Ould Daddah ouvre ses Mémoires

Vingt-cinq ans après sa destitution, le premier président de la République islamiquepublie un livre où il relate avec minutie son itinéraire. Une contribution essentielle au débat politique en cours.

Publié le 13 octobre 2003 Lecture : 10 minutes.

Il y a vingt-quatre ans, le 2 octobre 1979, Moktar Ould Daddah, premier président de la Mauritanie indépendante, quittait son pays pour un exil forcé qui se prolongera pendant deux décennies. Renversé par l’armée le 10 juillet 1978, emprisonné pendant quinze mois au fort de Oualata, à mille kilomètres de la capitale, cet homme respecté ne regagnera
Nouakchott qu’en juillet 2001. Aujourd’hui âgé de 79 ans, il vient d’achever la rédaction de ses Mémoires, Mauritanie contre vents et marées, dont la parution aux éditions Karthala est annoncée pour le 27 octobre, premier jour de ce ramadan 2003. Moktar Ould Daddah y raconte avec minutie son itinéraire, avant et pendant le pouvoir, décrit la patiente édification d’un État à nul autre pareil, campe les personnages qui l’ont marqué
et accompagné, parle du Maroc, de l’Algérie, du Sahara, de l’Afrique et de bien d’autres choses. Six cents pages qui, sans aucun doute, nourriront le débat politique en cours en Mauritanie, à deux mois d’une élection présidentielle particulièrement attendue. Nous avons choisi de vous donner à lire ce qui, à la fois, ouvre et clôt ce précieux témoignage : l’histoire de la chute de Si Moktar et de son départ pour l’exil.

« L’armée vous retire sa confiance »

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Ce lundi 10 juillet, je dors seul dans la chambre à coucher de l’étage de la Résidence : Mariem est à Dakar où, à la tête d’une délégation de femmes mauritaniennes, elle participe à un congrès de femmes juristes. Veillés par Nafissa, les trois enfants dorment
dans leurs deux chambres situées sur le même et unique étage. Vers 4 heures du matin, je suis réveillé par le bruit de plusieurs moteurs de voitures qui s’arrêtent devant la maison, du côté du mât du drapeau. De cette présence insolite, je déduis qu’il s’agit des usurpateurs. Je me lève et m’habille : tenue nationale traditionnelle. Peu de temps après, on frappe à la porte de ma chambre. J’ouvre. En face de moi : mon aide de camp, le lieutenant Moulaye Hachem, et un autre jeune lieutenant que je ne connais pas ; je saurai par la suite qu’il s’agit du lieutenant Moktar Ould Salek, frère du commandant Jeddou Ould Salek. Les deux officiers sont accompagnés de trois soldats armés.
Nerveusement mais poliment, le lieutenant Moulaye, dans un garde-à-vous à peine esquissé et probablement inconscient, me déclare : « Monsieur le Président, l’armée vous retire sa confiance. Veuillez nous suivre. » Une fugace envie d’entamer une discussion juridique me traverse l’esprit : l’armée ne peut retirer ce qu’elle n’a pas eu à donner. L’armée doit rester dans la légalité. Mais instantanément, je refoule ma pensée et je ne dis rien. Je suis donc mes visiteurs. Nous descendons au rez-dechaussée. Une Land Rover nous attend, arrêtée contre la porte du patio. Au moment de monter, je demande à mes accompagnateurs de faire conduire mes enfants, quand ils se réveilleront, chez ma sur Oumametou et mon cousin Ahmedou Ould Mahmoul Brahim.
Je monte à côté du chauffeur, lequel tremble tellement qu’il n’arrive pas à mettre le contact, tout en faisant beaucoup de bruit avec les clefs de son trousseau. Je l’invite à se calmer. Finalement, il réussit à démarrer. Le lieutenant Moktar monte derrière moi avec deux soldats. Quant au lieutenant Moulaye, il prend place dans une Land Rover qui, précédant celle où je me trouve, prend la tête du convoi. Plusieurs Land Rover nous suivent : la caravane emprunte, sur quelques kilomètres, la route de l’Espoir avant de bifurquer vers le camp du Génie, appelé couramment « Génie » tout court. Chemin faisant, le lieutenant Moktar se penche vers moi et me dit poliment et avec une émotion certaine dans la voix : « Monsieur le Président, rassurez-vous. Il ne vous sera fait aucun mal. »
« N’arrive que ce que Dieu veut », ai-je répondu. […]
Le 15 juillet, à 4 h 30, alors qu’il fait encore nuit noire, je quitte le « Génie », en compagnie du capitaine Athié et de quelques soldats en armes, à bord de la même « familiale » dont j’ai déjà parlé. Cap sur l’aéroport de Nouakchott. En bout de piste, la « familiale stoppe tout près d’un petit Defender à l’arrêt. Tout le monde descend. Je fais, seul, quelques pas dans la fraîcheur de la nuit finissante de Nouakchott. Nouakchott encore endormi sous ses lumières publiques éparses et souvent pâles. Rien alentour ne m’indique que quelque chose a changé en République islamique de Mauritanie : le même ciel encore constellé d’étoiles dont certaines sont scintillantes, le même silence profond de la nuit que je voyais et sentais lorsqu’il m’arrivait de décoller vers
la même heure matinale pour effectuer des tournées à l’intérieur du pays ou des voyages
à l’étranger.
Vers 5 heures, le pilote arrive en même temps que le capitaine Mohamed Mahmoud Ould Dieh, sinon avec lui. Les quatre soldats de l’escorte dont deux étaient déjà à mon service au « Génie » sont également là.
Échange de salutations avec le capitaine Ould Dieh. Au revoir au capitaine Athié, et me
voilà à bord du Defender, sans savoir où je vais.
Avec le lever du jour, et d’après les paysages survolés, je constate que nous volons vers l’est, plus précisément vers Kiffa, Tamchakett, Aïoun ou Néma. Il pleut sur la région et la visibilité est mauvaise. L’avion semble avoir perdu sa route. Il fait plusieurs tours sur l’Afollé sans découvrir Aïoun, qu’il finit par repérer. Il atterrit sans difficulté. Il s’arrête en bout de piste, du côté opposé aux soutes à essence.

