Shirin Ebadi, shahbanou(*) de la paix

Pour la première fois depuis la création de la prestigieuse distinction, en 1901, le comité norvégien couronne une femme musulmane, avocate de son état.

Publié le 13 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

Le prix Nobel de la paix 2003 a été décerné, vendredi 10 octobre, à Oslo, à Shirin Ebadi, une avocate iranienne de 56 ans, « pour ses efforts en faveur de la démocratie et des droits de l’homme », selon les attendus du comité norvégien. Shirin Ebadi est la onzième femme, la troisième personnalité de confession musulmane (après le président égyptien Anouar el-Sadate et le leader palestinien Yasser Arafat) et, surtout, la première femme musulmane à être primée depuis la création du prix, en 1901. Ce choix, on s’en doute, n’est pas fortuit. D’autant que la lauréate a été désignée parmi un nombre record de 165 candidats, dont le pape Jean-Paul II et l’ancien président tchèque Vaclav Havel (excusez du peu !).
Tout en saluant le parcours de Shirin Ebadi, une avocate musulmane attachée à la défense des droits de l’homme, qui a été condamnée dans son pays, en septembre 2000, à dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’à une interdiction d’exercice de sa profession
pendant cinq ans, et qui a aussi fait de la prison, le comité d’Oslo a voulu envoyer un signe de réconfort, voire un signal d’apaisement en direction du monde musulman. Il a
voulu également démontrer, à travers la personnalité de la lauréate, que le monde musulman ne compte pas seulement des activistes intégristes, mais aussi des militants pacifistes qui uvrent pour le respect de la dignité humaine. En récompensant une avocate attachée à la défense des droits de la femme, qui plus est dans un pays gouverné par un
clergé ultraconservateur, le comité entendait sans doute aussi soutenir les forces
progressistes dans un monde musulman aux prises avec des tentations de repli identitaire et de retour au passé.
Shirin Ebadi, qui a déjà reçu le prix de la Fondation Thorolf-Rafto pour les droits de l’homme, à Bergen, en Norvège, en 2001, a été, en 1974, la première Iranienne à devenir juge, mais elle a dû quitter son poste après la Révolution islamique de 1979, les ayatollahs ayant décrété que les femmes étaient trop émotives pour diriger un tribunal. Le 8 mars dernier, à l’occasion de la Journée internationale de la femme, elle avait déclaré que les Iraniennes veulent d’abord « les pleins droits civils » avant des
responsabilités gouvernementales. Car en Iran, comme dans la plupart des pays islamiques, une femme a besoin de la permission de son mari pour travailler ou voyager à l’étranger. Devant un tribunal, le témoignage d’un homme a deux fois plus de valeur que celui d’une femme, et les hommes peuvent avoir quatre épouses à la fois. Par ailleurs, la compensation versée à la famille d’une victime d’un meurtre est deux fois plus
importante quand la victime est un homme. Dans ces pays dont la législation est prétendument inspirée de la charia (loi religieuse), si un homme n’a aucun problème pour répudier sa femme, l’épouse qui demande le divorce s’engage dans une longue bataille juridique, quand elle n’est pas contrainte d’abandonner son droit en pleine procédure. Sans parler de la discrimination sexuelle dont les femmes sont victimes au quotidien.
« Mon problème, ce n’est pas l’islam, c’est la culture patriarcale. Des pratiques telles que la lapidation n’ont pas de fondement dans le Coran », a expliqué la lauréate du Nobel de la paix 2003, en juin dernier, au journal britannique The Guardian.
Shirin Ebadi, qui se trouvait à Paris lorsqu’elle a appris la bonne nouvelle, a déclaré sur les ondes de la radio publique norvégienne NRK : « Ce prix est très bon pour moi, très bon pour les droits de l’homme, très bon pour la démocratie en Iran. » Elle recevra
son prix, d’un montant de 10 millions de couronnes suédoises (1,12 million d’euros), à Oslo, le 10 décembre prochain, date anniversaire de la mort d’Alfred Nobel. À moins que Téhéran y voie un inconvénient

* Féminin de shah, impératrice.

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