Avantage certain

Face à Taiwan, l’hégémonie de la Chine populaire en Afrique est aujourd’hui incontestable.

Publié le 13 novembre 2006 Lecture : 5 minutes.

C’est l’histoire d’un avatar de la guerre froide qui continue de faire de l’Afrique l’éternel « champ clos » de tensions internationales, en l’occurrence celles qui opposent depuis près de soixante ans la République populaire de Chine à l’île de Taiwan. Jadis idéologique, cette concurrence tourne depuis quelques années à l’avantage de la première sur fond d’expansion économique. En 2001, vingt-huit pays disséminés sur les cinq continents reconnaissaient Taipei. Ils ne sont plus aujourd’hui que vingt-quatre. Un conglomérat de petits Etats généralement pauvres. Des îles perdues au milieu du Pacifique comme Palau ou l’atoll de Tuvalu, en Polynésie. En Europe, le Vatican est le dernier Etat à maintenir ses relations après que la Macédoine eut rompu les siennes en juin 2001. Seuls les alliés d’Amérique centrale forment encore un ensemble compact à la fidélité sans faille, du Costa Rica au Honduras en passant par le Guatemala, le Salvador ou le Panama.
En dehors de ce bloc historique, les soutiens ne cessent de s’éroder. L’Afrique, particulièrement, enregistre le plus fort taux de volte-face. De huit en 2001, les alliés de l’ancienne Formose sont tombés à cinq. Les États parmi les plus vastes et les plus peuplés lui ont tourné le dos en dépit d’ambitieux programmes de coopération. Ce fut d’abord le géant sud-africain en 1996, puis le Liberia en 2003, le Sénégal en 2005. Enfin, plus récemment, le Tchad, en août dernier. Chaque année, une nouvelle défection réduit ce groupe à un attelage hétéroclite dans lequel São Tomé côtoie le Burkina, la Gambie, le Malawi et le royaume du Swaziland. Le chef de l’État sénégalais, Abdoulaye Wade, a parfaitement résumé les raisons de ces basculements : « Il n’y a pas d’amitié entre les pays. Il n’y a que des intérêts. »
À ce jeu, quelques années ont suffi pour que la Chine prenne plusieurs longueurs d’avance. Inscrits au lendemain de la conférence de Bandoeng dans une logique ouvertement anticolonialiste, ses rapports avec les pays Africains ne datent pas d’hier. Ils sont même indéfectibles avec ceux qui ont affiché au cours de leur histoire une ligne progressiste voire marxisante, à l’instar de l’Angola, l’Algérie, le Congo, l’Egypte ou le Bénin. Mais ces proximités idéologiques s’effacent. L’Afrique ne partage plus seulement des valeurs communes avec le géant asiatique. Elle est devenue à la fois son principal fournisseur de matières premières et un marché d’avenir pour ses produits manufacturés.
En contrepartie, le volume des investissements et des échanges chinois est en constante progression. Le continent est désormais une priorité économique pour Pékin et présente, en même temps, l’occasion d’isoler son ennemi et voisin. Le Liberia, le Sénégal et le Tchad sont exemplaires de cette stratégie. Outre l’explosion de son économie, la République populaire use pour cela de quatre armes. La première repose sur une neutralité bienveillante : ne jamais déroger à la règle de non-ingérence et ne pas interférer dans les affaires intérieures d’un Etat souverain. Un discours qui sonne doux aux oreilles de beaucoup de responsables africains, qui se sentent moins obligés de rendre des comptes. L’aide prodiguée par la Chine est en grande partie non conditionnelle. A fortiori lorsqu’il s’agit d’aborder les questions qui fâchent comme la démocratie, la lutte contre la corruption ou la transparence financière. Pékin ne lie son appui qu’à une seule condition : la non-reconnaissance de l’identité taiwanaise. Pour le reste, les deux partenaires agissent au nom de leurs intérêts bien compris. C’est la théorie du « gagnant-gagnant ». Une coopération fondée sur le « respect mutuel », qui n’interdit d’ailleurs pas à Taiwan de maintenir dans ces pays des « bureaux de représentation commerciale » pour ses hommes d’affaires.
Par ailleurs, l’empire du Milieu n’hésite plus à s’appuyer sur la présence de ses groupes. La nécessité de sécuriser ses approvisionnements et de s’ouvrir à de nouveaux marchés se traduit par la visibilité de ses entreprises, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans. Plus de 600 d’entre elles sont actuellement déployées sur le continent. Sans états d’âme, elles ne font pas seulement concurrence aux groupes européens ou américains pour rogner des parts de marché. Elles multiplient les partenariats et les prises de participation à l’occasion de programmes de privatisation.
Pour mieux neutraliser l’ancienne Formose, la carte maîtresse est sans nul doute le siège permanent dont dispose la Chine au Conseil de sécurité des Nations unies. Une position qui lui permet de défendre ses alliés, y compris contre le reste de la communauté internationale. En 2004, Pékin a opposé son veto à une tentative de mise sous embargo du pétrole soudanais dans le dossier du Darfour. En échange d’or noir, la République populaire livre notamment du matériel militaire à Khartoum. Autre exemple, le Liberia, qui s’est jeté dans ses bras peu après le vote entérinant la création de la mission des Nations unies dans ce pays (Minul) à laquelle cinq cents soldats chinois ont participé.
Le dernier atout est l’étendue et la diversité du soutien chinois. où Taiwan prodigue une aide plus institutionnelle dans les secteurs prioritaires, Pékin s’implique désormais dans tous les secteurs d’activités, y compris le militaire et le renseignement, et s’adresse à tous types de pays, y compris ceux qui sont en situation de post-conflit voire à la limite de l’excommunication internationale, comme le Zimbabwe de Robert Mugabe. Rien d’étonnant dans ces conditions que sa montée en puissance persuade les derniers récalcitrants de faire allégeance. Cette coopération n’est pas pour déplaire. Pour certains Etats peu regardant sur les libertés, c’est même une aubaine, et ils ne se privent pas en retour de défendre le régime chinois au sein des Nations unies.
Dans cette impitoyable bataille où même la nature des régimes n’est plus un critère de sélectivité, il n’y a guère que le Burkina pour se distinguer par sa fidélité à Taiwan. Et rien n’indique un basculement de la diplomatie burkinabè à brève échéance. Ses orientations ont été réaffirmées le 22 septembre dernier à la tribune des Nations unies : « Nous continuerons à reconnaître Taiwan. Nous partageons des idéaux de liberté et de paix avec ce pays», explique, pragmatique, Youssouf Ouédraogo, le ministre burkinabè des Affaires étrangères. Mais Ouagadougou pourra-t-il longtemps résister à l’appel d’air chinois ?

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