Dérangeants ados

Ken Park, de Larry Clark (sorti à Paris le 8 octobre)

Publié le 13 octobre 2003 Lecture : 2 minutes.

Pour un film aussi dur, cru et déroutant, rien de plus normal que de tout renverser sur son passage. Et donc de commencer l’histoire par ce qui devrait la clore, une scène où l’un des jeunes « héros » du film, celui qui lui donne son titre, Ken Park, se suicide de manière on ne peut plus spectaculaire. On ne le retrouvera devant la caméra que peu avant le générique final pour enfin savoir à quoi ressemblait sa vie avant son autodestruction brutale et sanglante.
Contrairement aux apparences, le film ne se déroule pas tout à fait à la manière d’un flash back. On ne comprend pourquoi Ken Park ne supporte plus de vivre qu’après avoir suivi les histoires enchevêtrées, glauques et violentes de quatre autres adolescents, trois garçons et une fille. L’un finit par être agressé sexuellement par son chômeur de père, « beauf » comme il n’est pas permis ; le second, élevé par des grands-parents qu’il ne supporte plus et maltraite, joue parfois à s’étrangler pour parvenir à des orgasmes ; le troisième, avec son visage d’ange, se laisse volontiers séduire par la mère de sa petite amie, dont il apprécie l’expérience au lit. Quant au quatrième personnage, la belle Latino Peaches, elle doit supporter un père veuf, fanatique religieux qui débloque complètement le jour où il découvre qu’elle n’est plus vierge.
On l’a compris, si Ken Park raconte des histoires de famille de l’Amérique profonde, ce n’est certainement pas un film à aller voir en famille. D’aucuns le trouveront abject, voire pornographique. Ils auront tort de s’en tenir à un tel jugement, aussi compréhensible soit-il au vu des images. Affirmant vouloir montrer qu’on peut mettre en scène des jeunes sans pour autant se limiter à « des comédies bébêtes », Larry Clark, figure importante du cinéma américain indépendant depuis Kids tourné en 1995, a effectivement renouvelé le genre du film sur les adolescents. Car il a pris le risque de filmer sans aucun tabou, frontalement, les désordres et les fantasmes de cette période si particulière du passage de l’enfance vers la vie adulte à une époque, la nôtre, où, en particulier dans l’Amérique profonde, les parents n’arrivent plus à assumer leur rôle traditionnel en matière d’éducation.
Ce qui conduit le réalisateur à décrire un univers dans lequel le désir – ce sentiment qui suppose qu’on se confronte au manque, à ce qu’on ne peut obtenir – semble avoir disparu au profit d’une recherche permanente de la jouissance immédiate et sans limites. Avec tous les débordements et les pratiques perverses que cela entraîne. Les « valeurs » caractéristiques de cet univers, fort peu humaniste et où tout se consomme et se consume, ce sont celles que des adolescents très perturbés cultivent d’une façon paroxystique dans Mais ce sont aussi, de plus en plus, celles que la culture occidentale véhicule dans le monde actuel. Voilà pourquoi le film de Larry Clark n’est pas seulement un film provocateur, à déconseiller aux âmes trop sensibles ou pudiques, mais aussi une oeuvre forte qui peut faire réfléchir, dérangeante au meilleur sens du terme.

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