[Tribune] Le crépuscule des oppositions en Afrique francophone

L’économie de la « démocratie » est importante, mais elle ne suffira pas à enrayer la fin des partis politiques sous leur forme traditionnelle.

Un partisan des partis d’opposition lors d’une manifestation après que les forces de sécurité ont bloqué l’accès à la maison de l’ancien président Henri Konan Bedié, à Abidjan, le 3 novembre 2020. © Leo Correa/AP/SIPA

Un partisan des partis d’opposition lors d’une manifestation après que les forces de sécurité ont bloqué l’accès à la maison de l’ancien président Henri Konan Bedié, à Abidjan, le 3 novembre 2020. © Leo Correa/AP/SIPA

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Publié le 5 janvier 2021 Lecture : 4 minutes.

Longtemps nous avons vécu dans l’illusion de la « fin de l’Histoire ». Nous avons pensé que les indépendances et, surtout, l’ouverture de la parenthèse démocratique des années 1990 marquaient le début d’une transition vers une Afrique plus juste, plus prospère ; que l’Histoire serait une longue marche vers un progrès inéluctable.

Mais alors que l’année 2020 vient de s’achever, que voyons-nous ? Sur le plan politique, elle aura été d’un cru plus que douteux. À coups d’arrestations arbitraires, de harcèlement des partis d’opposition, de répression des manifestations, de tripatouillages constitutionnels, les « mauvais élèves » de la zone francophone ont tenu leur rang. L’impunité dont ils jouissent a fini par inspirer des pays à la réputation moins entachée. Le résultat est un paysage démocratique considérablement dégradé. Cette dégradation mérite toute notre attention, car elle survient trente ans après les conférences nationales souveraines censées mettre l’Afrique (francophone) sur le chemin de la démocratie.

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Rôle de faire-valoir

Nous en sommes plus loin que jamais. Les élections sont à tel point décrédibilisées par la fraude que l’on est en droit de s’interroger sur l’intérêt de poursuivre cette fiction. L’abstention ne cesse de croître. Les partis au pouvoir fusionnent avec des États dont ils se servent des ressources et des institutions pour écraser toute velléité de contestation, entérinant le retour de facto à des systèmes de partis uniques. Asphyxiés par une répression féroce, trop souvent fragilisés par leurs propres incohérences, les partis d’opposition qui rejettent le rôle de faire-valoir qui leur est assigné sont soumis à un régime de persécution qui leur laisse peu de chances d’émerger.

Dans ces conditions, et en l’absence du soutien d’une communauté internationale qui oscille entre realpolitik et défense de prétendues valeurs universelles, il n’est pas absurde d’acter la mort du principe de l’opposition politique en Afrique francophone et de préparer la prochaine étape.

Bien sûr, la fiction persistera un moment. L’économie de la « démocratie » est importante. S’y mêlent des ONG vivant du business des élections, des activistes financés par divers organismes pour réciter le catéchisme démocratique, des think tanks instrumentalisant la démocratie pour servir des desseins politiques, des médias moralisateurs, des opposants opportunistes en quête d’un statut, d’un strapontin ministériel ou de quelque prébende, de sincères militants réclamant une véritable démocratie, et, bien entendu, des autocrates en quête permanente d’une fausse mais nécessaire « légitimité ».

Des partis vieillissants

La greffe du principe d’opposition dans le corpus politique de maints pays africains a toujours été une gageure. Nombre de nos sociétés fonctionnent encore sous un mode colonial. La raison d’être des États, dont les structures sont souvent héritées de cette époque, est d’imposer un ordre unique. Lesdits États ont rarement été reconfigurés pour servir un projet démocratique. Dès lors, il n’est guère étonnant qu’ils s’accommodent mal d’un modèle politique qui repose sur l’idée que la dissension est fertile.

La mutation vers une nouvelle manière de faire de la politique est à l’œuvre à travers le monde. L’Afrique en sera un laboratoire privilégié

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Cette dissension a toujours été incarnée par des partis d’opposition. Mais ces derniers sont vieillissants. Ils reposaient sur des idéologies puissantes, qui s’exprimaient dans des mouvements de masse représentant des intérêts sociaux, économiques et culturels distincts. La mise en mouvement de ces grosses machines exigeait une organisation méticuleuse, des financements importants, une logistique sophistiquée. La mort des grandes idéologies, la complexification croissante de l’économie, l’interconnexion du monde appelaient une approche renouvelée du combat politique dans des démocraties artificielles.

L’Afrique, laboratoire privilégié

La mutation vers une nouvelle manière de faire de la politique est à l’œuvre à travers le monde. L’Afrique en sera un laboratoire privilégié. Sa démographie est, de ce point de vue, un atout. Avide de changement et adepte des nouvelles technologies, sa jeunesse a pris le pouvoir sur ce qui est déjà le nouveau terrain d’expression politique : les réseaux sociaux.

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Cette nouvelle technologie est certes chaotique. Elle accroît la polarisation, alimente l’irrationalité et une forme de radicalité. Mais elle est souple, dynamique et assez peu coûteuse. Son potentiel révolutionnaire est considérable. Plusieurs gouvernements africains l’ont bien compris, qui investissent désormais dans la surveillance et le contrôle des réseaux sociaux.

Cette guerre pour le contrôle du monde virtuel sera l’un des grands enjeux du monde de demain, et l’une des grandes batailles qui sera menée en Afrique. La fin progressive et inéluctable du parti politique sous sa forme traditionnelle ne signifie donc pas, loin de là, la fin de l’opposition. Bien au contraire, il est possible que le meilleur soit à venir.

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