Une « taupe » au Pentagone

Un analyste du département de la Défense a fourni à un puissant lobby juif des informations classifiées sur la politique iranienne de Washington.

Publié le 13 septembre 2004 Lecture : 4 minutes.

Israël espionnerait-il son plus fidèle allié, les États-Unis ? La question est sur toutes les lèvres depuis que les médias américains ont révélé qu’un fonctionnaire du Pentagone proche de la retraite, Lawrence A. Franklin, avait livré des informations classées top secret à un puissant lobby juif américain. Selon une enquête du FBI, l’analyste – rattaché à la section Proche-Orient et Asie du Sud du département de la Défense depuis 2001, après une carrière au sein de l’agence de renseignement du Pentagone -, aurait fourni à un responsable de l’Aipac (American Israel Public Affairs Committee) des informations sur la stratégie américaine à l’égard de l’Iran. Un projet de directives émanant du Bureau ovale figurerait parmi ces documents confidentiels. Le groupe d’influence basé à Washington les aurait ensuite transmis au gouvernement Sharon. Car la République islamique d’Iran, soupçonnée de développer un programme d’armement nucléaire, est au centre des préoccupations de l’État hébreu. Plusieurs responsables israéliens estiment même que la seule façon de contrer les ambitions de Téhéran serait de lancer un raid aérien contre ses installations nucléaires, à l’instar de l’opération menée par Menahem Begin en Irak en 1981. Israël s’inquiète également des dissensions au sein de l’administration américaine sur la question iranienne. En effet, le département de la Défense souhaite aider les Moudjahidine du peuple, opposés au régime de Téhéran, alors que le département d’État les considère… comme des terroristes.
Quoi qu’il en soit, Israël nie énergiquement avoir espionné les États-Unis. « Cette histoire d’espionnage est montée de toutes pièces. Nous avons de toute manière des contacts quotidiens avec l’administration Bush », s’insurge l’ambassadeur d’Israël aux États-Unis, Danny Ayalon. Quel besoin aurait l’État hébreu, observent certains, d’employer de telles méthodes alors qu’il pourrait obtenir les mêmes informations sur un simple coup de fil à la Maison Blanche, voire au Pentagone, dont les numéros deux et trois – le secrétaire adjoint Paul Wolfowitz et le sous-secrétaire Douglas Feith – sont juifs, néoconservateurs et partisans de la politique d’Ariel Sharon ?
Si les faits sont avérés, Israël aura alors rompu la promesse faite vingt ans auparavant. En 1985, Jonathan Jay Pollard, qui travaillait pour les services de renseignements de la marine américaine, avait été arrêté pour espionnage et condamné à la prison à perpétuité. Israël a dans un premier temps nié avoir soudoyé Pollard avant d’avouer… et de jurer de ne jamais recommencer.
Pourtant, en 1997, les policiers fédéraux enquêtent de nouveau sur l’existence présumée d’un espion israélien sur le sol américain. Leurs soupçons sont confirmés par l’ancien directeur de la CIA, George Tenet, convaincu qu’une taupe se cache dans les bureaux de l’administration. Il semblerait que ce soit au cours de cette enquête qu’ils ont découvert les liens étroits entre Franklin et l’Aipac. Les enquêteurs examinent attentivement les relations de travail de cet employé que le Pentagone qualifie de « subalterne ». Est-il possible que Franklin, un tranquille père de famille demeurant dans l’ouest de la Virginie, loin des cercles politiques fermés de Washington, soit le seul impliqué dans cette affaire ? À moins qu’il n’ait eu un pressant besoin d’argent ou qu’il ait été irrité par le gouvernement américain, il semblerait qu’il ait agi à la demande ou en relation avec d’autres acteurs clés. Paul Wolfowitz et Douglas Feith seraient eux aussi dans le collimateur du FBI. N’ont-ils pas été parmi les premiers, après le 11 septembre 2001, à demander une intervention militaire en Irak, emboîtant ainsi le pas à l’Aipac et à Israël. Pour étayer leur message, ils avaient créé le très controversé Bureau des plans spéciaux (OSP) chargé d’évaluer – et de gonfler – les informations fournies par les services de renseignements sur l’Irak. Ils ont également soutenu la thèse selon laquelle Saddam Hussein et el-Qaïda étaient liés. Et ils tentent depuis plusieurs années de convaincre George W. Bush d’adopter une politique plus dure à l’égard de la République islamique d’Iran.
C’est dans ce cadre que Franklin, qui parle couramment le perse, aurait rencontré plusieurs fois le marchand d’armes iranien Manucher Ghorbanifar. Ce dernier est bien connu des services secrets américains puisqu’il a été l’un des protagonistes du scandale Iran-Contra. À l’époque, dans les années 1980, il avait persuadé les États-Unis d’accepter de vendre des armes à l’Iran en échange de la libération des otages au Liban, le fruit de ce deal ayant été alloué au financement des contras (contre-révolutionnaires) nicaraguayens. Aujourd’hui, Ghorbanifar milite activement contre le régime de Téhéran. Il aurait ainsi joué les intermédiaires entre Franklin et plusieurs dissidents iraniens en exil aux États-Unis depuis décembre 2001.
Qu’il ait agi seul ou pas, Franklin n’en reste pas moins dévoué à la cause d’Israël : il a travaillé à plusieurs reprises comme attaché de l’ambassade des États-Unis à Tel-Aviv au titre de colonel de l’armée de l’air. Cette « fidélité idéologique » à Israël, dont Franklin ne s’est jamais caché, conduit certains de ses collègues à penser que l’analyste aurait fourni ces documents secrets à l’Aipac dans le but de pousser le lobby juif à influencer l’administration Bush plutôt que pour informer l’État hébreu.
Pour l’heure, le Pentagone, Israël et l’Aipac coopèrent avec le FBI tout en affirmant que les accusations d’espionnage sont sans fondement. Aucune condamnation n’a officiellement été prononcée. Il est vrai que ce scandale, révélé au grand jour le 27 août, à deux mois de la présidentielle, éclate au plus mauvais moment pour le candidat George W. Bush.

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