Grand-messe pékinoise

En recevant plus de 40 dirigeants africains pour une rencontre historique, l’empire du Milieu ne cache plus ses ambitions sur le continent.

Publié le 13 novembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Pékin, début novembre. La capitale chinoise a une drôle d’allure. Depuis une dizaine de jours, les grandes artères sont recouvertes d’étranges affiches, immenses. Ici, une girafe dans un soleil couchant. Là, un éléphant parcourant la savane. Plus loin, un homme torse nu coiffé d’une toque léopard Ces clichés sont accompagnés de quelques lignes en français, en anglais et en mandarin vantant l’Afrique « terre de mystères et de miracles » et célébrant « l’éternelle amitié » sino-africaine. Si 2006 était l’Année de l’Afrique en Chine, Pékin a revêtu ces nouveaux habits pour une autre occasion : le plus grand sommet international jamais organisé en Chine, le troisième Forum sino-africain (les deux premiers ont eu lieu en 2000 et en 2003), cette fois-ci réservé aux chefs d’État et de gouvernement du continent et non plus aux seuls ministres. Les 4 et 5 novembre, 41 hauts dirigeants africains sur les 48 pays conviés (les cinq pays reconnaissant Taiwan ont été invités à envoyer des observateurs) se sont retrouvés au Palais du peuple, sur la place Tiananmen. Un signal fort émis par la Chine en direction du reste du monde : désormais, il faudra compter avec nous.
« La Chine sera toujours un ami, un partenaire et un frère de l’Afrique », a déclaré le président Hu Jintao. Estimés à 3 milliards de dollars en 1995, les échanges commerciaux sino-africains ont atteint 40 milliards de dollars en 2005, et ils pourraient doubler d’ici à 2010. Une Chine qui assure déjà 10 % du commerce africain et prend petit à petit des marchés à l’Europe, qui, si elle demeure le premier partenaire économique du continent, a néanmoins perdu 1 % de parts de marché chaque année au cours de la dernière décennie.
L’ouverture de cette grand-messe a été révélatrice de l’approche chinoise des relations avec l’Afrique et, notamment, de son sacro-saint principe de non-ingérence dans les affaires intérieures : deux « parias » du continent étaient présents, le Soudanais Omar el-Béchir et le Zimbabwéen Robert Mugabe. Béchir en a notamment profité pour remercier publiquement la Chine de lui avoir apporté son soutien en ne votant pas la résolution de l’ONU décidant l’envoi de Casques bleus au Darfour. « La Chine ne s’immisce pas dans les affaires internationales », s’est-il félicité.
Ce sommet aura été l’occasion de sceller un pacte que les autorités chinoises estiment durable. Et, pour s’assurer les bonnes grâces de ses invités de toute manière déjà séduits et fascinés par un pays qu’ils ont appris à découvrir, Pékin n’a pas lésiné sur les moyens. Si la déclaration finale met en avant les grands principes officiels du partenariat (égalité politique, confiance mutuelle, coopération économique « gagnant-gagnant » et échanges culturels), les Africains attendaient du concret. Le Premier ministre chinois, Wen Jiabao, a proposé de porter le volume du commerce bilatéral à 100 milliards de dollars en 2010, plus du double du niveau actuel. « Si la Chine a un excédent commercial avec l’Afrique depuis quelques années, nous souhaitons étendre nos importations en provenance du continent », a expliqué Wen Jiabao. Autres mesures : le président Hu Jintao s’est engagé à doubler l’aide allouée au continent en 2009, à porter de 190 à 400 le nombre de produits exemptés de droits de douane pour les pays les moins avancés et à accorder 3 milliards de dollars de prêts préférentiels et 2 milliards de dollars de crédit à l’exportation au cours des trois prochaines années. Sans oublier la création d’un fonds spécial de 5 milliards de dollars destiné à encourager les entreprises chinoises à investir sur le continent. Trois secteurs d’activité ont été mis en avant : tourisme, finances et télécoms. Enfin, les dirigeants chinois ont annoncé qu’ils annuleraient la dette des pays pauvres très endettés (PPTE) et des pays les moins avancés (PMA) et renforceraient les programmes de formation en direction du continent. La Chine augmentera le nombre de bourses accordées aux étudiants africains et formera 15 000 professionnels au cours des trois prochaines années.
Le sommet a également été l’occasion de signer d’importants contrats commerciaux, d’une valeur globale de 1,9 milliard de dollars. Le plus important concerne la construction en Égypte (le premier pays africain à avoir noué des relations diplomatiques avec la Chine) d’une usine de production d’aluminium. Montant de la transaction : 938 millions de dollars. Fait marquant, aucune annonce d’accord pétrolier n’a été faite, alors que la Chine achète 30 % de ses importations d’hydrocarbures à l’Afrique (son premier fournisseur, l’Angola, a detrôné l’an dernier l’Arabie saoudite). Une manière de répondre aux critiques sur le pillage des ressources du continent ?
Si les dirigeants africains voient dans ce nouveau partenariat de nombreux avantages (mise en concurrence de leurs partenaires occidentaux que sont l’Europe et les États-Unis, ouverture d’un nouveau marché, obtention de crédits à moindre coût et sans condition de bonne gouvernance, potentiel d’investissement, etc.), il n’en va pas de même pour tout le monde. Les « concurrents » occidentaux dénoncent des pratiques déloyales. « Nous ne luttons pas avec les mêmes armes, explique un diplomate européen en poste à Pékin. Les Chinois donnent tout sans autre condition que la défense de leurs propres intérêts, quelle que soit la nature du régime en face. C’est trop facile et immoral. » Le président de la Banque mondiale, l’Américain Paul Wolfowitz, s’est inquiété de l’utilisation de la manne financière de la Chine en direction du continent. À l’heure où les annulations de dettes se font en échange d’une meilleure gestion, la Chine débarque avec ses crédits et ses dons, sans prendre de gants. Wolfowitz a ainsi incité Pékin « à ne pas commettre les mêmes erreurs que la France ou les États-Unis par le passé ».
Enfin, les Africains eux-mêmes s’inquiètent des pratiques de la Chine. Pour les populations, les produits chinois, incontestablement moins onéreux, représentent une aubaine pour leur pouvoir d’achat, mais une menace pour leurs industries locales et la création d’emplois. D’un point de vue environnemental, c’est également le grand flou. Peu enclines à respecter les règles en la matière, des entreprises chinoises se sont par exemple fait épingler au Gabon, où la prospection sauvage de pétroliers dans le Parc national de Loango mettait en péril des espèces animales et végétales protégées.
Il est difficile de dire aujourd’hui si la montée en puissance de la Chine en Afrique représente une véritable chance pour le continent. Le sommet de Pékin n’a levé aucun doute. Il a simplement marqué une donne nouvelle : l’Afrique n’est plus une chasse gardée. Mais c’est aux Africains eux-mêmes de faire en sorte d’y trouver leur compte. En n’acceptant pas n’importe quoi à n’importe quelles conditions, en protégeant leurs économies déjà fragiles, bref en ne se précipitant pas sans réfléchir dans la gueule de ce que certains décrivent déjà comme un nouveau loup.

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