Infrastructures : le port de Berbera peut-il défier Djibouti ?
L’extension du port du Somaliland prévue pour le mois de mars devrait attirer une partie du trafic commercial à destination de l’Éthiopie. À condition que les infrastructures routières suivent.
La concurrence est-africaine pour la fourniture de services portuaires et logistiques à l’Éthiopie, pays enclavé, s’intensifie entre Djibouti, par lequel transitent actuellement 95 % des importations et des exportations de l’Éthiopie, et le Somaliland.
En effet, si Djibouti, dont le port est congestionné, a inauguré en septembre 2020 le futur terminal pétrolier de Damerjog, le gouvernement d’Addis-Abeba veut diversifier ses options. Notamment avec le port de Berbera, au Somaliland – une région séparatiste non reconnue de la Somalie – où une importante extension devrait être inaugurée en mars 2021.
En 2016, le Somaliland a signé un contrat de trente ans avec l’émirati DP World, le troisième plus grand opérateur portuaire au monde, pour gérer et développer le port de Berbera. L’accord de joint-venture Berbera est conclu entre le Somaliland (30 %), DP World (51 %) et l’Éthiopie (19 %).
DP World, de Doraleh à Berbera
Dans sa recherche d’une seconde option après après son éviction du port de Doraleh, à Djibouti, DP World s’est tourné vers le Somaliland pour sa stabilité relative et où ses principaux rivaux – notamment les groupes trucs, très présents en Somalie – sont absents.
« Les émiratis avaient une stratégie de blocage du développement du port de Doraleh, notamment en réduisant le trafic via une limitation du tonnage autorisé. C’était une façon d’écraser la concurrence et de favoriser leurs propres terminaux en mer Rouge, tels que Port Khalid à Sharjah et Jebel Ali à Dubaï », explique Emmanuel Dupuy, président de l’Institut pour la prospective et la sécurité européennes, à The Africa Report/Jeune Afrique.
Au terme d’un conflit d’investissement très médiatisé, « il semble que DP World ait appris sa leçon et ait compris l’importance d’un partenariat gagnant-gagnant », estime le chercheur.
Plus de concurrence, mais plus de besoins
Le gouvernement du Somaliland espère que Berbera verra passer jusqu’à 50 % du trafic commercial de l’Éthiopie, amené à croître fortement dans les années à venir. Le Sud-Soudan, également enclavé, pourrait lui aussi se tourner vers Berbera, plus proche que Djibouti, dont le port souffre d’un problème de congestion, malgré la récente construction de la ligne de chemin de fer Addis-Abeba-Djibouti.
Selon la Banque mondiale, « 97% des volumes traités par le port de Djibouti partent ou arrivent au port par camion. Cela contribue aux problèmes de congestion dans la ville de Djibouti […] on suppose que la part de Djibouti dans le fret éthiopien diminuera d’environ 10 à 15 points de pourcentage au total sur cinq ans, à partir de 2021 ».
« Il se passe suffisamment de choses dans cette région pour que Berbera puisse se développer sans causer de problèmes à Djibouti. La demande de l’Éthiopie va devenir si importante qu’elle aura également besoin de Port Soudan [au Soudan] et de Kismayo [en Somalie] aussi », estime, confiant, Ali Toubeh, un entrepreneur djiboutien dont la société de conteneurs est basée dans la zone de libre-échange de Djibouti.
Besoin d’infrastructures de liaison
Mais pour être considéré comme une solution d’import-export viable, Berbera aura besoin d’infrastructures de liaison. En 2019, un projet routier de 400 millions de dollars a été lancé pour relier la ville frontalière éthiopienne de Togochale à Berbera, et le Somaliland tente d’accroître les investissements étrangers par le biais de projets d’infrastructures supplémentaires tels que la zone franche de Berbera et l’aéroport international.
La création d’une autorité portuaire a également été annoncée, bien que « les décisions concernant sa composition, ainsi que les relations entre le conseil d’administration de DP World Berbera et cette nouvelle instance, restent à prendre », selon les universitaires Warsame M. Ahmed et Finn Stepputat.
Il n’existe pas non plus d’entité spécialisée impliquée dans l’élaboration des politiques portuaires au Somaliland, relève la Banque mondiale, ce qui pourrait compliquer le projet de Berbera de porter sa capacité à 500 000 EVP par an.
Avancées diplomatiques avec Mogadiscio
En cas de succès, les recettes de Berbera pourraient donner un grand coup de fouet à l’économie du Somaliland, dont les revenus proviennent essentiellement de ses exportations agricoles et animales (211,7 millions de dollars en 2019) ainsi que des envois de fonds de sa diaspora, estimés à 1,6 milliard de dollars par les Nations unies.
D’autres puissances mondiales s’intéressent également au Somaliland, dans un contexte de dynamique régionale changeante, dont le Royaume-Uni post-Brexit (bien que Londres ne reconnaisse pas officiellement le Somaliland comme un État, le Somaliland voudrait rejoindre le Commonwealth) ou Taïwan, lui-même en quête d’une reconnaissance international.
Mais Berbera a également mis une pression supplémentaire dans ses relations avec la Somalie. En 2018, le gouvernement somalien a essayé d’obtenir l’aide des Nations unies pour empêcher une présence militaire des EAU à Berbera et a rejeté l’accord portuaire. Depuis lors, les relations se sont améliorées et le président de Djibouti, Ismail Omar Guelleh, a accueilli cette année des pourparlers entre les deux pays.
Après les élections présidentielles en Somalie, prévues pour le 8 février, les discussions entre les gouvernements de Hargeisa et de Mogadiscio pourraient se poursuivre.
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