Haïdallah et moi

Le 13 août 1978, je reçois la première visite d’un membre de la nouvelle direction militaire du pays : le lieutenant-colonel Mohamed Khouna Ould Haïdallah, nouveau chef d’état-major. Très poli, timide – ou intimidé. En compagnie du capitaine Mohamed Fall et après les salutations d’usage, il me déclare à peu près : « Je viens de la part du comité militaire et de son président le colonel Moustapha Ould Salek pour vous saluer, m’informer des conditions de votre installation et vous poser quelques questions concernant certains problèmes. […] » Puis il fait discrètement signe à son compagnon de se retirer. Resté seul avec moi, il me demande, de la part de son chef, des précisions sur certains dossiers financiers : des demandes de prêts introduites auprès des gouvernements marocain, irakien et saoudien. Je lui fais le point de ces dossiers tels qu’ils étaient au début de juillet. À son tour et sans que je le lui demande, il me dira où en étaient ces dossiers quand il reviendra me voir, le 1er septembre, en compagnie de mon premier visiteur civil : mon « patron » et ami, Me Boissier-Palun, dont la visite inattendue me réjouit et me touche. Venus ensemble en petit avion à Néma, ils effectuent, en Land Rover, le trajet particulièrement éprouvant Néma-Oualata : à cause de l’hivernage, la voiture patauge plusieurs heures durant. Voyage d’autant plus pénible que mon « patron » souffre d’un lumbago.
Me Boissier-Palun, qui vient de voir Mariem et les enfants à Dakar, m’en donne des nouvelles fraîches en même temps qu’il m’apporte la première lettre de Mariem dont je lui confie la réponse. En plus des nouvelles familiales qui me manquaient tant, il me transmet un message verbal d’amitié et de solidarité du « Doyen », Houphouët-Boigny, qui me fait dire qu’il veillera personnellement sur ma famille et qu’en coordination avec les présidents Ahidjo, Senghor, Bongo, Bourguiba, etc., et du roi Hassan II, et avec l’aide active du président Giscard d’Estaing, il travaille pour obtenir ma libération. Il est optimiste. […]
Le 1er septembre 1978, en marge de sa visite avec Me Boissier-Palun, j’ai une longue conversation avec Ould Haïdallah. Il m’apprend que le Maroc et l’Arabie saoudite, conformément aux promesses à moi faites avant le 10 juillet, ont déjà versé au nouveau régime militaire une partie des prêts demandés : j’en ai oublié le montant. Il est plus vague sur les informations au sujet du Sahara.
J’ai évoqué moi-même la question de ma libération, en exprimant l’espoir que ma détention n’allait pas durer trop longtemps. Et j’enchaîne en disant qu’une fois libéré j’envisage d’aller avec ma famille m’installer en Tunisie.
Très mal à son aise, il me répond que mon cas préoccupe le comité militaire au nom duquel il n’est pas habilité à parler, mais qu’il rendra fidèlement compte au président du comité de notre entretien. Et d’ajouter que, personnellement, il espère que je ne resterai pas trop longtemps à Oualata. Puis, après un silence gêné, il me dit qu’il a une idée tout à fait personnelle dont il désire me faire part et dont il parlera éventuellement au colonel Moustapha. Avec mon accord, il poursuit, toujours visiblement embarrassé, en déclarant à peu près : « […] Vous avez une grande expérience et une audience internationale dont le pays a besoin. Ne peut-on pas trouver une formule permettant d’en faire profiter le nouveau régime et le pays tout entier ? Je m’exprime mal, mais c’est à peu près ce que je voulais dire. […] »
« En somme, après m’avoir chassé du pouvoir, vous voulez que je devienne votre conseiller ? Par amour du peuple mauritanien et dans son intérêt, je souhaite le succès de ceux qui m’ont renversé, car le peuple mauritanien bénéficierait de leur succès tout comme il pâtirait de leur échec. Mais en tout état de cause, je ne peux accepter votre proposition. […] » Comme mon interlocuteur est de plus en plus gêné, je change de sujet.
Le 15 novembre 1978, le commandant Jeddou Ould Salek, membre du « comité militaire » et « ministre de l’Intérieur », vient me voir. Très poli, lui aussi, respectueux même. Il me donne des nouvelles de Mariem et des enfants ainsi que des ministres, mes coéquipiers détenus au « Génie ». Il me parle des problèmes du pays comme s’il avait à m’en rendre compte. En particulier, il m’informe sur les contacts que le comité militaire prend avec le Polisario, au Mali. Avec lui, j’évoque également ma libération : il me fait à peu près la même réponse que le lieutenant-colonel Ould Haïdallah.

