Corée du Nord : la démocratie vient en mangeant
Les Américains ont beaucoup polémiqué, ces derniers temps, pour savoir qui, de Bill Clinton ou de George W. Bush, portait la plus grande responsabilité de l’essai nucléaire nord-coréen. Clinton a hérité d’une situation, qui, si elle avait perduré, aurait permis à la Corée du Nord de disposer aujourd’hui de centaines d’armes nucléaires. Au lieu de quoi Clinton a négocié un accord avec les Nord-Coréens grâce auquel ceux-ci n’ont pas produit un gramme de plutonium de plus pendant les huit années de sa présidence. De son côté, Bush a hérité du gel du programme nucléaire nord-coréen et, s’il s’en était satisfait, Pyongyang n’aurait pas produit davantage de plutonium. Mais Bush s’est opposé à la volonté de dialogue de Colin Powell – avec ce résultat que la Corée du Nord a mouliné au nez et à sa barbe assez de plutonium pour fabriquer peut-être huit bombes atomiques.
De manière plus générale, l’essai nucléaire nord-coréen et le fait que Kim Jong-il est toujours au pouvoir représentent moins un échec de Clinton ou de Bush que la faillite d’une politique partisane des États-Unis visant depuis des décennies à isoler Pyongyang. Si les régimes de Corée du Nord, de Cuba, de Birmanie et d’Iran battent des records mondiaux de longévité, c’est en partie à cause des sanctions et de l’isolement que l’Amérique leur a imposés. Cela leur a plutôt réussi, car leurs dirigeants y ont trouvé une excuse à leurs échecs économiques et un bon prétexte pour se draper dans les plis du nationalisme.
Kim Jong-il sait parfaitement que la meilleure chance de survie du totalitarisme nord-coréen réside dans le formol de son propre isolement. De fait, Kim a imposé des sanctions à son propre pays, et l’Amérique l’a soutenu. Dans les années 1970, la Corée du Nord a mis le nez hors de sa coquille. Elle a négocié avec la Corée du Sud, recherché des investisseurs étrangers et proposé à Jimmy Carter l’ouverture de négociations. Carter a envisagé la possibilité d’une conférence au sommet avec les dirigeants des deux Corées, mais il a dû l’abandonner quand il a vu la réaction horrifiée de ses collaborateurs.
Pourtant, si les Américains avaient organisé une telle rencontre et progressivement encouragé des contacts, notamment commerciaux, le régime nord-coréen serait peut-être aujourd’hui mort et enterré. J’ai moi-même vécu en Chine dans les années 1980 et 1990, à une époque où l’idéologie communiste s’effondrait, et je suis convaincu que le meilleur moyen d’ébranler le gouvernement nord-coréen serait d’envoyer là-bas des dirigeants d’entreprise, de préférence un peu obèses. Dans un pays comme la Corée du Nord, où la réponse du gouvernement à la famine s’est limitée à la diffusion d’un documentaire télévisé sur un homme qui avait éclaté pour avoir mangé trop de riz, rien ne pourrait être plus subversif que des étrangers un peu replets.
Bush a raison de vouloir punir la Corée du Nord, qui a défié le monde avec son essai nucléaire. Et l’administration américaine a eu raison, ces dernières semaines, d’élaborer une liste de sanctions. Mais si la Corée du Nord accepte de s’asseoir à la table des négociations à six, les États-Unis devraient en profiter pour remettre en cause une stratégie qui tend à l’isolement du pays le plus isolé du monde et dont l’échec est depuis longtemps avéré. C’est à tort, par exemple, que les États-Unis reprochent aux Sud-Coréens – plus concernés que quiconque et qui comprennent mieux qu’eux les Nord-Coréens – de faire tourner des usines dans la zone industrielle de Kaesong, en Corée du Nord. Il est de fait que les ouvriers nord-coréens n’ont aucun droit et que Pyongyang se servira des devises ainsi gagnées pour renforcer son armée. Mais ces usines sud-coréennes devraient employer 700 000 ouvriers en 2012. Si la Corée du Nord peut survivre à des sanctions sévères, je ne pense pas, en revanche, que le régime survive à la présence de 700 000 de ses ressortissants qui travailleraient pour des capitalistes sud-coréens et découvriraient que les gens du Sud sont si riches et si gâtés qu’ils refusent de manger du riz mélangé à des cailloux.
La pire menace pour le régime nord-coréen ne vient pas des navires de guerre américains, mais du spectacle d’autres Coréens, qui font, eux, un régime pour maigrir, écoutent des chansons d’amour sur leurs iPod ou regardent à la télévision des comédies décadentes. Cessons donc d’aider le « Grand Leader » à isoler son propre peuple.
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