Lyes Salem, ou l’Algérie côté coeur

À la fois comédien, scénariste et réalisateur, ce jeune Algéro-Français se fait tranquillement une place au soleil. Ses courts-métrages cumulent les prix.

Publié le 13 septembre 2004 Lecture : 4 minutes.

A quoi ressemble un garçon qui réussit dans la vie ? Il est plutôt grand, a les yeux noirs et la voix grave. Il est à la fois comédien, scénariste et réalisateur. Et il est bourré de talent, ce qui n’est pas marqué sur son front à peine plissé de quelques rides. À 31 ans, le jeune Algéro-Français Lyes Salem se fait tranquillement une place au soleil. Après un passage par l’école du Théâtre national de Chaillot, puis par le Conservatoire national d’art dramatique de Paris, il a pris l’habitude d’alterner théâtre et cinéma. Depuis 1998, on a pu le voir ou l’apercevoir dans des films de Benoît Jacquot, Pierre Jolivet ou Hamid Krim. Au théâtre, il joue Shakespeare (Macbeth, La Nuit des rois, Roméo et Juliette), et, plus récemment, dans Les Sacrifiés de Laurent Gaudé.
Et puis, il y a les deux excellents courts-métrages qu’il a écrits, réalisés, et dans lesquels il se met en scène. « Jouer dans mes films s’est imposé naturellement. D’abord, j’interprète le même personnage… Et puis, j’ai mis une seule fois en scène une pièce sans jouer dedans : une catastrophe ! J’ai besoin d’être dans la même prise de risque que les autres acteurs. Je suis comédien avant tout », explique-t-il.
Sa première réalisation, Jean-Farès, sortie en 2001, a fait le tour des festivals et raflé de nombreux prix. La seconde, Cousines (2003), prend le même chemin. Le film a été projeté à Alger, Milan et Montréal, lauréat au dernier Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand (février 2004), Prix spécial du jury au 4e Festival du court-métrage de Nice (avril 2004), et présenté à la 7e Biennale des cinémas arabes de l’Institut du monde arabe à Paris (du 26 juin au 4 juillet derniers). Au fil de ces trente minutes maîtrisées, on suit Driss, jeune Algérien vivant à Paris, qui revient passer ses vacances au pays. Son arrivée va faire souffler un vent d’indépendance parmi ses cousines, et notamment chez Nedjma, jeune femme timide et réservée.
« L’idée du film m’est venue au retour d’un voyage à Alger. Je suis très proche d’une cousine qui a passé son temps à s’occuper de moi… Je n’aurais pas pu repasser une chemise sans qu’elle se vexe ! En fait, à l’écriture, je me suis éloigné du sujet, et j’ai raconté l’histoire d’une jeune fille qui tente de s’émanciper. Driss va servir de déclencheur, mais c’est Nedjma qui décide seule d’effectuer ce changement. » La plupart des acteurs ont été choisis « sur le tas », et l’équipe technique était mixte. Une évidence pour le réalisateur, qui souhaitait partager son expérience avec des Algériens.
En voyant Driss, on ne peut s’empêcher de penser à Lyes. « Bien sûr, je m’inspire parfois de situations vécues. » Dans Jean-Farès, qui évoque la biculturalité, c’est encore plus flagrant. Lyes est de père algérien et de mère française. « J’ai cette dualité depuis tout petit. Il faut bien vivre avec ! Ça vous écrase par moments et puis, quand vous dépassez ce stade, ça vous donne une force et une richesse incroyables. Je vais en Algérie plusieurs fois par an, et il n’est pas impossible que je m’y réinstalle. Ou que je vive entre les deux pays. À Alger, j’aime tout ! Même ce qui est insupportable. J’ai tellement de souvenirs là-bas… »
À Alger, Lyes a grandi à l’ombre de la Grande Poste et fait ses classes au lycée Descartes, où il a découvert le théâtre. Lorsqu’il débarque en France, à 17 ans, il sait déjà qu’il veut être comédien. « Je suis arrivé à Paris en 1989, trois ans après l’assassinat de Malik Oussékine. Vu d’Alger, Paris était la ville où l’on jette les Arabes à la Seine… En fait, au bout de six mois, j’étais très à l’aise. » Au lycée Voltaire, il est plutôt du genre à être au dernier rang, à côté du radiateur, et pour le bac, merci la classe A3, au lycée Molière, où l’option théâtre compte pour le plus fort coefficient… Sauvé par les planches. Son inscription à la fac de lettres modernes ne lui laisse pas un souvenir impérissable, il entre très vite à l’école de Chaillot. Et part au bout d’un an, trouvant l’enseignement trop rigide. Lyes sait ce qu’il veut. Et surtout ce qu’il ne veut pas. Belle gueule pas bégueule, il parle sans détours de l’Algérie. « Si le pays veut avancer, il faudra changer certaines choses. Se battre contre le conservatisme et les réactionnaires de tout poil qui ont peur de perdre leur virilité. »
Pour Lyes, le cinéma algérien d’aujourd’hui doit montrer la réalité de l’Algérie, « les Algériens ont besoin de se voir dans un miroir ». Lyes, prophète en son pays ? C’est en tout cas la signification de son prénom berbère.

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