[Tribune] Pourquoi de plus en plus de leaders de l’opposition sont placés en résidence surveillée

Soucieux de ne pas s’attirer les foudres de leur population ou de la communauté internationale, certains régimes africains se contentent désormais d’enfermer leurs opposants à leur domicile, les plaçant dans une situation de non-droit.

Manifestation des opposants au président camerounais Paul Biya à Paris, en octobre 2018. © Julien Mattia/NurPhoto/AFP

Manifestation des opposants au président camerounais Paul Biya à Paris, en octobre 2018. © Julien Mattia/NurPhoto/AFP

  • Paulette Oyane Ondo

    Avocate au barreau du Gabon, présidente du Centre pour la promotion de la démocratie et la défense des droits de l’homme

Publié le 8 janvier 2021 Lecture : 3 minutes.

Tout au long de l’année 2020, un nouveau phénomène politico-judiciaire s’est installé en Afrique francophone, en particulier dans les pays où l’alternance n’est pas encore entrée dans les mœurs : l’enfermement de leaders de l’opposition dans leur propre résidence. Du Togo au Cameroun, en passant par le Gabon, la Côte d’Ivoire et la Guinée, les principaux opposants ont fait les frais de ce traitement juridiquement innommé, auquel les régimes qui le pratiquent ne donnent pas de nom non plus, et dont les victimes n’ont pas de statut juridique.

En état de siège

Ils ne sont pas prisonniers. En droit, pour être considéré comme tel, il faut avoir fait l’objet d’un mandat de dépôt et être écroué. Ils ne sont pas en résidence surveillée non plus. C’est une peine judiciaire relevant d’une décision de justice par laquelle un juge ordonne à une personne de vivre dans un périmètre donné, lequel peut se limiter à son domicile, avec une restriction des moyens de communication.

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Pour autant, les leaders politiques enfermés chez eux ne sont pas séquestrés : en droit pénal, un enfermement sans violence physique par une autorité légale n’est pas une séquestration. La figure de l’opposition enfermée dans sa maison se trouve ainsi dans une situation de non-droit. Alors que nulle autorité officielle ne le lui interdit formellement, elle ne peut pourtant quitter son domicile encerclé par les forces de l’ordre ; celui-ci est de fait en état de siège.

Des châtiments moins brutaux

Jusqu’au XXe siècle, le traitement réservé aux chefs de file de l’opposition allait de l’emprisonnement à l’assassinat, en passant par l’assignation à résidence dûment notifiée, sans oublier l’exil et le bombardement de biens immobiliers par des chars et des avions. Pour brutaux que fussent ces mécanismes punitifs, les opposants qui les subissaient avaient un statut juridique clairement identifié : ils étaient des « morts pour la liberté », des prisonniers politiques, des assignés à résidence, des exilés.

Emprisonner un leader politique peut contribuer à lui forger une stature de défenseur du peuple

Bien qu’étant les seuls à communiquer – en imposant leur point de vue au niveau national à travers les médias d’État et en présentant des plaidoyers devant les instances internationales pour justifier de leurs actions –, les pouvoirs en place prenaient la précaution d’envelopper leurs châtiments du manteau du droit.

Les régimes actuels s’affranchissent de cette précaution minimale et font allègrement dysfonctionner la justice. Comme si c’était le moyen de s’assurer la longévité au pouvoir.

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En effet, les choses ont bien changé au fil des décennies. D’abord, depuis 1990, les assassinats politiques ne sont plus une option, sauf à vouloir s’attirer les foudres de la communauté internationale. Ensuite, emprisonner un leader politique peut contribuer à lui forger une stature de défenseur du peuple, à accroître son capital sympathie auprès des populations en donnant du régime, a contrario, une image désastreuse à l’international, alors même qu’il s’emploie à la soigner. Enfin, l’on ne peut nier le rôle des réseaux sociaux, qui ont libéré l’expression des populations de ces pays et apparaissent désormais comme un contrepoids aux médias d’État.

Aucune sanction

Ces petits arrangements avec la justice paraissent surprenants, la plupart des États africains ayant ratifié des textes internationaux censés garantir à tous les citoyens le droit à une justice équitable. Plusieurs pays ont d’ailleurs inscrit la Déclaration universelle des droits de l’homme dans leur Constitution.

La seule solution reste la construction nationale d’un réel État de droit

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En réalité, seules les déclarations trouvent grâce aux yeux de ces États car, contrairement aux conventions, chartes et pactes internationaux, elles n’ont aucun pouvoir de coercition. C’est une norme morale dont la violation ne donne lieu à aucune sanction. Les pays africains ont donc une tendance à se désengager des instruments internationaux qui leur imposent le respect de leurs obligations. C’est ce qui se passe depuis un certain temps avec la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.

La seule solution reste la construction nationale d’un réel État de droit. Afin d’éviter l’arbitraire, la loi doit être la même pour tous : pas de privilèges, pas d’exceptions et tous les citoyens doivent être en mesure de dire si leurs actes sont légaux. Et pour éviter que malgré tout l’État n’abuse de son autorité, la séparation des pouvoirs doit être effective. Par la disposition des choses, le pouvoir doit arrêter le pouvoir.

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