Les Tunisiens récupèrent Bizerte

Publié le 13 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

Le 15 octobre 1963, sept ans après l’indépendance de la Tunisie et deux ans après la bataille de Bizerte, les bâtiments de la marine française quittent la rade de Bizerte. Vers 14 heures, en une cérémonie discrète, un officier décroche le drapeau bleu blanc rouge. Il le plie en quatre, le met sous son bras et rejoint le navire amiral, qui sera le dernier à quitter le port.
L’évacuation du dernier soldat français se termine vers 15 heures. Les quais où, jusqu’à la veille, trois cargos, douze navires de guerre, un porte-avions, trois mille hommes et des tonnes de matériel attendaient d’être embarqués sont étrangement déserts. Les Français laissent cependant derrière eux deux pistes d’envol, une base aérienne avec hangar et bâtiments, une base aéronavale, un hôpital, des immeubles administratifs, une tour de contrôle, des installations souterraines inachevées, du matériel de contrôle, de radio, de protection contre les incendies, des quais, des bassins et, surtout, une quinzaine de techniciens pour assurer l’entretien des installations et la formation de Tunisiens capables de prendre la relève.
Au même moment, l’aviso Destour, battant pavillon rouge et blanc, apparaît à droite de la rade. À son bord, un petit groupe de responsables tunisiens qui regardent le dernier bateau français s’éloigner. Parmi eux, Bahi Ladgham, vice-président et secrétaire général du Néo-Destour, Taïeb Mehiri, Hassib Ben Ammar, Mahjoub Ben Ali…

Vers 16 heures, un officier français ouvre la grande porte de fer, un énorme trousseau de clefs à la main. Le bateau accoste à l’endroit même où était amarré le navire amiral français. Une petite foule, qui a envahi le port, entonne l’hymne national et lance des « Yahya Bourguiba ! » (« Vive Bourguiba ! »). Bahi Ladgham hisse le drapeau tunisien sur la base, puis annonce solennellement au téléphone à Habib Bourguiba, président du parti et chef de l’État : « Mission accomplie. » Bizerte, « dernière séquelle de l’ère coloniale », selon les mots de Bourguiba, est enfin rendu aux Tunisiens. Dans les rues de la ville, c’est la liesse populaire. Bientôt, la joie s’étendra à tout le pays.
Depuis le retrait des troupes françaises du territoire tunisien en 1958, Bourguiba n’avait cessé de revendiquer l’achèvement de la décolonisation par l’évacuation de la base navale. Pour faire taire les surenchères nationalistes, tant à l’intérieur (Salah Ben Youssef) qu’à l’extérieur (Nasser), il voulait obliger les Français à rendre Bizerte, et non le recevoir de leurs mains, à un moment choisi par eux. Le général de Gaulle, aux prises avec le drame algérien, n’entendait se laisser « rien dicter ni arracher soit du dedans, soit du dehors », comme il disait. La rencontre entre les deux hommes, en février 1961, au château de Rambouillet, non loin de Paris, tourna au dialogue de sourds.
L’affrontement était donc devenu inévitable entre deux leaders enfermés dans des logiques antagonistes.

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Les hostilités, déclenchées le 19 juillet 1961, se prolongèrent jusqu’au 23 au matin. Les forces en présence étaient très déséquilibrées : un corps d’élite français bien entraîné et une armée tunisienne courageuse, mais fort peu expérimentée et mal équipée, adossée à des volontaires plus gênants qu’utiles. Bilan des pertes : côté français, 27 militaires tués et une centaine de blessés ; côté tunisien : 632 tués, dont 330 civils.
L’évacuation des troupes françaises sera fêtée solennellement le 15 décembre 1963, à Bizerte, envahi par plus de 300 000 personnes. La postérité retiendra l’image de Bourguiba triomphant au milieu de deux figures du nationalisme arabe, Nasser et Ben Bella, qui n’avaient jusqu’alors cessé de fustiger les « compromissions » du leader tunisien avec l’Occident.
Avec la France, tout était déjà rentré dans l’ordre. Les relations diplomatiques ayant été rétablies, Paris avait repris son aide. On avait presque oublié des deux côtés le bras de fer entre Bourguiba et de Gaulle, deux combattants de la liberté qui s’étaient laissés entraîner dans un conflit stupide.

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