Pékin déshabille Rome

Supplantés par la concurrence chinoise, les professionnels italiens se trouvent devant une alternative simple : délocaliser ou fermer boutique.

Publié le 13 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

Rien à faire : les écharpes de soie et les cravates colorées d’Adelio Bernasconi, commerçant italien, restent sur les présentoirs. Et pour lui, il ne fait aucun doute que c’est la faute aux articles de luxe fabriqués à l’autre bout du globe. Le made in China a envahi les secteurs du textile et du cuir et inquiète à la fois les entreprises familiales, les grandes régions textiles et le gouvernement, car ceux qui n’ont pas les reins assez solides pourraient bien être évincés, et les fabricants, contraints de délocaliser en Chine.
Les pressions qu’exerce aujourd’hui Pékin sur les marchés mondiaux ressemblent étrangement à celles qu’exerçait l’Italie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La péninsule, qui était alors l’un des pays les plus pauvres d’Europe, a menacé pendant trente ans l’industrie du luxe en France et en Allemagne en cassant les prix : « Les Français vendaient leurs cravates 700 lires ; nous, nous pouvions les vendre 250 lires, se souvient Bernasconi. Nous avons même fait fermer des sociétés basées à Lyon. » Aujourd’hui, ce sont ses affaires à lui qui sont menacées. Jusqu’à Côme, pourtant réputé pour ses soies, où il s’est installé. Là-bas, l’Association industrielle estime qu’en cinq ans la ville a dû diminuer de 50 % sa production de cravates et que sa production textile a, d’une manière plus générale, chuté de 20 %. D’ailleurs, « si nous ne dépendions que de la soie, explique Guido Tettamenti, de l’Association industrielle de Côme, nous n’existerions plus. Nous survivons en fabriquant des produits que la Chine ne fait pas et en en changeant tous les six mois. »
Dans d’autres régions, autour de Prato ou Biella, des douzaines de sociétés ont mettre la clef sous la porte durant ces deux dernières années. Un sort que d’autres pourraient bientôt connaître. « La Chine a déclaré la fin de l’industrie textile européenne », explique Franco Miliotti, patron de Milior, une entreprise établie à Prato depuis cinq générations. Les exportations chinoises ont en effet fortement augmenté ces dernières années, passant de 48 milliards de dollars en 1999 à 61 milliards en 2002. En août, le ministre italien de l’Économie, Giulio Tremonti, a rappelé que son pays (qui assurait, pour six mois, la présidence tournante de l’Union européenne) essayait de freiner les importations chinoises par un système de barrières tarifaires et de restrictions en matière de normes sanitaires et environnementales. « Il est évident, a fait observer Tremonti, que là où la Chine arrive, l’Italie s’en va. »
Logiquement, les pays européens et les États-Unis condamnent les importations chinoises, encore moins chères depuis que le yuan, arrimé au dollar, a faibli. Mais l’industrie textile italienne, qui représente 40 % des exportations européennes du secteur, est encore plus vitale pour l’ensemble de l’économie nationale : les ventes à l’étranger ont représenté, l’année dernière, près de 2 % du Produit intérieur brut (PIB) de l’Italie. Et Rome, à l’inverse de ses voisins, dépend encore beaucoup des produits manufacturés.
En France, l’industrie du luxe se dit aussi préoccupée par la concurrence chinoise, mais souffre moins que sa voisine transalpine. D’abord parce qu’elle importe depuis longtemps ses tissus ; ensuite parce qu’elle mise sur la renommée de grandes marques comme Dior ou Givenchy, quand l’Italie a, elle, choisi de parier sur le made in Italy. Du coup, estime-t-on à Paris, il y a peu de risques pour que les grands noms du luxe français soient délogés par les productions chinoises. Même si, comme le reconnaît le porte-parole de LVMH (Louis Vuitton-Moët Hennessy), « il est certain qu’il y a eu une réelle amélioration de la qualité des productions chinoises. Mais nous luttons avec une industrie fondée sur les compétences et les traditions. »
Rien n’est donc gagné pour la mode italienne. Ses compagnies devront choisir entre une production plus restreinte, essentiellement destinée au marché local et de très haute qualité, et la délocalisation en Chine, avec une attention toute particulière apportée à la marque et au design. Adelio Bernasconi, le commerçant de Côme, en est conscient : « La seule solution pour survivre, c’est de quitter la ville pour confectionner en Chine. » Mais peu d’entreprises italiennes y ont des usines – à l’exception du géant du prêt-à-porter masculin Ermenegildo Zegna.

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