève. « Le Kenya est l’actuel champion africain avec 32 kg à l’hectare, mais l’Inde, elle, atteint 178 kg et le Brésil 142 kg », précise encore le responsable de l’IFDC, qui ne choisit pas ces deux États par hasard.

Ils sont en effet considérés par les experts comme les deux exemples les plus pertinents à suivre et à combiner pour l’Afrique, « l’Inde parce qu’elle présente une structure paysanne assez similaire, reposant sur des exploitations de petite taille, le Brésil de par la nature de ses sols, assez pauvre à l’origine », explique Patrick Heffer.

Alors comment les agriculteurs brésiliens ont-ils réussi le tour de force de faire des Cerrados une région de production intensive de soja ? En y déversant pendant des années du phosphate et de la potasse pour amender (améliorer la productivité et la fertilité) leurs terres. « Une pratique aujourd’hui inconnue en Afrique, en dehors de quelques grandes plantations tournées vers les cultures de rente », constate Joël Joffre. Pis : les experts constatent que, dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, les terres cultivées, loin d’être de plus en plus riches, montrent des signes d’épuisement.

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