Des intérêts partagés

L’économie chinoise a trouvé en Afrique les matières premières pour alimenter sa croissance. Quelle contrepartie pour ses fournisseurs ?

Publié le 13 novembre 2006 Lecture : 6 minutes.

Les salons capitonnés des grands hôtels bruissent quotidiennement de leurs conversations, les arrière-cours des boutiques les voient compter et recompter leurs recettes du jour, les casinos et les bars dépenser le fruit de leur travail. La présence des Chinois passe de moins en moins inaperçue sur le sol africain tant leur nombre s’est accru depuis la décision du Parti communiste de se tourner vers la libre entreprise. « À partir de 1995, la Chine a adapté sa coopération économique à ses objectifs politiques », explique Wang Yingying, spécialiste des questions africaines à l’Institut des études internationales de Chine. Pékin s’est dès lors donné les moyens de ses ambitions en organisant le premier Forum de coopération Chine-Afrique en 2000 dans la capitale, un événement reconduit en 2003 à Addis-Abeba. Parallèlement, différentes mesures d’ordre commercial et fiscal (baisse de la taxation des produits, harmonisation des politiques commerciales, accords de protection des investissements, encouragement à la création de joint-ventures) ont été prises pour promouvoir les échanges. L’ouverture des frontières du pays a rapidement vu les entreprises et des particuliers partir à la conquête du continent. Plus de 800 entreprises chinoises, dont un quart relèvent du secteur privé, sont aujourd’hui installées dans les différents pays d’Afrique. On compte quelque 150 000 ressortissants de l’empire du Milieu et près de 400 000 Africains d’origine chinoise (particulièrement présents en Afrique du Sud, dans l’océan Indien et, dans une moindre mesure, en Afrique de l’Est), essentiellement des entrepreneurs, des petits commerçants, des coopérants et des ouvriers. Ils sont très nombreux en Afrique australe, notamment au Zimbabwe et en Angola, et leur nombre s’accroît en Afrique de l’Ouest et au Maghreb.
Selon le Fonds monétaire international (FMI), le montant total des échanges entre la Chine et l’Afrique dépasse désormais 50 milliards de dollars et pourrait atteindre 100 milliards d’ici à 2010. Il était à peine de 800 millions à la fin des années 1970. Les importations de matières premières africaines représentent plus de la moitié de ces échanges pour répondre à l’appétit vorace d’usines tournant à plein régime. Deuxième consommateur mondial de pétrole, la Chine acquiert dorénavant plus du tiers de ses besoins sur le continent. Ses nouveaux alliés riches en hydrocarbures du golfe de Guinée lui permettent de maintenir un niveau exceptionnel de développement : plus de 9 % de croissance par an au cours de la dernière décennie. Pékin a récemment investi plusieurs milliards de dollars en Angola, au Nigeria et au Soudan pour acquérir des permis d’exploitation. La China National Petroleum Corporation (CNPC), la China National Offshore Oil Corp. (Cnooc) et la China Petroleum & Chemical Corporation (Sinopec) sont les fers de lance en matière de prospection et d’exploitation sur le continent. Pour la Chine, le pétrole africain est une priorité. Devancée par les Occidentaux au Moyen-Orient, elle s’efforce de renforcer ses positions dans le golfe de Guinée et dans le nord du continent afin de faire face à l’augmentation de sa consommation intérieure : de 6,6 millions de barils par jour en 2005 à près de 7 millions de b/j cette année. L’an dernier, elle a acheté 38,47 millions de tonnes de brut africain. Ses principaux fournisseurs sont l’Angola, le Soudan, le Congo, la Guinée équatoriale et le Nigeria. Face à la féroce concurrence britannique, américaine et française, les autorités n’hésitent pas à se montrer très généreuses dans le but évident d’arracher de nouveaux marchés. Elles ont récemment accordé au Nigeria un crédit d’exportation de 500 millions de dollars.
Mais il n’y a pas que l’or noir : les réserves de devises chinoises estimées à plus 1 000 milliards de dollars permettent à la Chine d’acheter minerais et produits agricoles. Le pays s’intéresse aux réserves zimbabwéennes de fer et de chrome, composants essentiels de l’acier et du platine. Il importe du phosphate et du cobalt du Maroc, du cacao de Côte d’Ivoire, du manganèse du Gabon Une bonne partie des exportations de la ceinture cotonnière sahélienne et d’Égypte transite par les ports chinois tout comme de nombreuses essences forestières d’Afrique de l’Ouest et du centre.
