Les mystères d’un putsch mort-né

Publié le 13 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

Treize suspects arrêtés entre le 1er et le 6 octobre, dont un mort en détention – officiellement par suicide. Un quatorzième interpellé trois jours plus tard alors qu’il tentait de trouver refuge à l’ambassade américaine de Ouagadougou… Motif : « atteinte à la sûreté de l’État », un doux euphémisme pour parler d’un projet de coup d’État mort-né.
Le Burkina vit à l’heure des conjectures. Qui en voulait au président Blaise Compaoré ? Une seule certitude : les présumés putschistes, en attendant que la gendarmerie remonte la filière des complicités, sont des militaires, à l’exception d’un instituteur, Pascal Israël Paré, également pasteur de l’Église de l’Union internationale des chrétiens, une sorte d’illuminé dont l’obsession serait de convaincre ses ouailles de soldats qu’ils avaient pour mission divine de libérer le pays et de le purifier.
En annonçant, le 7 octobre, à ses compatriotes la « tentative de déstabilisation », Abdoulaye Barry, commissaire général du gouvernement, qui fait office de procureur général auprès du tribunal militaire, ne s’est pas appesanti sur le programme de l’instit-pasteur. Il a en revanche précisé que le projet de putsch, dont la date d’exécution reste inconnue, était en gestation depuis 2001-2002 et « mis en veilleuse faute de moyens », avant d’être « réactivé » en septembre dernier par celui qui passe, pour l’instant, pour le cerveau de l’opération : le capitaine Ouali Luther Diapagri, 42 ans. Détaché depuis plusieurs années au ministère du Commerce, il était secondé par le capitaine Bayoulou Boulédié, 40 ans, de la direction régionale de l’intendance militaire à Bobo-Dioulasso.

L’officier Ouali, décrit comme taciturne et fruste, a commencé à procéder à des recrutements dans les casernes de Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Ouahigouya et Kaya, en promettant aux futurs conjurés 5 millions de F CFA (7 622 euros), une villa et la mise à l’abri de leur famille. On ne sait pas si les comploteurs ont perçu quelque argent que ce soit. Plutôt circonspect, dans un premier temps, sur la provenance des fonds – « un pays étranger » et des éventuelles armes – le même pays étranger -, Barry a été plus disert le 9 octobre. Il a indiqué que le capitaine Ouali s’est rendu au cours de ces derniers mois en Côte d’Ivoire et au Togo (deux pays voisins dont les présidents entretiennent des relations plutôt délicates avec Compaoré) et y a rencontré des « personnalités » dont il ne révèle pas l’identité.
Tout au plus le procureur consent-il à confier que les enquêteurs ont « saisi ses calepins [de l’officier], ses agendas, ses correspondances et une déclaration intitulée « Déclaration n° 10 », signée « Les militaires du peuple » et appelant les hommes des garnisons à une insurrection. Et que, outre l’officier, il y a d’autres personnes impliquées dans le complot. À l’intérieur ou à l’extérieur du pays.

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En attendant que la lumière soit faite, que l’éventuelle main étrangère soit identifiée et son rôle exact établi de façon incontestable, on sait seulement que, parmi ceux qui sont aujourd’hui en détention, se trouvent dix éléments – anciens ou actuels – du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) qui estiment avoir été utilisés et exploités avant d’être abandonnés. C’est du moins ce qu’affirment des sources proches de l’enquête, laissant entendre qu’ils ont réagi par vengeance. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que les membres de cette fameuse « garde prétorienne » se trouvent impliqués dans des « menées subversives ».
En 1996, une « atteinte à la sûreté de l’État », conduite par le chef du RSP de l’époque, l’adjudant Hyacinthe Kafando, avait été déjouée. Ses auteurs et leurs complices avaient été arrêtés. Comme aujourd’hui. Sauf que, cette fois, le président Compaoré s’est rendu à New York pour assister à la 58e Assemblée générale des Nations unies et à Tokyo pour la IIIe Conférence internationale sur le développement de l’Afrique (TICAD), alors que l’enquête sur la tentative de déstabilisation entrait dans la dernière ligne droite. Comme s’il ne devait rien craindre de ce côté, à moins que ce ne soit parce qu’il savait la menace circonscrite.

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