Daniel Chéron : « Évitons les excès constatés en Argentine ou au Brésil »
Le semencier français Limagrain vient de prendre une participation dans le numéro un africain, Seed Co. Son patron, Daniel Chéron, affiche ses ambitions et partage sa vision du développement agricole du continent.
Agriculture : révolution de palais
Quatrième semencier mondial, Limagrain a réalisé 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2013. Établi sous forme de coopérative, le groupe français est notamment actif dans le domaine des semences potagères et dans celles de grandes cultures (maïs, blé, etc.) via la société cotée Vilmorin, dont il contrôle 72,5 % du capital. Pour conforter son leadership, Limagrain s’est implanté dans les principales zones émergentes, comme le Brésil, l’Asie ou, très récemment, l’Afrique. Daniel Chéron, son directeur général, décrypte la stratégie du semencier français et livre son opinion sur le potentiel du continent.
Propos recueillis par Julien Clémençot
Jeune afrique : Comment jugez-vous le potentiel agricole africain ?
Daniel Chéron : Très important. Les surfaces cultivées sont évaluées à 200 millions d’hectares, soit deux fois plus qu’en Europe. Le continent représente un peu plus de 16 % des terres arables mondiales. Et les experts estiment que ces surfaces pourraient être doublées. Par ailleurs, les rendements restent faibles. Celui du maïs est de 2 tonnes par hectare aujourd’hui, contre 9 t en France. L’Afrique pourrait assez facilement doubler sa capacité. Cela suppose bien sûr d’importants investissements en infrastructures, notamment pour développer l’irrigation. Mais pour un continent dont la population atteindra 1,5 milliard d’habitants en 2030 et qui veut devenir autosuffisant sur le plan alimentaire, cela paraît incontournable.
Combien pèse le marché des semences sur le continent ?
En 2012, il représentait 1 milliard de dollars [756,5 millions d’euros environ], dont 40 % pour les semences de maïs. Les principaux marchés sont l’Afrique du Sud (400 millions de dollars), l’Égypte et le Maroc (140 millions chacun), et le Nigeria (120 millions).
Entrer au capital de Seed Co., c’est un moyen de comprendre le continent.
Que représente l’Afrique dans la stratégie de Limagrain ?
Ces dix dernières années, notre approche était centrée sur le développement des semences potagères, principalement en Afrique du Nord (au Maroc, en Égypte et en Algérie) et en Afrique du Sud.
Dans la région d’Agadir, nous assistons à un développement important des cultures maraîchères sous serre, destinées à la consommation locale mais aussi aux marchés européens. L’activité des semences potagères a représenté environ 35 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2012, soit plus de 85% de nos revenus africains.
Mais depuis un an, vous vous développez aussi sur le marché des semences de grandes cultures…
Limagrain a décidé d’être présent dans toutes les zones à fort potentiel agricole, que ce soit au Brésil, en Argentine, en Ukraine, en Russie, en Chine ou dans le Sud-Est asiatique. Dans le domaine des grandes cultures, seule l’Afrique faisait exception.
Nous avons acheté en janvier 2013 Link Seed, une acquisition modeste [la société affiche 10 millions d’euros de chiffre d’affaires], mais qui nous a permis de nous implanter en Afrique du Sud avec comme objectif principal le marché des semences de maïs. Cette culture représente 35 millions d’hectares sur le continent, soit une surface presque équivalente à celle exploitée en Amérique du Nord.
Et, très récemment, nous avons décidé d’aller un peu plus loin en prenant une participation de l’ordre de 20% dans le semencier Seed Co., leader africain. Cette société cotée installée au Zimbabwe réalise plus de 100 millions de dollars de chiffre d’affaires. Elle est présente dans une dizaine de pays, de l’Afrique du Sud à la Tanzanie, et cherchait un partenaire pour poursuivre sa croissance, notamment dans la recherche. Nous lui apportons des ressources financières et technologiques pour rester compétitive face à des groupes comme Monsanto, Syngenta ou Pioneer.
Votre groupe pèse 2 milliards d’euros. Pourquoi avoir pris une participation minoritaire ?
Entrer au capital de Seed Co., c’est un moyen de comprendre le continent. Nous construisons une stratégie à long terme. Notre idée est d’accompagner cette société pour qu’elle développe des produits adaptés à la demande et aux enjeux. Si l’occasion d’augmenter notre participation se présente, nous y réfléchirons, mais nous ne sommes pas pressés. L’accord passé avec les actionnaires de l’entreprise impose que Limagrain ne contrôle pas plus de 30% du capital dans un premier temps.
Le continent peut être difficile pour les investisseurs, comment abordez-vous ce nouveau défi ?
Notre statut de coopérative nous met à l’abri d’une pression à très court terme, et nous avons la conviction que l’Afrique est une terre d’avenir. S’installer au Brésil a constitué un défi plus important peut-être, car nos concurrents y étaient présents depuis un certain temps. Alors que sur le continent, rien n’a véritablement démarré, en dehors de l’Afrique du Sud. Le premier semencier africain nous ouvre son capital, c’est une belle opportunité. Par ailleurs, cela renforce nos ressources génétiques de semences avec des variétés proches de celles utilisées en Inde et au Brésil.
Votre avenir sur le continent passe donc dorénavant en priorité par les semences de grandes cultures ?
Non, pas uniquement. Notre approche est double. Dans ce domaine, les pays anglophones iront plus vite que les francophones. Mais pour les semences potagères, ce sera peut-être différent. Nous sommes très attentifs au cas du Sénégal par exemple. D’ailleurs, si une occasion se présente, nous la saisirons.
Votre développement s’appuie-t-il forcément sur des acquisitions ?
Dans nos métiers, il est très difficile de partir de zéro, eu égard à l’importance des ressources génétiques. Quand le groupe décide d’aller en Afrique, cela implique des acquisitions. Chaque année, nous mobilisons une centaine de millions d’euros environ pour poursuivre notre croissance externe au niveau mondial.
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Quelle est la qualité des semences africaines ?
Pour beaucoup d’espèces, les agriculteurs utilisent encore des semences peu élaborées. Seule l’Afrique du Sud cultive des maïs à 100 % hybrides [issus de parents différents]. Dans certains pays, elles sont employées sur moins de 10 % des surfaces cultivées seulement. Le travail de recherche de lignées adaptées va entraîner des gains de rendement significatifs.
Limagrain milite aussi pour l’adoption des organismes génétiquement modifiés (OGM)…
C’est exact. Cette technologie peut faire face à un certain nombre d’enjeux, notamment en Afrique : en matière de besoins hydriques, par exemple. Encore une fois, c’est une stratégie à long terme. Sur le continent, seuls le Burkina Faso, l’Afrique du Sud et, dans une moindre mesure, l’Égypte et le Soudan misent sur les OGM. Pour les autres, une grande incertitude demeure. Limagrain n’a pas encore entamé de programme de recherche (via Link Seed), mais le fera à terme.
De plus en plus de groupes créent de très grandes exploitations. Faut-il, selon vous, respecter un équilibre entre les agricultures industrielles et paysannes sur le continent ?
La consolidation du secteur est inévitable. Mais il faut espérer que l’agriculture africaine restera aux mains des paysans et ne connaîtra pas les excès constatés en Argentine ou au Brésil, où certaines exploitations dépassent 10 000 ha, voire 20 000 ha. Si c’était le cas, je ne sais pas comment le continent pourrait gérer l’exode rural massif qui en découlerait.
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