Une fois transformées, une partie de ces matières premières repartent vers l’Afrique sous forme de produits finis. Des ustensiles de cuisine aux chaussures, en passant par les vêtements et les appareils électroniques, toutes sortes de marchandises font le bonheur des ménages africains à faible revenu. Des produits directement commercialisés par des Chinois venus tenter l’aventure et de plus en plus par des hommes d’affaires libanais et africains qui se déplacent à Dubaï, Singapour ou Shanghai pour faire leurs emplettes. Les Chinois ont investi des pans entiers de l’économie africaine. On ne compte plus les officines de médecine chinoise, les restaurants, les cybercafés, les entrepôts de pièces détachées, les boutiques de vêtements ou de chaussures (notamment des produits de contrefaçon), les magasins d’électroménager
Les grandes entreprises chinoises cherchent, quant à elles, des débouchés dans les infrastructures telles que les installations hydroélectriques, les télécommunications, les autoroutes, les voies ferrées et les gazoducs. Avec leurs prix bradés, une main-d’uvre abondante et une qualité de plus en plus reconnue, elles raflent la plupart des appels d’offres auxquels elles participent pour la réalisation de bâtiments officiels, de logements sociaux, de routes, d’aéroports, de barrages, d’espaces culturels et de stades. La China Road and Bridge Corporation (CRBC) et Henan China possèdent des carnets de commandes bien remplis, du nord au sud du continent. En se montrant moins gourmandes, elles permettent au passage aux gouvernements africains de faire des économies. En Algérie, la China State Construction & Engineering Corporation (CSCEC) a obtenu de nombreux contrats immobiliers. Le numéro un du BTP chinois est parfaitement rodé : il vient avec sa main-d’uvre, qu’il loge sur les chantiers, et travaille à une vitesse record.
L’équipementier chinois en télécommunication ZTE s’est, quant à lui, associé avec des compagnies nationales du même secteur pour installer des nouveaux réseaux de communication dans près de la moitié des pays d’Afrique. La compagnie Canshi, de la province du Henan, produit au Nigeria du ciment et des machines d’exploitation minière. En Afrique du Sud, le groupe chinois Hisense s’est lancé dans les années 1990 à la conquête du marché des téléviseurs. Ayant bien cerné les besoins et les moyens des consommateurs, il a développé sa gamme dans l’électroménager (fours à micro-ondes, machines à laver, etc.) et exporte dorénavant ses produits vers les autres pays africains.
L’implantation des entreprises chinoises s’appuie sur une solide diplomatie du chéquier sans aucune ingérence dans les affaires intérieures de ses partenaires. Pékin a annulé la dette bilatérale de ses partenaires africains, dont le montant global avoisinait les 10 milliards de dollars, et fournit une aide tous azimuts : médicaments et matériel médical, centres de formation agricole, mise à disposition de personnel sanitaire et technique. Personne n’est oublié, surtout pas les régimes mis au banc des nations par les Occidentaux comme le Zimbabwe. La Chine fournit même des armes aux États parias, s’attirant au passage de vives critiques.
Ce nouveau soupirant faisant les yeux doux à l’Afrique est très mal perçu par les ex-puissances coloniales qui digèrent difficilement cette intrusion dans leur pré carré. Elles lui reprochent de favoriser le réendettement des pays africains. Et lui jalousent surtout d’obtenir à vil prix leurs matières premières ou leurs concessions en échange de prêts ou de constructions. Certains fabricants africains, notamment dans le domaine du textile, pâtissent également de la déferlante de marchandises chinoises. Entre 1996 et 2006, la filière textile sud-africaine a quasiment perdu la moitié de ses emplois qui sont passés de 150 000 à 80 000.
Autre critique couramment relayée : la surexploitation des ressources, notamment forestières et halieutiques, et le non-respect des normes de qualité, voire de sécurité. Ou encore les accusations de travail forcé d’ouvriers chinois sur les chantiers et le non-respect des législations nationales du travail pour les employés nationaux.
Difficile pourtant de s’opposer à l’implantation des entreprises et des produits chinois : ils bénéficient d’un soutien indéfectible des consommateurs ayant un faible pouvoir d’achat et de la bienveillance des dirigeants soucieux de ne pas heurter leur opinion publique en conservant les faveurs d’un partenaire politique et économique à même de contrecarrer les visées des Occidentaux.

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