[Tribune] Maroc, Sahara, Israël : l’opportunité d’une nouvelle donne régionale

La reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara pourrait, à terme, avoir des bénéfices durables pour la paix en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

Les drapeaux nationaux d’Israël et du Maroc sont projetés sur les murs de la vieille ville de Jérusalem, le mercredi 23 décembre 2020. © Maya Alleruzzo/AP/SIPA

Les drapeaux nationaux d’Israël et du Maroc sont projetés sur les murs de la vieille ville de Jérusalem, le mercredi 23 décembre 2020. © Maya Alleruzzo/AP/SIPA

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  • Tarik Oumazzane

    Professeur d’histoire et de relations internationales à l’Université de Nottingham, Royaume-Uni, spécialiste dans les études sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord

Publié le 4 janvier 2021 Lecture : 4 minutes.

Dans quelle mesure la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara peut-elle atténuer les tensions en Afrique du Nord et au Moyen-Orient ? Le conflit du Sahara entre le Maroc et le Polisario, soutenu par l’Algérie, dure depuis 45 ans. Il est ainsi l’un des conflits les plus anciens du monde, perpétuant une situation qui mine le développement économique régional et la coopération politique entre les pays du Maghreb.

Lors des discussions autour d’un référendum sur le statut du territoire, le Maroc et le Polisario n’ont pu s’entendre sur la question des votants, rendant la tenue du vote quasiment impossible à mettre en œuvre. Plus récemment, le blocus de Guerguerate par le Polisario, le seul passage frontalier entre le Maroc et la Mauritanie, a provoqué une intervention militaire marocaine afin de maintenir la sécurité des échanges et des personnes. En réponse, le Polisario a déclaré la fin des 29 ans de cessez-le-feu supervisé par l’ONU et a repris sa lutte armée. Ces développements posent des menaces de sécurité majeures à la fois pour l’Afrique du Nord et le Sahel, dans une région déjà impactée par l’instabilité de la Libye et l’activité des groupes extrémistes localisés dans le nord du Mali.

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« Game-changer »

Déjà en 2018, la diplomatie américaine estimait que le plan d’autonomie marocain était « sérieux, crédible et réaliste ». Aujourd’hui, elle la juge ouvertement comme la seule proposition sur la table des négociations, ce qui devrait inciter l’Algérie et le Polisario à la reconsidérer.

D’autant plus que cette décision s’inscrit dans une dynamique à l’œuvre depuis plusieurs années. Plusieurs pays d’Afrique, du Moyen-Orient et des Caraïbes ont ainsi déjà ouvert des consulats au Sahara pour montrer leur soutien politique au Maroc sur cette question.

Mais la reconnaissance par Washington constitue, davantage encore, ce que les Américains appellent un « game-changer » [un événement qui change la donne], du fait de son statut dans le monde. Membre du Conseil de sécurité de l’ONU et de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), les États-Unis peuvent ainsi jouer un rôle important dans le règlement du conflit du Sahara.

Nouvelle impulsion économique

L’ouverture d’un consulat américain à Dakhla attirera les investissements directs étrangers (IDE), ouvrant ainsi la porte à une nouvelle impulsion pour le développement économique régional, lequel pourrait pousser des éléments du Polisario à abandonner la lutte armée pour participer à ce nouvel élan.

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Le conflit entrave la croissance économique de la région depuis près d’un demi-siècle et un accord de paix pourrait offrir au Polisario une opportunité de participer à la gouvernance locale. Au lieu d’une course à l’armement entre le Maroc et l’Algérie, la santé, l’éducation et l’emploi devraient être en tête des priorités des deux États. Si l’investissement est encouragé, le Sahara pourrait devenir un pôle économique régional et continental.

Le Maroc et l’Algérie peuvent aussi envisager d’ouvrir leurs frontières (fermées depuis 1994) et relancer l’Union du Maghreb avec une intégration potentielle à d’autres organisations régionales africaines, comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).

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En ce qui concerne le Moyen-Orient, la décision du Maroc de reprendre ses relations avec Israël n’est en rien inédite. L’Égypte en a été le précurseur lorsque Sadate a obtenu un accord de paix qui faisait partie des accords de Camp David en 1978. La Jordanie et Israël ont signé un traité de paix en 1994. Cinq ans plus tard, la Mauritanie et Israël ont établi des relations diplomatiques pleines et entières, bien que celles-ci soient gelées depuis 2009. Plus récemment, Israël, les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan ont signé les accords d’Abraham. Désormais, le Maroc jouit donc d’une position unique pour jouer un rôle central dans le processus de paix au Moyen-Orient.

Intermédiaire de la paix au Moyen-Orient

Le Maroc possède une connexion juive ancienne et profonde. Les origines de la communauté juive marocaine remontent à plus de 2 500 ans. À l’époque médiévale, à la suite de l’Inquisition espagnole et du décret de l’Alhambra de 1492, les Juifs ont en effet été contraints de fuir vers le Maroc, où ils ont été accueillis par la société marocaine. Dans les années 1940, entre 250 000 et 350 000 juifs vivaient au Maroc, au sein de la plus importante communauté juive du monde musulman.

Au plus fort du régime nazi en Europe et en Afrique du Nord, le sultan Mohammed V du Maroc a résisté à la pression nazie pour la déportation des juifs, en les considérant comme des citoyens marocains. Le royaume est ainsi devenu un refuge et une destination de transit pour les juifs européens fuyant le régime nazi en Europe. Même après leur départ vers l’État d’Israël, créé en 1948, un grand nombre de juifs marocains ont conservé leurs traditions et leur lien avec le Maroc. Aujourd’hui, environ un million d’Israéliens sont d’origine marocaine, et beaucoup d’entre eux sont devenus des personnalités politiques d’importance.

C’est cette connexion juive profonde que le Maroc peut aujourd’hui mettre sur la table. Le Maroc peut se connecter avec les Juifs marocains en Israël pour combler le fossé entre Palestiniens et Israéliens. Plus encore, le statut du roi du Maroc [en tant que descendant du prophète Mohammed, son titre d’Amir al-Mu’minin – commandeur des croyants], sa position de chef du Comité d’Al-Qods (Jérusalem) et ses bonnes relations avec l’Autorité palestinienne renforcent sa légitimité en tant qu’intermédiaire de la paix au Moyen-Orient.

Les opportunités de développement économique, de coopération politique et de promotion de la paix au Moyen-Orient et en Afrique du Nord sont rares. La reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara et le redémarrage des relations entre le Maroc et Israël pourraient favoriser un type de paix qui irait au-delà de l’absence de guerre et créer ainsi les conditions d’une coopération politique et économique entre plusieurs acteurs du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.

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