Critique de la déraison pure

Face au danger de l’intégrisme, notre collaborateur Fouad Laroui tente de lever le voile sur l’imposture des barbus. Un ouvrage qui est tout sauf… barbant.

Publié le 13 novembre 2006 Lecture : 4 minutes.

De l’islamisme. Voilà un titre pour le moins inattendu de la part d’un auteur qui nous a habitués aux échappées romanesques et aux récits pleins d’humour. Fouad Laroui serait-il devenu sérieux jusqu’à verser dans le religieux ? Allons vérifier.
D’emblée, l’écrivain marocain énonce : « Ce livre n’est pas une attaque contre l’islam en tant que foi », mais contre le danger des intégrismes. » Amateurs de scandales s’abstenir ! Laroui ne cherche pas la fatwa à tout prix. Il veut discuter en toute sérénité de cette « maladie » de l’islam, pas en pourfendeur attitré ni en contre-prêcheur chassant le lecteur occidental. Il veut sincèrement prévenir du risque que courent des dizaines de millions de musulmans qui arrivent sur le marché de l’idéologie djihadiste. En vertu de l’adage maghrébin « Il faut raccompagner le voleur jusqu’au seuil de sa maison », Laroui force la boutique intégriste et en soupèse minutieusement les articles. En langage scientifique, il « déconstruit » le discours islamiste et décrypte ses objectifs.
Inventaire : les adeptes de l’islam radical dressent la religion contre la foi et veulent mener les gens du terrain de la croyance individuelle à celui du lien communautaire, « ferment d’adversité ». Confondant sciemment foi et science, ils dressent également la croyance contre la raison. Ils instrumentalisent la Sunna pour la vider de sa spiritualité et la ramener à des considérations domestiques servant le droit des hommes. Sinon, qu’est-ce que la virginité, les règles des femmes, les barbes ou l’ardeur sexuelle ont-elles à faire avec Dieu ?
Fort des écrits des mu’tazilites, d’Averroès ou d’Ibn Khaldoun, Fouad Laroui affirme qu’il est impossible de concilier la parole de Dieu et la raison humaine. Encore moins de prétendre faire de l’histoire à partir du Coran. Sa formation scientifique à l’appui – Fouad est ingénieur diplômé de l’École des mines et de l’École des ponts et chaussées -, il réfute un concordisme qui consiste à mettre en accord les écritures avec la science. Et démontre le caractère fallacieux d’affirmations selon lesquelles la géographie ou les mathématiques sont dans le Coran. Non, corrige-t-il, le Coran ne renferme pas de vérités historiques, ni de théories sur l’évolution de l’espèce, sur l’atome ou le réchauffement climatique ; tous ceux qui, d’hier à aujourd’hui, ont voulu mêler ces registres n’ont fait qu’accélérer la décadence de la civilisation musulmane : « Les Arabes ont été à la pointe des sciences lorsqu’ils ont séparé clairement leur foi de leur pratique scientifique » !
Constat après inventaire : la maison des islamistes est branlante, l’ayatollah est un marchand de faux rêves, et le kamikaze a tort de se fier à ceux qui lui promettent des vierges par dizaines, récompense qui n’existe dans aucun verset ou hadith digne de foi ! On n’est pas d’accord avec la réfutation de Laroui ? Il nous a prévenus qu’elle était « très personnelle », qu’elle obéit au bon sens, non à l’érudition, qu’elle relève du conseil amical et non de la consigne communautaire. L’auteur n’aurait pas procédé par démonstrations académiques et à coups de versets ? Tant mieux, car ce texte ne se lit aussi facilement que parce qu’il nous livre, à chaque page, un Laroui romancier malgré lui, amoureux incorrigible des récits émaillés d’anecdotes et tissés de témoignages personnels. C’est la première fois en effet – et c’est probablement le caractère réellement inédit d’un tel ouvrage – qu’un sujet aussi grave est traité avec humour et qu’une telle grâce littéraire s’emploie à lever le voile sur l’imposture des barbus.
On pourrait objecter que l’auteur de cet essai ne fera pas le poids devant les tenants de l’idéologie intégriste et qu’il échouera à faire entendre raison à ceux qui sont tentés de les suivre. La vague religieuse rogne sur la sécularisation dans le monde musulman et les temps ne sont pas favorables au credo laïc. Il répondra qu’il ne veut pas être imam à la place de l’imam, mais seulement dire ce qu’un musulman du XXIe siècle ressent, pense, et entreprend raisonnablement pour ne pas s’exclure de l’heure du monde. Ce n’est pourtant pas difficile comme programme !
Sauf que (et c’est là un reproche qu’on peut lui faire), en critiquant l’islamisme, Laroui ne cesse de frôler le monologue occidental : sa réflexion, toute personnelle qu’elle est, obéit à une grille de lecture européenne et recourt presque exclusivement à ses référents. C’est à partir de l’acquis judéo-chrétien qu’il définit la foi, le sacré, la laïcité, le public/privé, ou tout simplement la modernité, comme s’il ne pouvait y avoir d’autres conceptions du monde à réinventer en partage, d’autres issues que l’uniformisation, d’autres solutions que celle du Nord.
Pour le reste, retenons ceci : le débat sur la religion en général et sur l’islamisme en particulier n’est plus la chasse gardée des spécialistes. Il a rattrapé les écrivains. Est-ce une bonne chose ? Oui, pour ceux qui pensent que les intellectuels arabes se sont tus jusque-là devant le fléau intégriste. Chacun sa façon, chacun son style, historiens ou exégètes, romanciers ou poètes, ils viendront peut-être à bout de la bête qui couve dans le ventre de l’islam contemporain. Bien sûr, l’islamisme risque de rendre les romanciers barb ants ! Tant pis, ils reviendront aux romans quand ils seront convaincus d’avoir quelque peu guerroyé pour la liberté de les écrire

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