Présidents de guerre

Publié le 13 septembre 2004 Lecture : 5 minutes.

Cette « guerre mondiale contre le terrorisme », qui entre dans sa quatrième année, a été précédée d’escarmouches qui ont permis aux futurs belligérants de mesurer leurs forces respectives et de tâter le terrain. Déclenchées le 11 septembre 2001, il y a tout juste trois ans, les hostilités ont pris la forme d’une guerre d’un type nouveau opposant une minorité agissante de musulmans à leurs gouvernants, qualifiés d’impies, et au protecteur principal de ces derniers, les États-Unis, considérés comme le « chef des infidèles ».
Ces musulmans insurgés contre un ordre régional et international qu’ils ressentent comme inacceptable sont des intégristes (on les appelle aussi islamistes), et ils ont choisi la violence, fût-elle aveugle, et le terrorisme comme moyens d’action.
Les États-Unis ont été directement frappés le 11 septembre 2001. Sans se donner le temps de réfléchir, sous la conduite de G.W. Bush, qui se trouvait être leur président, ils ont rassemblé en toute hâte une coalition de gouvernants et déclenché contre le terrorisme « une guerre mondiale ».
Ne pensant pas à ce qu’il disait, G. W. Bush a dit ce qu’il pensait en qualifiant cette guerre, dès le premier jour, de « croisade ».
Et, pour que nul ne s’y trompe, il a ajouté : « Nous, chrétiens, devons frapper [ces terroristes islamistes] avec plus de force et plus de férocité qu’ils n’en ont jamais connu. »

Il a lancé contre eux ses services de police, ses agences de renseignements et toutes ses forces militaires. Les moyens financiers des États-Unis ont été mis à disposition sans limitation, et leurs alliés ont été mobilisés avec ce slogan devenu célèbre : « Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes avec les terroristes. »
Ces terroristes, on les a recherchés partout où ils pouvaient se trouver et on les a frappés aussi durement qu’on le pouvait.
Pour les impressionner et avec eux le reste du monde, l’Amérique et les pays qu’elle a réussi à embrigader ont même envahi et occupé l’Irak, pays alors sans lien avec le terrorisme islamiste.
Trois ans après l’avoir déclenchée, G.W. Bush a avoué tout récemment dans une interview donnée à la chaîne de télévision NBC (c’était une fois de plus un jour où « ne pensant pas à ce qu’il disait il a dit ce qu’il pensait ») que « cette guerre n’était pas gagnable ».
Je crois pour ma part qu’il se trompe. On peut gagner la guerre contre le terrorisme à une double condition : ne pas croire qu’une telle guerre se gagne par les seuls moyens militaires et policiers ; s’attaquer aux deux causes principales du terrorisme – l’humiliation et l’injustice – au lieu de se contenter de tuer ceux qui le pratiquent, ou ceux que l’on soupçonne de le pratiquer.
Pour l’heure, l’observateur le plus indulgent à l’égard des États-Unis et de leur administration actuelle est bien obligé de constater que ce sont les terroristes qui gagnent et ceux qui claironnent qu’ils leur font la guerre qui perdent.

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Vous en doutez ? Vous trouvez que j’exagère ? Considérez ceci :
1) Les actes des terroristes révulsent surtout lorsqu’ils tuent ou font tuer des enfants comme ils viennent de le faire en Russie.
Ils sont traqués et lorsqu’ils sont capturés sont traités de la manière la plus cruelle et la plus humiliante.
Mais, trois ans après le début de cet affrontement, sont-ils moins nombreux ou moins déterminés ou moins menaçants ? C’est tout le contraire.
Le monde et les États-Unis eux-mêmes, qui multiplient les alertes, sont-ils plus sûrs ? Les barrières, les « murs de sécurité », les contrôles et autres entraves à la liberté de circuler ne sont-ils pas autant de victoires concédées au terrorisme ?
2) Qu’est-ce qui s’est détérioré le plus en trois ans ? L’image de Ben Laden parmi les musulmans et même dans le monde, ou celle de Bush, voire des États-Unis, jusque chez leurs alliés (voir p. 13).
L’Amérique est-elle aujourd’hui plus sûre d’elle-même et plus unie qu’en 2001 et 2002, ou est-ce l’inverse ?
3) Le pétrole nerf de l’économie : les Américains ont occupé Bagdad en bonne partie pour sécuriser les sources d’approvisionnement de cet ingrédient indispensable de la prospérité. Il leur fallait pour cela, pensaient-ils, favoriser le retour du deuxième producteur mondial de brut qu’est l’Irak sur le marché international dans le cadre d’un régime pro-américain et stable.
Objectif non atteint : ce pétrole, dont les Américains importent la moitié de leur consommation, dont ils voulaient contrôler la production (et faire baisser le prix), a rarement été aussi cher et son approvisionnement aussi mal assuré.

4) L’axe Bush-Sharon-Poutine né de cette guerre, cimenté par une foi partagée en la vertu de la force : on nous le propose pour personnifier la guerre efficace contre le terrorisme et on nous dit qu’il est à la pointe du combat pour… instaurer la démocratie au Moyen-Orient et la propager dans le monde.
Comment y croire quand on voit jour après jour les armées de l’un, de l’autre et du troisième s’employer à terroriser les populations des pays qu’elles occupent, à tuer ou à humilier en toute impunité ? Qui ne voit que « la guerre contre le terrorisme », telle que la mènent Bush et ses néoconservateurs, est pain bénit pour tous les autocrates de la terre ?
Quant à la démocratie, tant qu’elle a pour visage Ahmed Chalabi ou Iyad Allaoui en Irak, Akhmad Kadyrov ou Alou Alkhanov en Tchétchénie (leur pendant durant la guerre 1939-1945 s’appelaient Quisling), elle ferait regretter Saddam Hussein ou le mollah Omar.
5) À cinquante jours de l’élection présidentielle américaine, qui ne voit que les chefs terroristes Ben Laden, Zawahiri, Zarqaoui et leurs émules ont acquis le pouvoir d’en influencer le résultat ?
N’en sommes-nous pas à nous interroger sur leur « vote » : veulent-ils faire réélire Bush, comme la plupart des observateurs le pensent ? Ou bien préfèrent-ils le faire battre ?

Telle que M. Bush et son administration ont choisi de la mener, la guerre contre le terrorisme est en effet « ingagnable » : elle fait naître plus de terroristes qu’elle n’en tue et aliène les coeurs et les esprits au lieu de les gagner.
Ce n’est pas en bombardant les villes et les villages d’Irak et d’Afghanistan, de Palestine et de Tchétchénie, en y semant la mort et la désolation qu’on lutte efficacement contre le terrorisme. Au contraire : on lui donne des arguments… et des recrues.
L’axe Bush-Sharon-Poutine nous garantit donc une guerre sans fin : il alimente le terrorisme en répandant l’injustice et l’humiliation.
Et les trois hommes qui l’incarnent y puisent des raisons de se maintenir au pouvoir : « Je suis un président de guerre », dit George W. Bush aux Américains pour les inciter à le réélire…
Il revient donc aux Américains, aux Israéliens et un jour plus lointain aux Russes de libérer leur pays et le monde de ces présidents et Premiers ministres qui croient pouvoir tout résoudre par la guerre.

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