Grand-messe africaine

Réunis à Dakar pour leur symposium triennal, les dignitaires de l’Église du continent ont décidé d’ancrer leur action dans la réalité.

Publié le 13 octobre 2003 Lecture : 5 minutes.

La XIIIe assemblée plénière du Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM) s’est tenue du 1er au 12 octobre à Dakar. Cent cinquante dignitaires ecclésiastiques se sont rassemblés, sous la présidence de Mgr Laurent Monsengwo Pasinya, archevêque de Kisangani (République démocratique du Congo, RDC). Seule institution représentative de l’Église catholique d’Afrique au niveau continental, le SCEAM répond au double voeu formulé par le pape Paul VI lors de sa visite à Kampala (Ouganda) en juillet 1969 : que l’Afrique travaille par elle-même à répandre la foi chrétienne et qu’elle se dote d’un « christianisme africain », mieux à même de répondre aux besoins des populations que le dogme exporté d’Occident.
Depuis cette époque, le SCEAM a travaillé pour atteindre ces objectifs, discrètement, mais d’arrache-pied. Ainsi a-t-on vu le nombre de prêtres s’accroître de façon fulgurante, contrairement à ce qui se passait dans le même temps en Europe : 46 % d’augmentation entre 1978, date de l’élection de Jean-Paul II, et 1996. En conséquence, l’Afrique a aujourd’hui un poids démographique non négligeable dans le monde chrétien. Selon les derniers chiffres connus (1998), elle représentait 18 % des chrétiens de la planète et 11,2 % des catholiques, avec plus de 117 millions de fidèles. Dix ans plus tôt, ceux-ci n’étaient que 54,8 millions. On comprend donc que les prêtres, quelle que soit leur position dans la hiérarchie, soient de plus en plus conscients qu’ils ont un rôle à jouer non seulement auprès de leurs ouailles, mais également sur les plans nationaux et face à la mondialisation des idées. Ils sont de véritables représentants de la société civile.
À Dakar, les délégués ont donc décidé de prendre à bras-le-corps les maux de l’Afrique, spirituels comme temporels, et ont affirmé leur volonté d’agir ensemble face aux événements, au-delà des barrières linguistiques et des conditions sociopolitiques propres à chaque État. Cette profession de foi passe, sur le plan pratique, par une grande restructuration du SCEAM et par l’accroissement de ses moyens financiers. Il doit pouvoir intervenir sur le terrain, rapidement et efficacement, dans tous les domaines où l’on a besoin de lui, dans l’urgence ou dans la durée.
Pourquoi ce souci brutal du principe de réalité ? De toute évidence, le poids politique des catholiques n’est plus insignifiant. Quoique la séparation de l’Église et de l’État soit consommée depuis longtemps, les évêques n’ont jamais rechigné à descendre dans l’arène politique, lorsque l’intérêt supérieur des nations était en jeu. Ainsi les a-t-on vus, au début des années 1990, organiser et diriger les conférences nationales, comme Mgr De Souza dans le Bénin révolutionnaire de Mathieu Kérékou. Mgr Monsengwo sait ce qu’il en coûte en énergie et en diplomatie, lui qui s’est occupé de celle du Zaïre de Mobutu. Qu’importent les échecs ou les succès de l’époque, à Dakar, cette année, le SCEAM a voulu prendre un nouvel élan dans ce domaine et affirmer, haut et fort, la mission renouvelée de l’Église catholique dans les sociétés civiles, son implication renforcée dans le destin des nations et sa présence comme « voie du milieu » pour résoudre les difficultés personnelles et collectives des Africains.
Cette rentrée dans le monde social et politique se devait d’être marquée par une cérémonie. Le 5 octobre, les délégués du SCEAM se sont rendus en pèlerinage sur l’île de Gorée, au large de Dakar. Jadis lieu d’embarquement de nombreux esclaves en partance pour les Amériques, elle est aujourd’hui le « sanctuaire africain de la douleur noire », selon l’expression du pape Jean-Paul II. Ce dernier avait déjà demandé pardon, en ces mêmes lieux, le 22 février 1992, pour ce « péché de l’homme contre l’homme et de l’homme contre Dieu ». Les évêques ont renouvelé cette prière, à laquelle ils ont ajouté une déclaration politique particulièrement virulente (voir extrait).
Ce discours donne le ton des prélats d’aujourd’hui. La gravité de jadis, le langage fleuri et elliptique sont en voie de disparition. Place au réalisme et à l’action. C’est pourquoi les 6 et 7 octobre ont été consacrés à l’examen du rôle de l’Église dans le combat contre le sida. Dans son allocution inaugurale, le Premier ministre sénégalais Idrissa Seck avait déjà mis l’accent sur le travail effectué par les organisations non gouvernementales catholiques, comme Sida services. Le SCEAM considère maintenant comme un devoir de poursuivre cette tâche, soit directement, soit par l’intermédiaire d’associations laïques ou religieuses. Accompagner les malades ou favoriser leur accès aux traitements représente un premier volet de la question. Il leur incombe aussi de se pencher sur les moyens de prévention, dont les plus efficaces, pour les religieux, sont la fidélité et l’abstinence. Dans ce domaine, leur position se trouve évidemment en accord avec les préceptes – par ailleurs fort critiqués – du pape Jean-Paul II, qui refuse l’utilisation du préservatif. Mais les évêques africains ne peuvent que prendre en compte, une fois encore, le fameux principe de réalité qui se traduit, en chiffres, par 30 millions de malades sur le continent. Ils sont maintenant conduits à le dire clairement : il faut que leurs fidèles se protègent par tous les moyens.
À l’issue de ses travaux triennaux, le SCEAM réorganisé devrait être mieux armé pour relever les défis de la société africaine contemporaine. Cette efficacité se traduira par une plus grande implication dans les problèmes de la société civile, également en ce qui concerne l’éducation. Le nombre d’écoles catholiques a été multiplié par deux en dix ans, mais il faut faire mieux, car le nombre d’élèves a presque triplé. Grâce à ce développement de sa sphère d’influence, l’Église espère mieux remplir sa mission spirituelle, qui est de prêcher et de convertir, mais aussi de donner envie à tous de vivre selon des principes moraux, voire hygiéniques, clés – lointaines – de la fin des guerres et des épidémies. Elle devra aussi mieux se défendre contre ses concurrents, de plus en plus nombreux et dont les plus virulents ne sont pas les représentants des autres religions du Livre, mais plutôt les sectes. Leur recrudescence est l’un des symptômes du désir des Africains de se reconnaître et de se ranger derrière un guide spirituel qui les comprenne et les conduise à travers les difficultés de l’existence. La RDC, vitrine de l’Afrique catholique puisqu’elle représente, à elle seule, presque 21 % des fidèles, abrite aussi plusieurs centaines de représentations de sectes. La tâche sera ardue, mais n’est-ce pas l’essence même du sacerdoce…

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