Attention, pirates !

L’industrie du disque vacille sur ses bases, menacée par les copies illégales et les fichiers gratuits disponibles sur Internet.

Publié le 13 octobre 2003 Lecture : 5 minutes.

Premier semestre 2003 : il n’y a plus de doute, les résultats sont mauvais à l’échelle mondiale, l’industrie du disque traverse une grande zone de turbulences. Plus de deux disques compacts sur trois vendus sur le marché proviennent de la contrefaçon. Le CD se hisse au deuxième rang des articles les plus copiés sur la planète. Aux États-Unis, mille magasins ont fermé au cours des six derniers mois et le nombre de disques piratés a crû cette année de 70 %. On estime à 90 % la part des contrefaçons sur les marchés chinois et africain. En trois ans, le chiffre d’affaires de l’édition musicale a chuté de 19,5 %, avec des pertes de l’ordre de 7,5 milliards de dollars, somme confirmée par les cinq géants du secteur. Warner Music, EMI, BMG, Sony Music et Universal Music, qui contrôlent entre 75 % et 80 % du marché, ne cachent plus l’existence d’un malaise qui menace la filière de naufrage. Par exemple, Universal Music, le leader du marché, affiche un recul de 25 %. Mais le chiffre des 30 % devrait être atteint d’ici à la fin de l’année. De toutes les raisons avancées pour justifier la dégringolade des ventes, le piratage et le téléchargement via Internet sont constamment cités.
Problème : la crise actuelle n’est pas conjoncturelle, comme les précédentes, mais bel et bien structurelle. La consommation musicale a changé de visage depuis l’irruption du téléchargement on line. L’ère du libre-service a commencé, donnant naissance à une race de mélomanes qui aspirent à une consommation sans contrainte et, surtout, gratuite. Pour eux, avec un prix compris entre 16 et 20 euros, le disque reste trop cher, et ils ne sont plus très enthousiastes à l’idée de dépenser une telle somme pour n’écouter qu’un ou deux tubes. La baisse du prix est donc au coeur du débat entre les professionnels du secteur. Pour l’industrie, réduire ce prix est une gageure : ses charges étant dopées par une explosion des dépenses de marketing et de promotion (entre 6 millions et 7 millions d’euros par semaine en France, TV et Radio uniquement).
Les majors ont longtemps ignoré le téléchargement gratuit de musique. Aujourd’hui, les dégâts sont irréversibles. Pour la première fois, l’industrie n’est pas à l’origine d’un support de diffusion. Depuis le début du XIXe siècle, toutes les innovations dans l’enregistrement et le stockage étaient restées sa propriété ou celle de ses alliées dans l’électronique grand public. C’était le cas avec le disque vinyle et, propulsé dans les bacs au milieu des années 1980, avec le CD, dont les ventes augmentèrent rapidement. Pour chaque CD vendu dans le monde, les royalties étaient partagées entre Philips et Sony. Avec Internet et le support MP3, l’industrie reste sur la touche, alors que les systèmes d’échanges du type Napster conquièrent des millions d’utilisateurs. En 2001, l’industrie a bien tenté de répliquer en mettant en ligne Musicnet et PressPlay, deux systèmes concurrents, mais guère pratiques. Trop tard.
L’impact réel du téléchargement musical est néanmoins anecdotique par rapport au piratage industriel, avec ses usines de gravage numérique et ses ventes sous le manteau. On évalue aujourd’hui à un milliard le nombre d’albums pirates vendus dans le monde, fabriqués pour la plupart en Asie du Sud-Est, en Russie et en Afrique. La très sérieuse International Federation of Phonographic Indusry (IFPI) évoque un chiffre d’affaires de l’ordre de 4,6 milliards de dollars. En 2002, l’IFPI a obtenu la fermeture de 71 unités de reproduction en Asie et la saisie de 7 000 machines pouvant produire 300 millions de CD. Face à l’ampleur du fléau, le libre-échange de la musique sur Internet reste bien marginal. Il ne représente que 10 % des millions de CD enregistrés. Reste que les supports vierges comme les disquettes, les cassettes audio et les CD sont taxés, alors que le phénomène de téléchargement gratuit pose un sérieux problème de rétribution des ayants droit. Outre ces deux formes de piratage, le CD traditionnel a perdu de son pouvoir d’attraction sans que son prix ait fondu. Cause possible : l’incursion du DVD et de ses packagings sophistiqués. Il est difficile de chiffrer cette nouvelle fièvre, mais, avec une augmentation – en France – de l’ordre 50 % à 70 % au premier semestre 2003, on peut se faire une idée du pouvoir de séduction du DVD.
Comment lutter contre les copies à moindre coût qui inondent le marché et le « milliard de fichiers » disponibles sur les sites d’échanges gratuits ? On estime à 200 000 le nombre de serveurs dans le monde qui abriteraient jusqu’à 100 millions de chansons. Des chiffres à donner le vertige aux majors, qui multiplient les menaces. Aux États-Unis, elles essaient d’obtenir que les fournisseurs d’accès Internet leur livrent l’identité des supposés pirates. Le syndicat du disque américain a déjà envoyé plus d’un millier d’assignations, avec pour objectif de porter plainte contre des abonnés. Mais ces méthodes ne satisfont pas tout le monde. Des artistes, comme Michael Jackson, dénoncent ces pratiques de nature à couper l’industrie du disque de son public. Ces mêmes artistes se retrouvent ballottés entre un système supposé les faire vivre et un public dont ils ne veulent pas perdre l’estime. En Afrique, le constat est alarmant. Quatre-vingt-dix- pour cent de CD et cassettes vendus dans les villes africaines alimentent les caisses de réseaux mafieux basés à Monrovia, Freetown, Lomé ou Dar es-Salaam. Les musiciens essaient de s’organiser, comme au Cameroun, mais sans une volonté politique à l’échelle du continent il y a très peu d’espoir de voir la situation s’améliorer.
L’industrie s’efforce néanmoins de lancer une offensive. Notamment en verrouillant le CD lui-même afin de limiter les copies à grande échelle. Les maisons de disques ont ainsi installé, sans en informer le public, des systèmes de protection sur certains disques vendus dans le commerce (Céline Dion, Robbie Williams, Eminem, Daara J…). Ce qui revient, d’une certaine manière, à porter atteinte au droit à la copie privée. Un droit légalement protégé… Réunis le 13 septembre dernier à Trieste, en Italie, pour débattre de la nouvelle directive européenne sur la TVA, les ministres des Finances de l’Union n’ont pas évoqué la question d’une baisse pour les disques, alors que cette session représentait le dernier espoir d’une industrie en pleine déprime. Aux États-Unis, Universal Music a annoncé une diminution de 30 % des prix de ventes de ses CD dès le début du mois d’octobre, afin de ramener le prix autour de 10 dollars.
Le coût dérisoire du pressage numérique a suscité toute une industrie du faux et, avant que le téléchargement ne provoque la disparition de l’« objet CD » lui-même, l’industrie doit réinventer sa place et son rôle. C’est une question de vie ou de mort.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires