Bernadette Chirac, entre tante Yvonne et Hillary
Elle vénère Mme de Gaulle, mais son vrai modèle, c’est désormais l’ex-First Lady américaine, ce « porte-drapeau des femmes » du monde entier !
Publié le 13 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.
Entre Yvonne de Gaulle, le « modèle des modèles », et Hillary Clinton, cette « mécanique intellectuelle comme [elle en a] rarement rencontrée », son coeur balance, explique Bernadette Chirac dans une interview au Nouvel Observateur. À première vue, on voit mal le rapport entre le spectre discret, austère et provincial de Colombey-les-Deux-Églises et la « tueuse » de Little Rock, Arkansas, cet archétype de l’executive woman planétaire, mais l’épouse du chef de l’État français doit avoir ses raisons.
Née Chaudron de Courcel, elle est le produit de cette bourgeoisie française confite dans ses traditions et ses préjugés qui s’est perpétuée telle qu’en elle-même jusqu’à l’orée des années 1960. Dans ce monde-là, les femmes règlent le défilé des générations et règnent sur la sphère domestique, ce qui n’est pas rien, mais abandonnent aux hommes le devant de la scène. Fils d’un employé de banque devenu homme d’affaires, son futur mari y est étranger, mais ne rêve que de s’y intégrer. Avec la formidable vitalité plébéienne, le physique avantageux et la tendance à ne point s’embarrasser de scrupules qui le caractérisent, il va y parvenir au-delà de toute espérance. Au moment précis où ce vieux monde est en train de s’effondrer.
Entré en politique pour échapper à une carrière de haut fonctionnaire qui l’ennuie, Chirac va, avec une fougue de mousquetaire, multiplier les conquêtes. Dans tous les domaines. « On ne fait pas de politique si l’on n’aime pas séduire ! C’est sans doute pour ça que je n’étais pas trop d’accord, au début », confie Bernadette, qui, des années durant, assumera stoïquement son rôle de « femme de ». Je me suis accrochée comme une moule à son rocher, dit-elle encore. C’était la seule façon de ne pas perdre mon mari. » On sent dans les propos de la première dame un ressentiment diffus. Un désir de revanche tempéré par la lassitude.
En 1988, écrasé par François Mitterrand lors de la présidentielle, Chirac est dans le creux de la vague. On le croit politiquement mort, mais il renaît bientôt de ses cendres. Grâce à ses femmes : Bernadette, bien sûr, qui l’exhorte à s’accrocher, mais aussi Claude, sa fille cadette, qui prend en main sa communication, parvient à « moderniser » son image et prend sur lui un ascendant jugé par certains déplacé. Il est, en tout cas, sans commune mesure avec celui que sa mère n’est jamais parvenue à exercer. Ce qui ouvre à cette dernière de nouveaux horizons.
En 1995, Chirac accède enfin à la présidence, et son épouse sort de l’ombre. Par le biais de diverses activités humanitaires comme l’« opéra-tion Pièces jaunes » destinée aux enfants hospitalisés, ce qui l’installe dans un rôle de dame patronnesse new-look (son côté « tante Yvonne »). Et puis, lors de la campagne présidentielle de 2002, elle réussit un coming-out politique inattendu, parvient à relancer la candidature, une nouvelle fois mal engagée, de son mari et regagne l’Élysée. Depuis, elle est l’idole de la chiraquie. Et se découvre de nouvelles ambitions.
Son modèle, c’est désormais Hillary Clinton, qu’elle a fait venir, en 1996, dans son fief corrézien pour papoter avec des élues locales. « Hillary, c’est clair, elle est sur orbite, s’extasie-t-elle dans le Nouvel Obs. Elle est sénateur de New York, elle a écrit un livre qui a connu un succès mondial. Certes, elle ne le dit pas, mais je pense qu’elle vise la Maison Blanche et je souhaite qu’elle y arrive parce que, le jour où elle sera élue présidente, elle deviendra un drapeau pour les femmes du monde. » Bernadette, suffragette ? On aura tout vu.
Attendra-t-elle que Chirac ne soit plus à l’Élysée pour entreprendre une vraie carrière politique ? « Non, répond-elle, ce sera trop tard. » Elle aura 74 ans en 2007… Mais le seul fait que l’hypothèse soit évoquée suffit sans doute à son bonheur. Et la venge de bien des humiliations.
