Comment rendre Mohammed présentable aux yeux des Occidentaux

Publié le 13 novembre 2006 Lecture : 6 minutes.

Le premier volume d’Al-Sîra(1), l’ouvrage de Mahmoud Hussein, porte sur la vie à La Mecque de Muhammad, le Prophète de l’islam, devenu, dans la tradition chrétienne qui survit toujours, Mahomet. Cette orthographe n’est pas innocente. Elle souligne volontairement des survivances spécifiques de la pensée chrétienne, toujours identique à elle-même, qui a déteint sur la pensée laïque présente dans les médias, qui, à leur tour, renvoient au musulman une image dégradante de lui-même, à l’origine de toutes les discriminations communautaristes d’exclusion et des troubles qui en découlent.
Muhammad, dont Al-Sîra est censée retracer la vie, a en effet en Occident, sauf exception, la figure d’un imposteur sanguinaire qui a enseigné la violence ; il est le premier terroriste ; il est un pédophile sexuellement dépravé ; il est un assassin. Bref ! Il est l’Antéchrist sur la religion duquel le concile de 680 a jeté l’anathème, que le concile de Vatican II (1964) n’a pas levé, car il ne peut pas le faire, au nom du dogme de non-contradiction des conciles, qui tous disent la vérité sans erreur sous la garantie de l’Esprit-Saint. Ce concile constate donc tout juste – à la bonne heure ! – qu’il y a des musulmans qui prient, et que pour ceux-là l’Église éprouve de « l’estime », une prodigieuse générosité dont Benoît XVI vient encore une fois de nous rebattre les oreilles, ne comprenant pas que nous n’en avons nul besoin. Comprenons qu’il s’agit en l’occurrence de ceux que le théologien autrichien Karl Rahner, qui avait participé au concile, appelle « des chrétiens anonymes », dans lesquels l’Esprit-Saint travaille malgré eux et sans qu’ils le sachent. Enfin, un strapontin pour les musulmans qui sont sages !
Mais la doctrine des Églises n’a pas changé, et ne peut changer, parce que l’islam est une fausse religion qui doit disparaître, pour que le Christ retourne dans les nuées et dans la gloire de son père. Il avait promis de le faire avant que la génération des apôtres ne disparaisse, mais il tarde. Des armées de laïques – la coalition de Bush – et de missionnaires uvrent pour hâter cet heureux moment. Pour comprendre donc l’écriture des désislamisés sur le Prophète, sur le Coran et sur l’islam d’une façon générale, il faut tenir compte de ce conditionnement auquel ils sont soumis, Ces repères doivent être toujours présents dans nos esprits, chaque fois que le Prophète est présenté aux lecteurs dans une langue occidentale.
La Sîra : une « aventure de la pensée », romancée à partir d’une sélection de textes
Les deux politologues d’idéologie marxiste qui ont connu la prison en Égypte ont été interviewés par Marc Cheb Sun(2). À sa question : « Ce travail propose-t-il une nouvelle interprétation ? », ils ont répondu : « Il y a dans toute écriture une certaine subjectivité, mais nous avons fait un effort de fidélité : nous n’interprétons pas, nous donnons un condensé de cette aventure de la pensée que constitue la Sîra. » Il ne s’agit donc pas de la vie du Prophète, mais d’une aventure de la pensée, vécue par un homme dont les auteurs tentent de reconstituer les traits à travers des morceaux choisis dans la littérature qui le concerne.
À partir de ce moment, Muhammad peut être réhabilité. Ipso facto, pour les désislamisés, il n’est plus en effet prophète ; il n’est plus le fondateur d’une religion ; il cesse dès lors d’être l’Antéchrist, et peu importe alors qu’il fût un pédophile dépravé. Au train où vont les choses, cela peut même le valoriser. Il vécut une « aventure de la pensée » qui enrichit la culture universelle, et dont la Sîra, condensée à partir d’un choix approprié de textes, donne somme toute une idée avantageuse. L’ouvrage se lit agréablement comme un roman écrit d’une plume alerte. Les désislamisés, débarrassés des stigmates d’une « religion satanique et malfaisante », apportent avec eux une culture en fin de compte appréciable, et deviennent fréquentables.

