Samira Bellil

L’auteur du livre Dans l’enfer des tournantes est décédée le 7 septembre à Paris.

Publié le 13 septembre 2004 Lecture : 3 minutes.

C’était une femme belle, forte, courageuse. Samira Bellil est décédée le 7 septembre, à l’âge de 32 ans, d’un cancer à l’estomac. Elle en avait, pourtant, de l’estomac, cette fille élevée dans une cité du « 9-3. » – formule utilisée par les jeunes Français pour désigner le département de Seine-Saint-Denis, dans la banlieue nord de Paris, numéroté 93. Elle était apparue sur le devant de l’actualité française en publiant, en 2002, un livre intitulé Dans l’enfer des tournantes (Denoël), un témoignage choc qui racontait sa courte vie et son immense malheur, celui d’avoir été violée.

Née en 1972 en Algérie, Samira gagne la France après quelques années de nourrice en Belgique. La famille vit très modestement dans une grande cité. La mère, femme de ménage, se montre faible et effacée devant son mari « macho », violent, qui a connu la délinquance et la prison avant de devenir ouvrier dans une usine de cartonnages. Entre les coups de son père et les pleurs de sa mère, Samira a bien du mal à construire ses repères. Arrivée à l’adolescence, elle pense que seuls les garçons détiennent la vraie liberté, alors elle se comporte comme eux, se met à sortir le soir pour « respirer, croquer la vie. Quoi de plus naturel ? » Sauf que la loi des cités est dure pour les filles « fleur bleue » de 14 ans, celles qui sont trop naïves et trop jolies.
La jeune rebelle tombe amoureuse d’un petit caïd de son quartier qui finira par la livrer à ses copains, notamment à l’un de ses seconds qu’elle désigne par l’initiale « K ». Il la séquestre, la bat, la viole à plusieurs reprises seul ou avec d’autres jeunes. Elle devient une « fille facile », puis une « fille à cave », c’est-à-dire que Samira entre dans le cercle infernal des « tournantes », ces viols collectifs accompagnés de violences diverses, d’actes d’humiliation, voire de barbarie, qui ont lieu dans les sous-sols des immeubles.

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Rongée par la culpabilité et le dégoût de soi, rejetée par sa famille qui ne la comprend pas, lâchée par ses amies à cause de l’horrible réputation qui la suit partout dans la cité, Samira se réfugie dans la drogue et l’alcool. Mais le silence devient trop lourd : à la suite d’un énième viol, elle porte plainte contre « K ». Il écopera huit ans de prison ferme.
La vie est impossible dans la cité pour la « donneuse », la « balance », objet de toutes les haines. Dans ce monde qui semble tourner trop vite pour elle, Samira ne sait plus s’exprimer que par les coups, les insultes, les cris. Placée dans un foyer, elle fugue, se retrouve dans la rue, erre de petits boulots en centres d’hébergement, fait le coup de poing à l’occasion, et ses histoires d’amour n’ont d’amour que le nom. Pour se faire deux ou trois sous, elle flirte avec la petite délinquance. Des crises d’épilepsie la mènent régulièrement dans les hôpitaux psychiatriques. C’est là qu’un jour elle décide d’entamer la longue thérapie au terme de laquelle elle écrira le livre qui l’a rendue célèbre, « pour venir en aide aux frangines victimes du pire des crimes, briser la loi du silence et porter plainte, arrêter la gangrène de souffrance qui ronge nos quartiers et nous enferme dans un ghetto mental ».

Samira avait de la combativité à revendre. Devenue éducatrice en Seine-Saint-Denis, elle s’était engagée dans le mouvement « Ni putes ni soumises » et donnait régulièrement des conférences dans les cités de banlieue et de province pour conseiller et aider les filles dans la détresse. Elle s’inquiétait de la montée du fondamentalisme musulman, nouvelle forme d’oppression des femmes, mais aussi des actes d’antisémitisme et de xénophobie qui ont marqué la France au cours des derniers mois. Intransigeante et belliqueuse envers tous les voyous, jusqu’à ses derniers instants, elle s’est plu à répéter que les cités étaient « pleines de gens formidables » et que « tous les petits gars de chez nous ne sont pas des violeurs, loin de là ».
Pour l’abattre, il fallait y aller fort. La mort s’en est chargée, d’un direct à l’estomac. Samira Bellil, saluée par la classe politique française et de nombreuses associations, a été inhumée le 10 septembre au cimetière parisien du Père Lachaise.

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