Un tyran domestique

La Nigériane Chimamanda Ngozi Adichie déroule une tragédie familiale, sélectionnée pour le Booker Prize 2004. Une révélation.

Publié le 13 septembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Chimamanda Ngozi Adichie. Retenez bien ce nom. C’est celui d’une jeune Nigériane qui s’est déjà fait remarquer avec des nouvelles sélectionnées dans le cadre du prix Caine des Lettres africaines et de la Nouvelle du Commonwealth. Son premier roman, L’Hibiscus pourpre, qui vient d’être traduit en français par les éditions Anne Carrière, est une véritable révélation. Chimamanda y prête sa voix à Kambili, une (trop) docile adolescente de 15 ans. Dès les premières pages, cette jeune narratrice nous entraîne dans l’intimité d’un foyer nigérian qui présente tous les signes extérieurs (et trompeurs) du bonheur : une cuisine d’où s’échappent de savoureux effluves, un jardin à la végétation luxuriante, une photo de famille dans un cadre doré… Mais toute cette sérénité n’est qu’apparences. Derrière les hauts murs de cette luxueuse demeure d’Enugu, Eugène, le maître des lieux, impose aux siens une discipline carcérale. Les enfants ne sortent qu’en présence de leur père ou de son chauffeur, qui les accompagne à l’école, à l’église ou au marché à chaque début de trimestre, pour acheter des cartables et des vêtements dont ils n’ont guère besoin.
L’emploi du temps doit être strictement respecté. Au moindre écart, ils sont brutalement châtiés. D’ailleurs Jaja, le fils, est paralysé d’un doigt. Et Kambili a eu droit à un bain de pieds… dans de l’eau bouillante. Son crime ? Avoir passé une nuit sous le même toit que son grand-père paternel, un « païen » qu’Eugène laisse mourir dans la plus grande misère. Leur mère n’est pas mieux lotie. Fausses couches successives et oeil au beurre noir font partie de son quotidien. Mais personne ne se révolte, et toute cette violence est subie en silence.
Industriel riche et généreux, Eugène jouit d’une excellente réputation auprès de la communauté, qui lui a attribué le titre d’Omelora (« Celui qui oeuvre pour le bien »). Éditeur de l’unique journal indépendant du pays qui n’hésite pas à tancer vertement le pouvoir en place, il a même été récompensé pour son action en faveur des droits de l’homme. Son image publique tranche avec son comportement en privé : celui d’un tyran fondamentaliste qui se montre d’une rare violence dès qu’il constate une incartade par rapport à son idée de la morale chrétienne. Un personnage schizophrénique, comme il en existe tant dans les dictatures, qui se bat contre un pouvoir corrompu et despotique, mais qui recourt aux méthodes mêmes qu’il dénonce.
Comme si leur destin personnel était intrinsèquement lié à la situation politique du pays, c’est à l’occasion d’un coup d’État que Jaja et Kambili seront autorisés à se rendre chez leur tante Ifeoma à Nsukka, en plein pays ibo. Un séjour qui aura pour eux valeur de voyage initiatique.
Professeur à l’université, Ifeoma est une veuve joyeuse et émancipée. Tout l’inverse de son frère Eugène. Elle tire le diable par la queue, et si ses enfants ne mangent pas à leur faim, la maison résonne de leurs rires, de leurs chants et de leurs incessants bavardages. Kambili, qui n’a l’habitude d’ouvrir la bouche que pour réciter sa prière, en est littéralement médusée. Elle mettra du temps à oser desserrer les dents. Mais pour la première fois, elle entendra le son de son propre rire, elle goûtera à la vie et à la liberté. De retour à la maison, la résignation ne sera plus possible… D’où cette tension qui monte au fil des pages et laisse présager une issue tragique.

L’Hibiscus pourpre, Chimamanda Ngozi Adichie, Anne Carrière, 416 pp., 21 euros.

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