[Tribune] Panafricanisme : la panne africaniste
Il est de bon ton de se dire panafricaniste, mais soixante ans après la création de l’OUA, le concept n’est plus qu’une coquille vidée de sa substance et de son idéal par l’incurie de nos dirigeants et les ingérences des Occidentaux.
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Gauz
Écrivain ivoirien, auteur de « Debout payé » (2014), « Camarade papa » (2018), et « Black Manoo » (2020).
Publié le 9 janvier 2021 Lecture : 3 minutes.
Peut-on encore critiquer le panafricanisme ? Le sujet est clivant, souvent défendu par des ayatollahs au verbe mystique et à la fatwa facile. On s’imagine bien un Gauz, dramatiquement héroïque, se dressant face à une meute de « panafricanistes » enragés, lançant ses arguments tranchés contre des incantations cabalistiques directement inspirées des pyramides.
Gardez votre imagerie de super-héros, je tremble de peur ! D’autant plus qu’après avoir sorti un roman en plein Covid-couvre-feu (oui, la promo est bancale), je viens de voir mon dossier de demande de nationalité malienne rejeté (« du tout cuit », m’avait-on pourtant assuré).
Fantasmes salvateurs
Si je n’avais pas si peur des « panafricanistes », je leur dirais que « pan » est un « tout » grec porté par une civilisation occidentale méprisante, pour laquelle « noir, c’est noir », et qu’« africaniste » renvoie à une spécialité universitaire, au même titre qu’entomologiste ou botaniste.
J’ajouterais qu’il est tellement difficile de définir « africain » que « panafricain » en devient un sophisme. Je rappellerais que cette idée est un bon sentiment perpétuel, né en des milieux ultramarins qui ont eu la poésie de s’inventer une Afrique unique pour résister à l’oppression séculaire, et que cette Afrique a été un foyer de projection de fantasmes salvateurs.
Je me méfie d’une idéologie qui n’a que des « pères fondateurs » et pas une seule mère cachée dans un couloir de l’Histoire
Je continuerais en leur expliquant que les « pères fondateurs » ont peut-être gagné en émancipant les peuples et en créant l’Organisation de l’unité africaine (OUA), mais qu’ils ont aussi définitivement perdu quand la construction du nouveau siège de l’Union africaine (UA) a été confiée aux Chinois. Comment auraient-ils pu imaginer que soixante ans plus tard, les États-Unis et l’Union européenne assureraient les trois quarts du budget de fonctionnement de ce qui est à ce jour la plus grande entité panafricaine ?
Je leur dirais aussi que je me méfie d’une idéologie qui n’a que des « pères fondateurs » et pas une seule mère cachée dans un couloir de l’Histoire ou dans les cuisines enfumées des mémoires. Je leur parlerais de mon ami Bruno Jaffré, qui n’est pas africain, mais qui a compilé en un superbe ouvrage tous les discours de Thomas Sankara, figure africaine et idole « panafricaniste », et je leur ferais remarquer que l’occurrence « panafricanisme » y est rare comme poil sous la plante de pieds africains. Et oui, j’utilise des guillemets parce que les « panafricanistes » ont glissé de l’ordre des idées à l’ordre religieux, et que j’ai conscience d’être un blasphémateur plutôt qu’un contradicteur.
Humiliation suprême
Mais comme j’ai peur, je m’abstiens et préfère me concentrer sur une actualité africaine qui m’a révulsé, moi, sans les toucher eux. Le 10 décembre dernier, sur les bancs de l’Assemblée nationale française, se discutait un projet de loi portant réforme du franc CFA et comportant un seul article visant à approuver un texte qui a été signé en catimini entre deux banquiers, il y a un an, à Abidjan.
Il s’agissait de monnaie, l’outil fondamental avec lequel un peuple pilote son développement économique, de monnaie de pays africains indépendants et souverains. Les peuples concernés n’étaient même pas informés, encore moins instruits de ce qui se tramait dans le ventre de leur futur.
Des millions de destins africains ont ainsi été scellés à Paris, en pleine capitale « panafricaniste »
Leurs dirigeants ? Occupés à les maintenir sous des cieux obscurs qui auront les apparences de la démocratie ! Et comme s’il ne s’était rien passé depuis soixante ans, des millions de destins africains ont ainsi été scellés à Paris, en pleine capitale « panafricaniste » (oui, la France est probablement le plus grand nid de « panafricanistes » au monde).
Pas une seule manifestation, aucune action symbolique d’aucun Africain, avec ou sans préfixe. À peine quelques murmures sur les réseaux sociaux pourtant enflammés par le déboulonnage de statues d’hommes blancs quelques mois auparavant.
Moi, c’est sur internet que j’ai assisté en direct à l’une des plus grandes humiliations des souverainetés d’Afrique d’expression française depuis les indépendances. Je n’imaginais pas ressentir plus grand sentiment de honte que lors de l’arrestation (en direct aussi) de Laurent Gbagbo, président élu de Côte d’Ivoire, par une simple opération de police française.
Seul le Parti communiste a voté contre ce projet de loi. Mais, le processus législatif n’est pas terminé. Si nos dirigeants ne veulent pas bouger de leurs sièges présidentiels, au moins les Afriques peuvent-elles assiéger ces assemblées de France où l’on décide pour eux et sans eux. Sinon, ce sera la panne africaniste totale.
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