La sixième kamikaze

Publié le 13 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

Samedi 4 octobre, 8 heures du matin. Hanadi Jaradat, 27 ans, quitte la maison familiale, dans la ville de Jénine, en Cisjordanie, pour aller au travail. « Elle était tout à fait normale, souriante même, rapporte sa mère. Elle nous a annoncé, à son père et à moi, qu’elle s’apprêtait à conclure un contrat immobilier qui lui rapporterait l’équivalent de 500 dollars en shekels israéliens. » Une petite fortune pour une famille modeste de Jénine.
Mais la jeune femme ne se rendra pas sur son lieu de travail. Elle parvient à franchir plusieurs check-points malgré les mesures de sécurité draconiennes prises à la veille de Yom Kippour (le jour du Grand Pardon), et, au bout d’un voyage de 48 km, réussit à entrer dans Haïfa, une ville côtière située à 60 km au nord de Tel-Aviv, où juifs, chrétiens et musulmans coexistent de longue date en bonne intelligence.
Hanadi se dirige directement vers sa cible : Maxim, un restaurant judéo-arabe situé en bord de mer, à l’entrée sud de la ville. Il est 14 h 15. La jeune femme élimine froidement le garde posté à l’entrée, s’engouffre dans la salle bondée et actionne la ceinture d’explosifs qu’elle porte sur elle. La déflagration fait 20 morts, 19 Israéliens et elle-même, et une cinquantaine de blessés. Parmi les morts : 3 enfants et 5 Arabes israéliens.
Pour arriver jusque-là sans éveiller le moindre soupçon, Hanadi avait troqué sa jalabiya (robe longue) et son foulard noirs contre un accoutrement occidental. Elle a également bénéficié, pendant le trajet, de la complicité d’éléments aguerris du Djihad islamique, qui l’ont aidée à grimper (ou à faire une brèche dans) le fameux mur de sécurité censé empêcher l’infiltration des activistes palestiniens. Ils l’ont aussi équipée de la fameuse ceinture explosive. Ce sont là, en tout cas, les explications retenues par les enquêteurs israéliens.
Samedi soir, à Jénine, la mère de la kamikaze, Rahmeh, 51 ans, son père, Tayssir, 50 ans, peintre en bâtiment, et ses sept frères et soeurs regardent, bouche bée, sur la chaîne Al-Jazira, la vidéo enregistrée par Hanadi peu de temps avant de se faire exploser. Ils ont juste le temps de ramasser leurs affaires et de se réfugier (provisoirement) chez des proches. Quelques heures plus tard, leur maison sera détruite par l’armée israélienne : punition habituelle infligée aux familles des kamikazes et censée dissuader d’éventuels nouveaux candidats au « martyre ».
La sixième femme kamikaze depuis le début de la seconde Intifada, en septembre 2000, était diplômée en droit de l’université d’Amman et avocate stagiaire à Jénine, sa ville natale. Croyante et pratiquante, elle n’avait cependant rien d’une fanatique religieuse. Selon les témoignages de ses proches, elle n’était même pas membre du Djihad islamique, qui a revendiqué l’attentat de Haïfa.
Qu’est-ce qui a donc pu pousser Hanadi à se faire exploser dans un lieu public et à tuer des civils innocents ? Sa haine des juifs ? Son désespoir de femme écrasée dans une société d’hommes ? La promesse de rejoindre le paradis d’Allah ? L’espoir de devenir une houri dans l’au-delà ? Et si c’était aussi pour donner un sens à sa vie, se glorifier par le sacrifice et entrer dans la postérité grâce aux chaînes de télévision arabes, qui passent souvent en boucle les vidéos enregistrées par les bombes humaines ?
Ces explications, colportées le plus sérieusement du monde par la presse israélienne et occidentale, et souvent attribuées à des chercheurs spécialisés ès kamikazes, prêteraient à sourire si le phénomène qu’elles prétendent dépeindre n’était aussi tragique.
Par-delà son exploitation politique par le Djihad islamique, ainsi que par l’armée israélienne, qui en a profité pour aller bombarder un présumé camp d’entraînement palestinien en Syrie, l’attentat de Haïfa était avant tout un acte de vengeance. Car Hanadi Jaradat n’avait rien d’une activiste ou d’une jeune fille analphabète manipulée par quelque gourou islamiste. Sa décision de se transformer en bombe humaine a été prise, disent ses proches, le jour où elle a vu les cadavres de son frère, Fadi Jaradat, 23 ans, vendeur de légumes au marché de Jénine, et de son cousin et fiancé, Saleh Jaradat, 34 ans, tous deux présentés comme des militants du Djihad islamique et abattus par Tsahal, le 12 juin dernier, lors d’une opération d’« assassinat ciblé ».
« Jusque-là, Hanadi avait les ambitions des femmes de son âge, expliquent ses parents : réussir sa carrière d’avocate et fonder un foyer. » Des ambitions que le « cercle des fous », dixit l’écrivain de Haïfa Sami Michaël, a brutalement ruinées.

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