Un courant de pensée
On ne peut en effet, comprendre l’ouvrage que si on le situe dans un important courant de pensée qui le sous-tend et dont il est très représentatif : celui de la désislamisation, plus ou moins camouflée, et de plus en plus dominante chez les intellectuels issus de milieu musulman, et à la recherche d’un islam non-religion, ?à la fois identitaire, dédouanant et décomplexant. ?Cet « islam non-religion », pour lequel il faudrait trouver un nom, est l’équivalent de l’Occident déchristianisé et sécularisé. Les partisans de cet islam sans foi et sans pratique, très nombreux et très actifs, se disent des « laïques », ou des adeptes de « l’islam des Lumières. » Les deux appellations sont inappropriées et prêtent volontairement à confusion. Comme il n’y a pas de clergé en islam, tous les musulmans de foi vivante et de stricte observance sont aussi des laïques, et aucun musulman ne refuse les Lumières, à moins de considérer le musulman qui fréquente les mosquées, prie et jeûne comme un obscurantiste et un dangereux terroriste.
Le confusionnisme est aujourd’hui de règle chez les désislamisés. Nous respectons tous les désislamisés, nous respectons toutes les présentations qu’ils font du Prophète et toutes leurs lectures désacralisantes du Coran. À la faculté de la Manouba (Tunisie), il y a même une véritable école de désacralisation du Coran, dont le maître fondateur est le professeur Abdelmajid Charfi. Nous demandons seulement à tous les désislamisés d’éviter les camouflages et les amalgames, car il faut clarifier les concepts. Cette clarification est absolument indispensable pour une lecture juste et éclairée de la Sîra.

la suite après cette publicité

Le Coran tel qu’il est présenté par les auteurs
Des compagnons de Muhammad, disent-ils, « en transcrivaient des fragments sur des matériaux de fortune, os plats, feuilles séchées, morceaux de cuir, plus rarement sur des feuilles de parchemin(3) ». Ces fragments, transcrits somme toute sur des ordures ménagères et autres détritus ramassés au hasard sur les chemins, furent, nous dit-on, amoncelés dans les appartements de Muhammad et y restèrent durant trois décennies. Je vous laisse imaginer les odeurs nauséabondes qui s’en dégageaient. Enfin, Uthmân réunit une commission qui, entre les années 650 et 655, de ces monceaux d’ordures et de divers détritus fit « la vulgate coranique »(4).
L’absurdité de cette thèse n’a pas besoin d’être démontrée. Elle est le produit de la naïve piété des qussâs, des conteurs publics qui voulaient démontrer par là le caractère divin du Coran, descendu dans un milieu d’indécrottables ignorants (jâhiliyya) et qui, de ce fait, ne pouvait avoir été fait de mains d’homme. Or le Prophète était un homme cultivé qui fréquentait les midrashim, où il se faisait présenter la Torah, dont Umar possédait un exemplaire. Dans sa famille, on étudiait les Évangiles. Il savait ce qu’est un livre. Dans ces conditions, le livre rival qui devait dominer sur les Anciennes Écritures, pouvait-il être sur ordures ? La sourate Marie avait-elle été envoyée au Négus dans un sac-poubelle ? Abdelmajid Charfi tient mordicus à cette thèse. Le Coran nous dit qu’il était, du vivant même du Prophète, écrit sur un parchemin purifié de toute souillure. Seulement, les désislamisés qui se cachent ont leurs raisons. Nous les respectons, mais notre raison se doit de les connaître, et de les faire connaître, dans un souci de respectueuse et indispensable clarté.

*Historien et penseur musulman tunisien.

1. Al-Sîra. Le Prophète de l’islam raconté par ses compagnons, éd. Grasset, Paris, 2005. L’ouvrage vient d’être réédité en poche dans la collection « Pluriel » de Hachette Littérature. Mahmoud Hussein est le pseudonyme choisi par deux politologues français d’origine égyptienne, Bahgat Elnadi et Adel Rifaat.
2. Dans le trimestriel Respect Magazine, n° 7, Paris, p. 32.
3. Al-Sîra, p. 12.
4. Ibidem, p. 17.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires