Dossier agriculture : la révolution sera bien élevée

Plus de viande, plus de produits laitiers : avec l’amélioration du niveau de vie, la demande d’aliments d’origine animale devrait tripler sur le continent d’ici à 2050. Une occasion unique de structurer et de moderniser le secteur.

Troupeau de Ndama, une race bovine d’Afrique occidentale et centrale. © Wikipedia

Troupeau de Ndama, une race bovine d’Afrique occidentale et centrale. © Wikipedia

Publié le 19 avril 2014 Lecture : 6 minutes.

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Agriculture : révolution de palais

Sommaire

L’Afrique est à l’aube d’une révolution en matière d’élevage. Jusqu’à présent simple spectatrice, elle n’échappera pas à la tendance déjà observée en Amérique latine et en Asie : la croissance du revenu par habitant, le dynamisme démographique et l’urbanisation vont entraîner une hausse considérable de la consommation de produits alimentaires d’origine animale.

Aspirations

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Selon les projections de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), en 2050, les marchés de la viande et du lait sur le continent auront plus que doublé pour atteindre respectivement 34,8 et 82,6 millions de tonnes.

« De plus en plus d’Africains s’apprêtent à rejoindre la classe moyenne. Leurs aspirations diététiques évoluent, et les familles cherchent à introduire davantage de protéines animales dans leur régime quotidien », analyse Colin Watson, expert des questions agricoles chez l’investisseur sud-africain Phatisa, qui gère notamment le fonds spécialisé African Agriculture Fund (AAF). Toujours selon la FAO, le marché des aliments d’origine animale sur le continent, estimé à 51 milliards de dollars (environ 35 milliards d’euros) en 2005-2007, devrait presque tripler d’ici à 2050.

« À force de recourir massivement aux importations de nourriture, l’Afrique risque de manquer une importante occasion de développement. »

L’institution est formelle : les producteurs locaux éprouveront toujours plus de difficultés à suivre le rythme. Ainsi, sur la même période, les importations de viande devraient plus que quintupler, passant de 0,9 à près de 5 millions de tonnes, quand celles de lait devraient quasiment doubler, jusqu’à 10,2 millions de tonnes.

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Produire localement

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À force de recourir massivement aux importations, l’Afrique risque de manquer une importante occasion de développement. « Produire localement la nourriture en ayant recours aux meilleures pratiques internationales, avec de grandes exploitations et des méthodes intensives : voilà la marche à suivre », défend plutôt Colin Watson. Dans ce domaine, presque tout reste à faire.

Le Maroc a pris de l’avance dans la production de lait, la source de protéines animales la plus abordable. Centrale laitière, filiale du français Danone, réalise ainsi un chiffre d’affaires de 600 millions d’euros et compte 120 000 éleveurs partenaires.

La filière locale de la viande rouge demeure quant à elle peu développée. La faute, selon Hammou Ouhelli, président de la Fédération interprofessionnelle des viandes rouges (Fiviar), à des abattoirs vétustes, « toujours sous la coupe des collectivités locales ».

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Mais cela pourrait changer, veut-il croire : « L’État a l’intention de libéraliser la filière, ce qui permettra la mise en place d’abattoirs modernes. » Omar Iraqi, directeur des achats chez Koutoubia, l’un des principaux acteurs de l’élevage dans le royaume, est plus pessimiste : « La filière bovine a peu de chances de se développer en raison du prix élevé des aliments [pour le bétail] et du manque d’eau. » Pour lui, « la chance du Maroc, c’est la viande blanche ».

L’Algérie accuse encore plus de retard que son voisin. Ziane Fayçal, consultant indépendant spécialiste de l’agroalimentaire, est catégorique : « Il n’existe pratiquement pas de filière de transformation de la viande, si bien que le boeuf est presque exclusivement importé du Brésil et de l’Inde. »

Têtes

Au sud du Sahara, où la marge de progression est encore plus importante, certains acteurs montrent la voie. Ainsi, le zambien Zambeef, fort de 40 millions de dollars investis par la Société financière internationale (IFC, filiale de la Banque mondiale) depuis 2010, a misé avec succès sur une intégration verticale, de la production d’aliments pour son bétail à partir de ses propres cultures jusqu’à la distribution. En plus d’approvisionner le marché national en engraissant chaque année 24 000 bovins, le groupe exporte dans la région et possède même une filiale au Nigeria. En 2013, son chiffre d’affaires a atteint 300 millions de dollars, pour une marge brute de 100 millions.

En Afrique francophone, plusieurs entreprises sont également sur les rangs, bien qu’à des stades peu avancés. Siat Gabon, filiale locale du belge Siat, a mis sur pied un ranch de 100 000 hectares et vise un cheptel de 20 000 têtes à l’horizon 2017. En RD Congo, les familles belges Damseaux et Forrest possèdent respectivement 55 000 et 35 000 têtes de bétail à travers leurs sociétés Orgaman et Grelka. En Côte d’Ivoire, Exat, jusqu’alors spécialisé dans la culture de l’hévéa, tente lui aussi de se lancer dans l’élevage tandis que deux unités de transformation de lait frais, Ivolait et Normandia, affichent une capacité de traitement de 1 100 litres par jour.

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Carcasses

Alors que la révolution qui s’amorce ne devrait pas épargner les éleveurs traditionnels, que ce soit en Afrique du Nord, au Sahel ou dans les plaines d’Afrique centrale, une question interpelle les observateurs : comment réussir à concilier les deux types d’élevage en jeu, la forme traditionnelle, dite extensive, qui emploie beaucoup de main-d’oeuvre, et la forme intensive, plus à même de soutenir la concurrence internationale ?

Le Maroc tente, non sans mal, d’avancer sur la voie intensive tout en préservant les 1,5 million de personnes qui vivent de l’élevage. Le pays a notamment mis en place des barrières tarifaires très élevées (200%) sur l’importation de carcasses.

Dans l’économie des pays du Sahel, l’élevage traditionnel joue un rôle central, avec une contribution au PIB agricole estimée à 40% environ. Le secteur est déjà en danger à cause des conditions climatiques de plus en plus rigoureuses et de la pression démographique.

Selon une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il devient urgent de rationaliser la production… faute de quoi toute une classe d’éleveurs nomades sera sacrifiée. L’Afrique centrale est, elle aussi, soumise à de fortes pressions. « Il se vend de plus en plus de zébus brésiliens au Congo. Produire de la viande au Brésil coûte deux fois moins cher. Personne ne peut lutter contre cela », estime Philippe Lecomte, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).

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Financement

Pour Cheikh Ly, de l’Institut international de recherche sur l’élevage, et Simplice Nouala, du Bureau interafricain des ressources animales, les politiques doivent désormais favoriser un modèle à deux vitesses : « Encourager l’élevage intensif permettrait d’augmenter la production animale et la productivité des agriculteurs, ce qui devrait générer des retombées en termes d’emploi et de consommation. Et soutenir l’élevage extensif aiderait les plus pauvres à tirer pleinement parti de leur bétail. »

Pour cela, une seule solution : trouver des mécanismes de financement et structurer les filières, de l’élevage à la distribution en passant par la transformation (abattage) et l’instauration d’une chaîne du froid.

Pour répondre à la fois aux intérêts des éleveurs traditionnels et aux exigences de sécurité alimentaire, les décideurs africains pourraient s’inspirer de l’exemple de la Laiterie du Berger. Soutenue par Danone Communities (incubateur et fonds d’investissement social du géant mondial des produits laitiers), cette société a été fondée par le Franco-Sénégalais Bagoré Bathily en 2005. À l’origine, un constat : 90 % du lait consommé au Sénégal est importé sous forme de poudre, alors que 30 % de la population vit de l’élevage. Aujourd’hui, la société collecte près de 2 500 litres de lait chaque jour auprès de 800 éleveurs : un commerce qui bénéficie à plus de 10 000 personnes, selon l’entrepreneur.

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