De Yseult à Gaëlle Prudencio, ces artistes et créatrices qui luttent contre la grossophobie

Chanteuse et créatrices d’origine africaine, Yseult, Yasmine Agbantou et Gaëlle Prudencio cassent les codes de la beauté en assumant leur corps et se battent contre les discriminations dont les gros sont victimes.

Yseult Onguenet lors du défilé Balmain de la Fashion Week, à Paris, le 30 septembre 2020 © J.M. HAEDRICH/SIPA

Yseult Onguenet lors du défilé Balmain de la Fashion Week, à Paris, le 30 septembre 2020 © J.M. HAEDRICH/SIPA

eva sauphie

Publié le 4 janvier 2021 Lecture : 5 minutes.

Un corps rond, nu, noir et féminin flotte en suspension, entrelacé de cordes. Cette silhouette est celle d’Yseult, chanteuse française d’origine camerounaise, dans le clip Bad Boy, extrait de son EP Brut (label YYY, novembre 2020). Brut, un qualificatif qui sied bien à cette artiste de 26 ans qui ose se mettre à nu, dévoiler bourrelets, ventre rebondi et poitrine généreuse dans une industrie de la pop musique hexagonale encore très normée.

Un corps que les médias mainstream ne montrent pas, encore moins lorsqu’il est sexy et érotisé. « C’est très rare de voir une femme noire de 135 kg (…) dans le milieu BDSM (bondage, discipline, sado-masochisme) », affirmait récemment Yseult Onguenet – son nom complet – sur un plateau de télévision français.

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Acceptation de soi

Plus question pour la compositrice de couvrir cette peau que l’on ne saurait voir. Sa démarche s’inscrit dans le mouvement « body positive » encourageant l’estime de soi et la valorisation de toutes les morphologies, qui a pris de l’ampleur ces dernières années sur les réseaux sociaux (plus de 14 millions d’occurrences sur Instagram).

Cette libération de l’image a valu à l’autrice du morceau manifeste Corps de se faire repérer par la marque de prêt-à-porter britannique Asos dans le cadre de campagnes promouvant l’acceptation de soi. Puis de signer un contrat dans l’agence de mannequins The Claw, où elle devient le seul modèle à dépasser le 48.

Le secteur de la mode est dicté par la tyrannie de la taille 36, c’est le constat qu’a fait Yasmine Agbantou, créatrice de la marque de prêt-à-porter couture Mimine AG, basée à Londres. Si cette Franco-Béninoise arbore fièrement sa taille 46, elle s’est pourtant elle-même exclue de ses collections au lancement de sa griffe en 2018.

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« Toute ma vie, on m’a dit que je serais plus belle plus mince, déplore-t-elle. J’ai des formes, une forte poitrine, et j’ai passé des années à créer des vêtements pour des femmes qui ont déjà un large choix pour s’habiller », observe la styliste passée par de prestigieuses maisons comme Ralph & Russo et Peter Pilotto.

Grandes oubliées de la mode

L’année 2020 a marqué un tournant dans le positionnement de sa marque avec l’arrivée de la collection « Rebellion », pensée pour les femmes « plus size » (grande taille). Robes longues à épaulettes, courtes et moulantes, pantalons fluides et top frangés recouvrant subtilement les bras… Les tenues s’adaptent aux morphologies allant du 40 au 52.

Les femmes grosses veulent aussi être moulées, sculptées et mises en valeur dans leurs vêtements »

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« Les femmes grosses veulent aussi être moulées, sculptées et mises en valeur dans leurs vêtements », affirme Yasmine Agbantou. Pourtant, elles restent les grandes oubliées de la mode, en particulier dans le segment couture. « Les designers dépassent rarement la taille 46, précise-t-elle. Or, on sait très bien que la majorité de la clientèle du luxe vient des Émirats et que leurs standards de beauté sont très loin de la minceur plébiscitée par les codes occidentaux. »

https://www.instagram.com/p/CHQbWukHQ7g/

Pour Gaëlle Prudencio, l’une des pionnières du mouvement body positive en France, suivie par plus de 55 000 personnes sur Instagram, « une marque grande taille peut se revendiquer comme telle si elle propose des créations dépassant au moins le 54 ». Ibilola, sa propre ligne de vêtements en wax fabriqués à Cotonou, va du 44 au 62.

L’argument répété à l’envi par les stylistes reste la question du coût de production. « La mode curvy – faite pour les personnes aux formes généreuses – nécessite plus de tissus, deux patrons différents pour un même modèle, une certaine technicité. Bref, c’est plus cher, admet Gaëlle Prudencio. Mais on vit dans une société qui ne va pas en mincissant. En France, 42 % de la population s’habille en 40 et plus ». Sa première collection, créée en 2017, s’est écoulée en 15 minutes sur Internet. Preuve que la demande est réelle.

Changer les mentalités

L’influenceuse, qui s’est fait connaître grâce à son blog de mode créé il y a 10 ans, a souhaité politiser son discours en racontant son long cheminement vers l’acceptation de soi dans un premier livre, Fière d’être moi-même, s’accepter quand on n’entre pas dans les normes de la société (janvier 2021, éditions Leduc). « Chaque personne a une histoire légitime à raconter. Ce n’est pas parce que je ne suis ni mince ni blonde que je n’ai pas le droit d’être heureuse », martèle cette créatrice née au Sénégal de parents béninois.

La femme africaine peut être grosse dès lors qu’elle a des enfants et un certain âge. »

Gaëlle Prudencio a pris du poids à l’âge de 12 ans après le suicide de sa sœur. C’est alors le début des injonctions pour entrer dans la norme et de la spirale infernale des régimes. Dans son témoignage, elle rappelle les conséquences de la grossophobie, soit les discriminations faites à l’encontre des personnes grosses et obèses, qu’elle a elle-même subie, victime de harcèlement scolaire.

Le fat shaming n’est pas une spécificité occidentale et sévit aussi en Afrique. « J’ai grandi entourée de femmes sahéliennes, grandes et fines. Selon les mentalités, la femme africaine peut être grosse dès lors qu’elle a des enfants et un certain âge. Mais certainement pas quand elle est jeune », soupire cette militante, qui dénonce l’infantilisation des gros. « La question du poids relève de l’intime et l’obésité est multi-factorielle. On doit arrêter de penser que les gros sont gros parce qu’ils mangent tout le temps. Je fais du sport, je vais au théâtre et surtout je m’aime comme je suis ».

https://www.instagram.com/p/CD_6X0Spv9f/

Ce changement de représentation teinté d’empowerment trouve une résonnance dans les luttes féministes nouvelle génération, prônant l’inclusion et la diversité. Mais le mouvement tend à perdre son message d’origine. Dernier phénomène de mode en date, un challenge nommé « Instagram VS réalité » invitant les femmes à assumer leur corps en juxtaposant une pose glamour et avantageuse aux côtés d’une posture révélant des imperfections. Problème, celles-ci prennent généralement la forme d’un simple pli de peau.

« Le body positive prône le droit de tous à vivre en paix avec son corps et doit pouvoir s’adresser au plus grand nombre. Mais beaucoup de femmes dans la norme s’approprient la lutte alors qu’elles ne sont pas concernées par les discriminations à l’embauche ou celles rencontrées dans le domaine médical. Or l’essence de ce combat est bien d’améliorer les conditions de vie des personnes concernées par la grossophobie », rappelle Gaëlle Prudencio.

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