Une valise pour l’exil

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Au lendemain du jeûne du ramadan de 1979 dernière semaine d’août , je sens les premiers
symptômes d’une maladie qui, par la suite, allait se révéler être due à des calculs dans la vésicule biliaire. Je ne suis pas alité, mais je souffre de douleurs épisodiques au ventre et, parfois, je vomis de la bile. Alerté, le docteur N’Diaye Kane arrive rapidement de Nouakchott. Il me soigne pendant quelques jours et me fait part de son intention de proposer mon évacuation sur un centre médical bien équipé où je pourrai subir des analyses sophistiquées difficilement réalisables en RIM : Dakar, Abidjan ou la
France.
Le 1er octobre, en début d’après-midi, le sous-lieutenant Eslemhoum m’annonce : « Je viens à l’instant d’être informé que vous devez vous tenir prêt à partir ce soir ou demain matin pour aller à Néma d’où vous devrez voyager… On ne m’a pas précisé où vous irez. Si vous voulez, je vous aide à préparer vos bagages. […] » Avec son aide, je fais rapidement mes deux cartons tenant lieu de valises : tous mes livres, vêtements et affaires de toilette y sont entassés. Et me voilà prêt à aller je ne sais où…
« Je reviendrai vous prévenir dès que je recevrai de nouvelles instructions […] », dit Eslemhoum.
Je ne modifie rien dans l’emploi habituel de mon temps. Mais l’après-midi et la nuit me paraissent assez longues. Et pourtant, d’ordinaire, je dors très bien le soir.
Le 2 octobre, vers 9 heures le matin, le lieutenant Eslemhoum vient me signaler que les Land Rover sont prêtes et que je peux donc prendre la route. Moins d’une heure après, je sors définitivement de ma concession et du fort… Cap sur le terrain d’aviation de Néma où nous arrivons vers 13 heures. […]
À l’atterrissage, je suis très poliment accueilli, en bout de piste, par le commandant ou le lieutenant-colonel , Ahmedou Ould Abdallah, chef d’état-major. Il me prend dans une voiture arrêtée juste à côté et qu’il conduit lui-même. Il l’arrête au bord de la piste, en disant que nous serons mieux dans la voiture pour parler. Je descends, je fais mes prières en retard et je remonte dans la voiture. Mon interlocuteur me transmet les salutations du colonel Ould Haïdallah et me déclare que mon départ devant être tenu secret en vertu d’un accord avec les Français, il n’a pu prévenir mes parents de mon passage. Et il ajoute : « Pour le moment, vous êtes évacué sanitaire, mais votre libération totale et définitive est à l’étude. Elle sera probablement acquise après votre guérison et votre retour au pays. »
À l’issue de notre entretien tout à fait correct, il me remet une valise contenant deux tenues mauritaniennes complètes, avec un burnous marocain en laine et une trousse de toilette enfermant le nécessaire à raser et à dents. Valise qui constituera mon unique bagage pour Paris.
Vers 21 heures, je monte à bord du Mystère 20 sanitaire, français. Direction Paris…
À Paris, je saurai par René Journiac que ma libération définitive et mon évacuation sur la France ont été négociées par le président Giscard d’Estaing avec le colonel Ould Haïdallah. Par intermédiaire et directement. En effet, le président français et Ould
Haïddalla aussi avait fait l’objet d’interventions de la part des présidents Houphouët-Boigny, Ahidjo, Senghor, Bourguiba, Bongo, ainsi que du roi Hassan II, du roi Hussein de Jordanie et du roi Khaled d’Arabie saoudite.

Mauritanie contre vents et marées, Karthala, Paris, 640 pages, 35 euros. Il est possible de commander l’ouvrage sur le site www.karthala.com et de consulter le www.contreventsetmarees.com, qui assurera le lien direct entre Moktar Ould Daddah et ses lecteurs.

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