Théo Ceccaldi à Addis-Abeba, à la poursuite de l’éthio-transe

Avec les chanteuses éthiopiennes Hewan G/Wold et Haleluya T/Tsadik, le violoniste français célèbre les noces enfiévrées des sons azmaris et du jazz. Leur projet, baptisé « Kutu », sera bientôt en tournée africaine.

Théo Ceccaldi entouré des chanteuses les chanteuses Hewan G/Wold et Haleluya T/Tsadik © Yonas Tadesse

Théo Ceccaldi entouré des chanteuses les chanteuses Hewan G/Wold et Haleluya T/Tsadik © Yonas Tadesse

leo_pajon

Publié le 23 décembre 2020 Lecture : 3 minutes.

Pendant quelques semaines, les « stories » partagées par Théo Ceccaldi sur sa page Facebook avaient de quoi agacer les Terriens encore confinés. On y voyait les rues d’Addis saturées de soleil, les restaurants vibrant de vie, et surtout les clubs de la capitale palpitant au son du hip-hop américain et de la musique traditionnelle des groupes locaux, entre sessions de twerks et de farotage.

« Quand je suis venu la première fois à Addis, la directrice culturelle de l’Alliance éthio-française m’a guidé dans les azmari bets, des petits clubs entre scènes de stand-up et cafés concert, se souvient le violoniste. Les chanteurs se déplacent de table en table, ils racontent des histoires sur toi, ta famille, souvent marrantes, et si tu leur files quelques biftons, ils poursuivent leur improvisation. »

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https://www.facebook.com/theoceccaldimusique/posts/2735267646735959

Nouvelle scène éthiopienne

Le musicien français, Victoire du Jazz en 2017, n’est pas encore sorti de la promotion de son précédent disque, Constantine (Brouhaha / Tricollectif / Full Rhizome), un album de famille solaire réalisé avec son frère violoncelliste Valentin, et reprenant des pièces écrites par leur père Serge, prolifique multi-instrumentiste originaire de la ville algérienne. Chaque morceau convoque un invité (Leïla Martial, Abdullah Miniawy, Michel Portal…) pour une célébration joyeuse qui bâtit des ponts entre les générations, les genres musicaux et les géographies.

Je voulais savoir ce que la jeunesse avait fait de l’héritage des « Éthiopiques » et de la culture azmari »

Son nouveau projet n’est pas si éloigné, sur le fond, même s’il s’agissait au départ pour Théo de tâter le pouls de la nouvelle scène éthiopienne. « Comme beaucoup, je connaissais les Éthiopiques [une série d’une trentaine de disques édités par le label Buda Musique compilant des trésors de l’éthio-jazz des années 1970], mais je voulais savoir ce que la jeunesse, celle qui a entre 25 et 35 ans aujourd’hui, avait fait de cet héritage et de la culture azmari. »

Son oreille avait déjà été titillée par un groupe de rock, le Jano Band, créé en 2011 et déjà connu à l’international, avec des concerts semés un peu partout sur la planète, du Brésil, à l’Italie en passant par le Japon, les États-Unis ou la Suède. « Théo est venu au concert, on s’est échangés nos numéros et on s’est donnés rendez-vous, c’est aussi simple que ça, raconte Hewan G/Wold, chanteuse de Jano Band, qui était accompagnée ce jour-là par sa comparse Haleluya T/Tsadik. Quand on s’est retrouvés, on a improvisé ensemble, et ce qu’on a fait ne ressemblait à rien de ce qu’on connaissait jusque-là. C’était une nouvelle vibration, on a adoré ! »

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Pilules musicales psychédéliques

Le trio envisage alors un projet commun, Kutu (qu’on pourrait traduire par « en avant ! »), un premier titre qui sortira en février, une tournée en France (dont le 26 mars à Orléans et le 31 mars au festival Banlieues Bleues, à Pantin, en région parisienne…), puis en Éthiopie et dans plusieurs pays du continent (Kenya, Ouganda, RDC…) avec l’aide de l’Institut français.

Concocté avec les chanteuses Hewan G/Wold et Haleluya T/Tsadik, « Kutu » est un cocktail explosif

Une maquette donne déjà une idée du cocktail explosif que ces trois artificiers ont concocté. C’est un mélange de beaucoup, beaucoup, de sonorités, souvent trafiquées : chant azmari traditionnel ou phrasé rap cinglant, voix déformées par des vocodeurs, violon lancinant semblable à une sirène de camion de pompier, bulles de synthétiseur, beat électro minimaliste. Un chaos ordonné, sans structure immédiatement identifiable, qui agite le corps et dont les boucles électroniques propulsent dans un univers parallèle. Ce n’est pas pour rien qu’ils ont choisi le terme d’éthio-transe pour qualifier leurs pilules musicales psychédéliques.

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https://www.instagram.com/p/CIlYq3TAQBF/

Le son futuriste de Kutu est aussi un retour aux sources. Lors de son premier séjour à Addis-Abeba, Théo Ceccaldi a passé quelques jours avec le batteur Teferi Assefa, un quadra virtuose qui a donné un coup de fouet à l’éthio-jazz en s’appuyant sur des rythmiques traditionnelles collectées un peu partout dans le pays. « On a voulu nous aussi revenir à la puissance des musiques tribales », note le violoniste. « La musique éthiopienne est quelque chose de très fort, de sacré, qui imprègne toute la pop et dont il est difficile de sortir, précise Haleluya T/Tsadik. Mais on voulait aussi se rapprocher de sonorité plus urbaines, rap. »

Le vaisseau Kutu est donc prêt à décoller très loin, en s’affranchissant des frontières spatiales et temporelles. Et si les thématiques de l’émancipation féminine, de l’espoir dans l’avenir des jeunes éthiopiens, ne sont pas frontalement évoquées dans les paroles, elles sont bien le sous-texte positif, combatif, de cette réjouissante expérimentation musicale.

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