L’ANC secoué par « l’affaire Zuma »

Le deuxième personnage de l’État accusé de corruption, ça fait désordre. Et gare aux conséquences politiques du scandale !

Publié le 13 octobre 2003 Lecture : 4 minutes.

La date des élections générales de l’an prochain n’a pas encore été arrêtée, mais, déjà, la campagne électorale bat son plein. Règlements de comptes, querelles de personnes, sales histoires opportunément ressorties des tiroirs… La presse s’en donne à coeur joie.
C’est au sein du Congrès national africain (ANC) que les coups pleuvent le plus dru, tandis que l’opposition se réjouit bruyamment de « l’explosion de l’unité » du parti au pouvoir et de la « perte de confiance » de ses électeurs. C’est un énorme scandale financier qui, au début du mois d’août, a mis le feu aux poudres…
Depuis quatre ans, les « Scorpions », une unité d’élite dépendant directement du procureur général, Bulelani Ngcuka, enquêtaient sur les conditions d’attribution par le gouvernement d’importants marchés d’armement (43 milliards de rands, soit 5,5 milliards d’euros) à plusieurs grandes entreprises étrangères. Il y a plusieurs semaines, elle avait découvert un fax très compromettant au domicile du vice-président Jacob Zuma. Lequel avait aussitôt été placé sous étroite surveillance. Signé de la main d’Alain Thétard, l’ancien représentant de Thomson-CSF (aujourd’hui Thalès) en Afrique du Sud, ce message évoque l’existence d’un don de 500 000 rands (61 700 euros) consenti à Zuma par l’entreprise française. En échange d’une protection politique. Tout a commencé avec la publication par la presse d’un fac-similé – jamais authentifié – du document.
Le 23 août, le procureur Ngcuka confirme que de forts soupçons de corruption pèsent sur Zuma, mais précise qu’il n’est pas en mesure d’en apporter la preuve. Il ne peut donc pas demander au vice-président de s’expliquer devant la justice. Tout aurait pu en rester là si un autre dinosaure de l’ANC, l’ancien ministre des Transports Mac Maharaj, n’était alors entré en scène pour tenter, bien maladroitement, de prêter main forte à son ami Zuma. Maharaj, qui est lui aussi sous le coup d’une enquête des Scorpions, met en cause publiquement l’intégrité du procureur, pourtant nommé à son poste, en 1998, par Nelson Mandela en personne. Selon l’ancien ministre, Ngcuka aurait, il y a une dizaine d’années, fait l’objet d’une enquête interne de l’ANC, qui le soupçonnait alors d’avoir été un espion à la solde du gouvernement raciste. L’enquête en question, dont les résultats n’ont naturellement jamais été rendus publics, aurait été menée par Zuma, Maharaj et Mo Shaik, le frère de Shabir Shaik, lui-même conseiller financier personnel de Zuma, aujourd’hui gravement mis en cause dans l’affaire des contrats d’armement…
Manifestement embarrassé, le président Thabo Mbeki a fini par sortir de sa réserve. Le 18 septembre, il a annoncé devant le Parlement la création d’une commission d’enquête afin de vérifier les accusations qui pèsent sur le procureur. Celle-ci est dirigée par Josephus François Hefer, un ancien juge à la Cour suprême, aujourd’hui à la retraite. La commission, qui a commencé ses travaux le 29 septembre, doit rendre ses conclusions avant la fin de ce mois. Mais sans attendre, Mbeki a entrepris d’étouffer la polémique qui enfle dans les rangs de l’ANC. Le 3 octobre, dans la lettre hebdomadaire qu’il publie sur le site Internet du parti, il a menacé de représailles « ceux qui veulent détruire l’effort de réconciliation nationale » engagé depuis 1994, en faisant resurgir les « fantômes du passé ». C’est dire que l’affaire Zuma va beaucoup plus loin que la simple mise en cause du vice-président.
Les divisions traditionnelles au sein de l’ANC (exilés contre combattants de l’intérieur, communistes contre libéraux) s’estompent peu à peu. Sous Mandela, c’étaient les dirigeants « historiques », ceux qui furent condamnés lors du procès de Rivonia, en 1963, qui étaient au pouvoir. Avec Mbeki, le tour est venu des anciens exilés. Une nouvelle génération d’hommes politiques, moins proches du combat historique contre l’apartheid, fait aujourd’hui irruption sur le devant de la scène. En fait, l’affaire Zuma a précipité une redistribution des rôles au sein de l’ANC. Tout montre que Mbeki perd chaque jour un peu plus de son ascendant sur le parti.
Certes, la victoire de l’ANC aux prochaines élections ne fait guère de doute (même si l’affaire Zuma peut lui faire perdre quelques plumes). Mais la grande question est ailleurs : de quels hommes le président choisira-t-il de s’entourer, au cours de son deuxième mandat ? Les caciques de l’ANC – Zuma, Ngcuka et quelques autres – qui ont eu maille à partir avec la justice (voir encadré) ont-ils encore un rôle à jouer ?
Le discrédit qui frappe le parti au pouvoir rejaillit inévitablement sur l’image du pays à l’extérieur. « Toutes ces affaires de corruption à la tête de l’État risquent d’effrayer les investisseurs », s’inquiète le directeur d’une filiale de JohnCom, le géant des médias. Même les relations avec la France, pourtant au beau fixe lors de la visite à Pretoria de Dominique de Villepin, en juin, s’en trouvent perturbées. Les autorités françaises, accusées de n’avoir pas coopéré avec la justice sud-africaine (parce qu’elles n’avaient pas été sollicitées par la voie diplomatique normale), ont finalement demandé au juge Édith Boizette, à la mi-septembre, de prendre en charge le dossier Thalès, en vue d’une prochaine comparution d’Alain Thétard. Thabo Mbeki et Jacques Chirac n’espèrent sans doute qu’une chose : qu’on ne parle pas trop de l’affaire Zuma avant la visite que le chef de l’État sud-africain doit faire à Paris, à la mi-novembre.

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