Dans la tête d’un bachelier

Publié le 13 novembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Un royaume de rêve : c’est ainsi que les jeunes Marocains voient leur pays en 2030. Ils ne doutent apparemment pas une seconde de l’éradication des maux endémiques qui le frappent – analphabétisme, pauvreté, chômage – et jugent que tous les problèmes qui entravent aujourd’hui son développement, à commencer par l’affaire du Sahara, seront enfin réglés. Jusque-là, rien de vraiment surprenant dans les réponses fournies par les jeunes bacheliers marocains (17-20 ans) aux enquêteurs dépêchés sur le terrain, depuis 2004, par le Haut-Commissariat au plan (HCP). Mais le délire ne tarde pas à pointer le bout de son nez. Certains sondés sont convaincus que le Maroc sera, en 2030, une puissance militaire et même nucléaire, que, d’ici là, George W. Bush aura été assassiné, l’Amérique anéantie et le royaume chérifien envahi par… le Congo. Première conclusion de l’enquête : les jeunes Marocains ne manquent pas d’imagination. Pourtant, au-delà de ces quelques réponses farfelues, les résultats méritent un examen plus approfondi.
29,3 % des sondés focalisent leur attention sur les questions sociales : emploi, chômage, analphabétisme, exode rural, conditions de vie, etc. Et ce sont les femmes qui y sont le plus sensibles, alors que les hommes se passionnent davantage pour la politique, laquelle intéresse plus de 23 % des jeunes interrogés. Intégrité territoriale, guerres, défense de la monarchie et droits de l’homme arrivent en tête de leurs préoccupations. Pour certains, le conflit du Sahara sera définitivement résolu en 2030 par la reconnaissance de la marocanité des provinces du Sud. D’autres aspirent à la libération des enclaves espagnoles de Ceuta et de Melilla. Les questions économiques viennent en troisième position (17 %), talonnées par les sciences et les nouvelles technologies (13 %). 71,4 % des jeunes Marocains pensent que la télévision aura été, en 2030, définitivement supplantée par Internet, mais certains rêvent de l’émergence d’un nouveau média.
Voilà pour les grandes lignes, mais quelques détails attirent l’attention. Première surprise du rapport : 63 % des sondés n’envisagent pas d’émigrer à l’étranger, 37 % faisant le choix inverse. Malgré l’attrait de l’Occident, la majorité des jeunes restent attachés à leur pays, comment le HCP. Par ailleurs, une infime minorité des bachelières (1,3 %) aspirent à devenir femmes au foyer. Qu’on se le dise : es Marocaines seront, dans vingt-quatre ans, indépendantes financièrement. Du moins y aspirent-elles aujourd’hui avec toute la force de leur juvénile imagination.
Une écrasante majorité (74 %) des sondés, hommes et femmes confondus, se voient en 2030 dans la peau d’un cadre supérieur, 23 % dans celle d’un cadre moyen et 1 % dans celle d’un ouvrier. Le milieu social, notamment la profession des parents, joue là, sans nul doute, un rôle déterminant. Ainsi, ceux dont le père est cadre supérieur envisagent logiquement de suivre le même chemin. Mais près des trois quarts de ceux dont le père est ouvrier ou chômeur rêvent eux aussi de devenir cadre supérieur. En fin de compte, l’enquête du HCP impose l’image d’une jeunesse marocaine optimiste, ambitieuse, insouciante, flirtant même parfois avec la folie des grandeurs.
Reste que ses résultats doivent être interprétés avec prudence, toutes les catégories de jeunes n’ayant pas été prises en compte. L’échantillon se limite en effet à 1271 élèves en deuxième année de baccalauréat et n’inclut que des citadins, généralement issus de milieux favorisés. Si les ruraux, candidats potentiels à l’émigration, avaient été interrogés, nul doute que les résultats auraient été moins porteurs d’espoir.

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