Corée du Nord : la démocratie vient en mangeant

Publié le 13 novembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Les Américains ont beaucoup polémiqué, ces derniers temps, pour savoir qui, de Bill Clinton ou de George W. Bush, portait la plus grande responsabilité de l’essai nucléaire nord-coréen. Clinton a hérité d’une situation, qui, si elle avait perduré, aurait permis à la Corée du Nord de disposer aujourd’hui de centaines d’armes nucléaires. Au lieu de quoi Clinton a négocié un accord avec les Nord-Coréens grâce auquel ceux-ci n’ont pas produit un gramme de plutonium de plus pendant les huit années de sa présidence. De son côté, Bush a hérité du gel du programme nucléaire nord-coréen et, s’il s’en était satisfait, Pyongyang n’aurait pas produit davantage de plutonium. Mais Bush s’est opposé à la volonté de dialogue de Colin Powell – avec ce résultat que la Corée du Nord a mouliné au nez et à sa barbe assez de plutonium pour fabriquer peut-être huit bombes atomiques.
De manière plus générale, l’essai nucléaire nord-coréen et le fait que Kim Jong-il est toujours au pouvoir représentent moins un échec de Clinton ou de Bush que la faillite d’une politique partisane des États-Unis visant depuis des décennies à isoler Pyongyang. Si les régimes de Corée du Nord, de Cuba, de Birmanie et d’Iran battent des records mondiaux de longévité, c’est en partie à cause des sanctions et de l’isolement que l’Amérique leur a imposés. Cela leur a plutôt réussi, car leurs dirigeants y ont trouvé une excuse à leurs échecs économiques et un bon prétexte pour se draper dans les plis du nationalisme.
Kim Jong-il sait parfaitement que la meilleure chance de survie du totalitarisme nord-coréen réside dans le formol de son propre isolement. De fait, Kim a imposé des sanctions à son propre pays, et l’Amérique l’a soutenu. Dans les années 1970, la Corée du Nord a mis le nez hors de sa coquille. Elle a négocié avec la Corée du Sud, recherché des investisseurs étrangers et proposé à Jimmy Carter l’ouverture de négociations. Carter a envisagé la possibilité d’une conférence au sommet avec les dirigeants des deux Corées, mais il a dû l’abandonner quand il a vu la réaction horrifiée de ses collaborateurs.
Pourtant, si les Américains avaient organisé une telle rencontre et progressivement encouragé des contacts, notamment commerciaux, le régime nord-coréen serait peut-être aujourd’hui mort et enterré. J’ai moi-même vécu en Chine dans les années 1980 et 1990, à une époque où l’idéologie communiste s’effondrait, et je suis convaincu que le meilleur moyen d’ébranler le gouvernement nord-coréen serait d’envoyer là-bas des dirigeants d’entreprise, de préférence un peu obèses. Dans un pays comme la Corée du Nord, où la réponse du gouvernement à la famine s’est limitée à la diffusion d’un documentaire télévisé sur un homme qui avait éclaté pour avoir mangé trop de riz, rien ne pourrait être plus subversif que des étrangers un peu replets.
Bush a raison de vouloir punir la Corée du Nord, qui a défié le monde avec son essai nucléaire. Et l’administration américaine a eu raison, ces dernières semaines, d’élaborer une liste de sanctions. Mais si la Corée du Nord accepte de s’asseoir à la table des négociations à six, les États-Unis devraient en profiter pour remettre en cause une stratégie qui tend à l’isolement du pays le plus isolé du monde et dont l’échec est depuis longtemps avéré. C’est à tort, par exemple, que les États-Unis reprochent aux Sud-Coréens – plus concernés que quiconque et qui comprennent mieux qu’eux les Nord-Coréens – de faire tourner des usines dans la zone industrielle de Kaesong, en Corée du Nord. Il est de fait que les ouvriers nord-coréens n’ont aucun droit et que Pyongyang se servira des devises ainsi gagnées pour renforcer son armée. Mais ces usines sud-coréennes devraient employer 700 000 ouvriers en 2012. Si la Corée du Nord peut survivre à des sanctions sévères, je ne pense pas, en revanche, que le régime survive à la présence de 700 000 de ses ressortissants qui travailleraient pour des capitalistes sud-coréens et découvriraient que les gens du Sud sont si riches et si gâtés qu’ils refusent de manger du riz mélangé à des cailloux.
La pire menace pour le régime nord-coréen ne vient pas des navires de guerre américains, mais du spectacle d’autres Coréens, qui font, eux, un régime pour maigrir, écoutent des chansons d’amour sur leurs iPod ou regardent à la télévision des comédies décadentes. Cessons donc d’aider le « Grand Leader » à isoler son propre peuple.

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