Le rêve de Bouteflika

Cinquante milliards de dollars sur cinq ans : c’est le montant vertigineux du programme d’investissements qui devrait être lancé en janvier prochain. Le prix de la modernisation du pays…

Publié le 13 septembre 2004 Lecture : 5 minutes.

Depuis plusieurs semaines, les observateurs spéculaient sur le montant du prochain programme d’investissements algérien. En se fondant sur la somme allouée au Plan de soutien à la relance économique, le PSRE (plus de 7 milliards de dollars pour la période 2002-2004), sur l’état des réserves de change (33 milliards de dollars au 31 décembre 2003) et sur les engagements électoraux d’Abdelaziz Bouteflika, ils estimaient vraisemblable le chiffre de 10 milliards de dollars. Lors du Conseil des ministres du 10 août, le chef de l’État a donc fait sensation en annonçant son intention de consacrer aux investissements, entre 2005 et 2009, 4 000 milliards de dinars. Oui, plus de 50 milliards de dollars, soit plus de 1 milliard pour chacune des quarante-huit wilayas (département) du pays. Le défi a des allures du rêve insensé.
« Boutef n’a rien d’un rêveur, s’insurge l’un de ses collaborateurs. Nourrir une telle ambition pour son pays, après avoir évalué avec précision les moyens dont il dispose, contribue à réduire le « risque Algérie » auprès des bailleurs de fonds et lui impose de réfléchir aux secteurs prioritaires. Pour vertigineux qu’il soit, son projet est parfaitement réalisable. » Soit, mais en attendant la publication des détails de l’opération, en marge des discussions sur la loi de finances 2005, dans quelques semaines, plusieurs interrogations demeurent.
Il va de soi que 50 milliards de dollars ne se trouvent pas en claquant des doigts, fût-ce dans le cadre d’un plan quinquennal. Mais la tâche n’est quand même pas insurmontable, au moins en théorie, pour un pays qui exporte 3 millions de barils par jour (pétrole et gaz confondus) – et peut-être 4 millions à l’horizon 2007. Les sceptiques rétorqueront qu’il est bien imprudent de procéder à une planification à long terme sur la base des cours, toujours très fluctuants, des hydrocarbures. Nouredine Yazid Zerhouni, le ministre de l’Intérieur, balaie l’argument d’un revers de main. « En 2001, explique-t-il, nous avons créé un fonds de stabilisation des recettes pétrolières dont le fonctionnement est simple : le budget de l’État est défini sur la base immuable de 19 dollars le baril ; et le surplus de recettes est versé sur ce fonds, de manière à prévenir les conséquences éventuelles d’un nouveau choc pétrolier. Nous disposons ainsi d’un matelas de devises qui nous permet de préparer sereinement nos opérations de développement. »
Bien sûr, cela ne signifie pas que ces 50 milliards seront nécessairement prélevés sur ce fonds. Entre 1999 et 2003, le gouvernement algérien a investi, sur fonds propres, près de 30 milliards de dollars (PSRE compris), soit 6 milliards de dollars par an. Où trouver la différence (4 milliards) ?
Il est certain que l’amélioration de la situation sécuritaire, le retour de la stabilité et l’explosion de la consommation ont provoqué un regain d’intérêt des institutions financières, et notamment de l’américaine Eximbank, qui s’est engagée à accompagner l’Algérie dans ses efforts de développement. De manière générale, la structure de la dette et les « fondamentaux » de l’économie du pays permettent un recours aux financements extérieurs.
Selon Abdessalam Bouchouareb, un proche conseiller du Premier ministre Ahmed Ouyahia, « l’objectif de ce programme est de rattraper le temps perdu, de résorber les déficits et de moderniser le pays. Au cours des cinq dernières années, 2 millions d’emplois ont été créés, dont 300 000 au cours du seul premier semestre de cette année, et le taux de chômage a diminué de six points. À ce rythme, les demandeurs d’emploi représenteront moins de 20 % de la population active avant même la mise en oeuvre du programme quinquennal. » Cette excellente performance est donc imputable au PSRE. Mais, au fait, quelle est donc la différence entre l’ancien et le nouveau plan ?
« L’ambition du PSRE, analyse Bouchouareb, était de relancer toute une série de projets en souffrance : le métro et l’aéroport international d’Alger, l’autoroute est-ouest, le renforcement des capacités portuaires, la construction de logements, d’infrastructures sanitaires et pédagogiques, etc. En revanche, le futur programme quinquennal concernera une soixantaine de nouveaux projets d’infrastructures, notamment dans le transport ferroviaire (désenclavement des agglomérations des hauts plateaux), l’urbanisme et l’environnement, le développement local (renforcement de la carte sanitaire) et universitaire. » Sur ce dernier point, il faut savoir que l’Algérie comptera en 2008 plus d’un million d’étudiants dans le supérieur… Plusieurs consultants internationaux de très haut niveau ont été mis à contribution.
« Durant le premier mandat présidentiel, estime un proche collaborateur de Boutef, nous avons réussi la performance de rendre irréversible la libéralisation de l’économie tout en augmentant sensiblement le pouvoir d’achat (les salaires ont augmenté de 50 % en moyenne) et en contenant l’inflation autour de 2 %. Mais le retard accumulé depuis l’indépendance en matière d’habitat, de gestion des espaces urbains et des ressources hydriques est tel que le temps nous est compté. »
Les 50 milliards seront donc affectés prioritairement aux secteurs du bâtiment (construction de 200 000 logements par an) et du transport terrestre (réalisation ou réfection de 4 000 km de routes et d’autoroutes). La coûteuse politique agricole mise en oeuvre depuis quelques années sera par ailleurs poursuivie. Ne s’est-elle pas traduite par une croissance à deux chiffres et, pour la première fois depuis l’indépendance, par le développement des exportations ?
La mise en oeuvre du programme devrait commencer dès le mois de janvier 2005. Un effort particulier sera entrepris en faveur des wilayas du Sud, jusqu’ici un peu négligées par rapport au reste du pays, en dépit de la constitution d’un fonds spécial, en 2002.
Lors du Conseil de gouvernement du 8 septembre, une nouvelle politique de la ville a par ailleurs été définie. Elle concerne notamment la réalisation d’unités régionales d’incinération des ordures ménagères et de stations d’épuration des eaux usées. Il est question d’interdire tout déversement de ces dernières dans la mer. L’amélioration de l’alimentation en eau potable nécessitera, d’ici à 2008, la construction d’une dizaine de barrages dans le Nord et leur connexion au réseau existant.
« Il n’y a pas si longtemps, l’Espagne et le Portugal étaient loin derrière leurs voisins européens. Ils ont réussi l’exploit de rattraper l’essentiel de leur retard. Pourquoi pas nous ? » interroge l’un des concepteurs du programme. Certains détracteurs de Bouteflika l’accusent de renouer avec le dirigisme économique, par le biais d’une planification rigoureuse. Ils s’indignent que 7 milliards de dollars puissent être consacrés à la remise à niveau de l’outil industriel public. « Je ne vois en quoi la modernisation des entreprises d’État constitue une remise en cause de l’ouverture économique. Elle ne s’oppose en aucune façon à l’épanouissement d’un secteur privé fort et ambitieux », s’emporte Bouchouareb.
En fait, le rêve de Boutef n’est nullement d’injecter des masses de capitaux dans une économie moribonde afin de créer ou de maintenir des emplois largement artificiels, mais bel et bien de lutter contre la mentalité d’assisté qui prévaut encore chez de nombreux Algériens. Une sorte de révolution culturelle…

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