Le grand pardon

Les anciens dirigeants du pays ont été invités à présenter leurs excuses pour les souffrances naguère infligées à leurs compatriotes. C’est le prix de la « réconciliation nationale » fixé par le nouveau chef de l’État.

Publié le 13 octobre 2003 Lecture : 4 minutes.

Les auditeurs de Radio Centrafrique n’ont pas été déçus. Le « Dialogue centrafricain » a certes été moins feutré que la « réconciliation » qui a suivi le génocide rwandais d’avril 1994. Et plus spontané que l’opération du même genre orchestrée par les autorités congolaises à Brazzaville, en avril 2001. Mais il a retenu, plus d’un mois durant, l’attention de tous. Retransmis en direct sur les ondes, le feuilleton de la réconciliation nationale a été riche en rebondissements et s’est presque transformé en tribunal de l’Histoire. Tous ceux qui, de près ou de loin, ont été impliqués dans la vie politique de la RCA depuis l’indépendance ont été appelés à la barre. Tous n’ont pas pu comparaître, mais, au fil des débats, près de quarante années de gestion catastrophique de l’État ont quand même été publiquement déballées. « Sans sombrer dans l’empoignade générale », se félicite le capitaine Parfait M’baye, le ministre de la Réconciliation nationale.
Dès le début des débats présidés par le pasteur Isaac Zokoué, les trois cent cinquante délégués ont fustigé l’attitude de tous les successeurs de Barthélemy Boganda, le père de l’indépendance. L’un d’eux, l’ancien président André Kolingba (1981-1993), a d’ailleurs profité de cette grand-messe pour faire un retour remarqué au pays. Rentré à Bangui le 5 octobre, il a publiquement présenté ses excuses à ses compatriotes. « Je demande solennellement pardon à tous pour les actes qui auraient pu leur causer injustement du tort au cours des douze années durant lesquelles j’ai eu à assumer les plus hautes charges de l’État », a-t-il déclaré. Après avoir fait observer une minute de silence à la mémoire des victimes des événements survenus pendant et après sa tentative de putsch du 28 mai 2001, il a confié aux membres de la Commission Vérité et Réconciliation qu’il a « toujours été tourmenté par ces souffrances [et continue] de l’être ».
À 67 ans, Kolingba vient de passer vingt-huit mois d’exil en Ouganda, où il a trouvé refuge au lendemain de son coup d’État manqué contre Ange-Félix Patassé. Son retour a fait l’objet de longues tractations entre son entourage et le nouveau pouvoir centrafricain. Plusieurs chefs d’État de la sous-région y ont été associés. Escorté par son ami le Français Michel Lecornec, par ailleurs conseiller du président béninois Mathieu Kérékou, Kolingba a regagné son pays à bord d’un petit avion gabonais affrété sur ordre du président Omar Bongo. Mais si le président gabonais a assuré la logistique, c’est le Congolais Denis Sassou Nguesso qui a mené les négociations, obtenant notamment des garanties sur la sécurité du célèbre exilé.
Au cours de son intervention, qui a suscité une certaine émotion, le général a également demandé « tout particulièrement pardon » à David Dacko, son « prédécesseur et aîné », qu’il a renversé en 1981, ainsi qu’à son « frère François Bozizé ». Si celui-ci est aujourd’hui à la tête de l’État, il n’a certainement pas oublié que son prédécesseur l’expédia en prison pendant de longs mois, entre 1989 et 1991. Assurant avoir passé l’éponge, Bozizé, qui a amnistié et rétabli Kolingba dans son grade, s’est toutefois interrogé sur sa sincérité : « Est-il capable d’ouvrir son coeur ? N’a-t-il pas des arrière-pensées ? Veut-il sincèrement contribuer à la reconstruction de la RCA ? »
En revanche, les auditeurs de Radio Centrafrique ont dû se passer de l’intervention de David Dacko (73 ans), qui présida aux destinées du pays de 1960 à 1966, puis de 1979 à 1981. Celui-ci, qui souffre de crises d’asthme chronique, a « regretté de ne pouvoir prendre la parole, en dépit de sa disponibilité ». Autre absent de marque, et non des moindres, Ange-Félix Patassé. En exil à Lomé depuis son renversement, le 15 mars dernier (voir ci-contre l’article de François Soudan), celui-ci s’est abstenu de faire le déplacement. Il est vrai que le nouveau régime ne s’est pas montré très engageant à son égard : « Il peut venir à Bangui, la justice l’attend », nous a déclaré Bozizé, lors de sa visite au siège de Jeune Afrique/ l’intelligent, le 26 septembre. Patassé est accusé de détournements de fonds pour un montant estimé « provisoirement » à 70 milliards de F CFA (106 millions d’euros).
Si le chef de l’État déchu n’a donc pas participé au Dialogue, l’un de ses ex-lieutenants (la rupture entre les deux hommes est, il est vrai, consommée) a tenté de le faire à sa place. Au nom du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC), le parti fondé par Patassé dont il assure aujourd’hui la vice-présidence, Hugues Dobozendi a indiscutablement fait sensation : « À toutes et à tous, le MLPC demande pardon du fond du coeur pour les pertes en vies humaines, les dégâts matériels, viols et autres exactions commises sous le régime du président Ange-Félix Patassé. » Idem pour l’armée, au nom de laquelle le général de division Xavier Sylvestre Yangongo a lui aussi fait acte de contrition. Profitant de l’occasion, les enfants de l’ex-empereur Jean-Bedel Bokassa ont même mandaté l’un d’entre eux à Bangui. Au nom de ses cinquante-cinq frères et soeurs (reconnus par l’ancien dictateur), Jean-Serge Bokassa a solennellement demandé pardon pour les innombrables crimes commis par leur père. Les auditeurs de Radio Centrafrique n’en demandaient sans doute pas tant.

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