[Tribune] Les déchets toxiques et électroniques, une sourde menace pour le Golfe de Guinée

En Côte d’Ivoire, au Ghana et au Nigeria, les chercheurs Ifesinachi Okafor-Yarwood et Ibukun Jacob Adewumi se sont penchés sur le déversement de déchets toxiques et électroniques au Nigeria venus d’Europe ou des États-Unis.

Manifestation à Abidjan après qu’au moins 6 personnes ont trouvé la mort à cause des déchets toxiques exportés depuis les Pays-Bas par Trafigura, en 2006. © AP/SIPA

Manifestation à Abidjan après qu’au moins 6 personnes ont trouvé la mort à cause des déchets toxiques exportés depuis les Pays-Bas par Trafigura, en 2006. © AP/SIPA

Publié le 31 décembre 2020 Lecture : 4 minutes.

Cette tribune, cosignée par Ifesinachi Okafor-Yarwood, maître de conférence à l’Université de St Andrews (Écosse) et Ibukun Jacob Adewumi, expert en économie marine, a initialement été publiée sur le site de The Conversation (lien en anglais).

La santé, les hydrocarbures ou encore l’industrie manufacturière produisent des déchets toxiques et des déchets électroniques (e-déchets) dont l’élimination correcte, sans danger pour la santé humaine et l’environnement, est coûteuse.

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C’est pourquoi un marché a été créé, mais certaines entreprises et courtiers indépendants en déchets contournent les lois, déguisant les déchets toxiques en déchets inoffensifs et les déchets électroniques en produits électroniques réutilisables, avant de les exporter vers des pays d’Afrique occidentale et d’Afrique centrale, contournant les lois internationales qui interdisent le transport transfrontalier de ces déchets.

Les pays du Golfe de Guinée – comme le Nigeria, le Ghana et la Côte d’Ivoire – sont particulièrement ciblés par des entreprises européennes ou américaines comme décharge pour leurs déchets toxiques, malgré la connaissance des effets physiologiques et environnementaux de ces déchets.

Ces pays ne disposent pas des installations nécessaires pour permettre l’élimination en toute sécurité des déchets dangereux et toxiques, dont le véritable contenu leur est presque toujours inconnu.

Le Nigeria et le Ghana, destinations de l’électronique usagé

Le Nigeria et le Ghana sont identifiés par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) comme quelques-unes des principales destinations mondiales pour les déchets électroniques : ordinateurs, téléviseurs, téléphones portables et fours à micro-ondes…

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Au Nigeria, chaque mois, environ 500 conteneurs, transportant chacun environ 500 000 appareils électroniques usagés (dont beaucoup ne peuvent plus être utilisés), arrivent en provenance d’Europe, des États-Unis et d’Asie. Au Ghana, ce sont des centaines de milliers de tonnes d’appareils électroniques usagés, provenant principalement d’Europe et des États-Unis, qui sont livrés dans d’énormes conteneurs.

Comme ces produits ne sont pas correctement recyclés, ils sont à l’origine d’une énorme pollution de l’environnement. Les communautés des deux pays sont également exposées à des produits chimiques toxiques tels que le mercure et le plomb. La combustion des déchets électroniques peut augmenter le risque de maladies respiratoires et cutanées, d’infections oculaires et de cancer pour les personnes qui travaillent et vivent à proximité.

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Le contraste est frappant avec ce qui se passe dans les pays d’origine des déchets : obligation de les recycler de manière appropriée, interdiction de les incinérer et de les mettre en décharge.

L’importation de déchets électroniques dans des pays comme le Nigeria et le Ghana se poursuit parce qu’elle génère des revenus dont on a grand besoin : les taxes perçues auprès des importateurs de déchets électroniques représentent ainsi jusqu’à 100 millions de dollars par an pour le Ghana. Au Nigeria, par exemple, jusqu’à 100 000 personnes travaillent dans le secteur informel des déchets électroniques, traitant un demi-million de tonnes d’appareils mis au rebut chaque année.

En Côte d’Ivoire, le scandale Trafigura

En 2006, le négociant pétrolier Trafigura, basé aux Pays-Bas, ne voulant pas payer les 500 000 euros nécessaires pour traiter et éliminer localement ses déchets toxiques, s’est donc adressé à un entrepreneur ivoirien pour qu’il se débarrasse de plus de 500 000 litres de déchets, affirmant que le matériau était non toxique, et qu’il n’avait donc pas besoin d’être traité. Moyennant 18 500 euros, ces déchets ont été éliminés dans plus de 12 endroits différents autour d’Abidjan par le sous-traitant.

À la suite de cet incident, plus de 100 000 personnes sont tombées malades et 15 personnes sont mortes. Selon une évaluation réalisée en 2018, certains sites sont toujours contaminés. Trafigura savait pourtant que les déchets étaient toxiques et a menti pour les déverser en Côte d’Ivoire. Sa décision montre un mépris pour la vie des Africains.

Le gouvernement ivoirien a conclu un accord de règlement avec le groupe Trafigura, qui a reçu 95 milliards de francs CFA pour indemniser l’État et les victimes et payer le nettoyage des déchets. Cependant, certaines victimes n’ont pas été indemnisées. Les offres de compensation ultérieures des victimes ont été rejetées par un tribunal d’Amsterdam.

Pour aller de l’avant

Nous recommandons aux pays de la région d’appliquer dans leur intégralité les dispositions des conventions de Bâle et de Bamako, qui classent comme illégal le mouvement transfrontalier de déchets dangereux sans le consentement de l’État destinataire.

Actuellement, le Nigeria et le Ghana n’ont pas ratifié la convention de Bamako, ; ils doivent le faire. Les pays destinataires doivent prendre les mesures nécessaires pour s’assurer qu’ils ne sont pas utilisés comme décharge, en contrôlant les négociants et en équipant leurs ports maritimes de technologies et de personnel qualifié capables de détecter les déchets dangereux.

Nous soutenons également que le déversement de déchets dangereux doit être reconnu par les Nations unies et ses États membres comme une violation des droits de l’homme, nécessitant la mise en place d’un tribunal international sur le déversement de déchets toxiques et les crimes connexes.

En outre, bien que la convention de Bâle stipule que l’État peut élaborer des lois concernant la responsabilité et l’indemnisation des victimes, cela n’a pas encore abouti à une indemnisation équitable des victimes.

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