Retour sur une tempête

Deux lecteurs réagissent de façon pour le moins passionnée aux articles que nous avons récemment consacrés à la crise togolaise.

Publié le 14 juin 2005 Lecture : 7 minutes.

En vérité, Monsieur Soudan…
J’ai lu l’article de François Soudan intitulé « Togo, paysage après la tempête » (« En vérité », n° 2314 du 15 au 21 mai 2005). S’il s’agit d’une vérité à notre modeste niveau d’humains, je suppose que d’autres humains semblables à monsieur Soudan, même s’ils ne sont pas journalistes comme lui, pourraient y contribuer. C’est en ce sens seulement que j’écris, en étant moi-même disposé à être contredit par lui et par d’autres.
La question que je me pose et aimerais poser, aussi bien à monsieur Soudan qu’au lecteur, est de savoir si la tempête est réellement passée. Si oui, pour qui ? On pourrait aussi ajouter à cette question : pour combien de temps ? Ces questions me paraissent primordiales si on veut aider les Togolais à sortir de la crise. Il est évident qu’elle n’est pas passée pour les parents et proches des centaines de morts (l’opposition les estime à plus de 800, d’autres placent ce chiffre au-delà du millier), pour les blessés (4 500 selon l’opposition et les organisations de défense des droits de l’homme), pour la trentaine de milliers de réfugiés togolais dans les pays voisins.
La tempête n’est pas non plus apaisée pour l’opposition et les millions de Togolais qu’elle représente. Je ne pose pas la question de savoir si la tempête est apaisée pour la sous-région, pour l’Afrique, pour les chefs d’État qui peuvent se frotter les mains en se disant qu’ils ont bien réglé la crise togolaise et dormir tranquille. L’avenir, proche ou lointain, nous dira s’ils ont raison. La tempête serait passée pour M. Gnassingbé s’il était revenu d’Abuja avec en poche un accord de l’opposition pour une participation à son gouvernement d’union nationale. Là, il aurait réussi son tour de main. Mais, alors, la question resterait posée de savoir comment la population togolaise dans son ensemble accueillerait la chose, car il ne faut pas oublier qu’une partie non négligeable de la jeunesse réclame des armes pour en découdre avec le pouvoir militaire qui ne dit pas son nom.
Si, à mon avis, il est trop facile de dire, comme l’écrit M. Soudan, que « M. Gnassingbé a les mains libres au sein de son camp », il serait tout aussi facile de déclarer que toute l’opposition togolaise avalerait n’importe quel plat que les Agboyibo, les Gnininvi, les Gilchrist Olympio voudraient bien lui servir. La question est complexe et il me semble bien que le peuple, tant qu’il n’aura pas été consulté et ne se sera pas encore prononcé à ce sujet, ne se reconnaîtra pas dans les leaders, qui qu’ils soient. Il les rejetterait dès qu’ils cesseraient de représenter ses aspirations. On l’a vu avec Edem Kodjo et plus tard avec Zarifou Ayeva, quand ils se sont rapprochés du régime Eyadéma : pour certains, c’était simplement la trahison.
« Que peut faire, que doit faire Faure ? » L’intertitre est, bien entendu, de M. Soudan. Ce qui me frappe, c’est que le journaliste, à l’instar de la « Commission électorale nationale indépendante », que je me refuse à qualifier, et de la Cour constitutionnelle togolaise, dont la dépendance à l’égard du clan Gnassingbé n’est plus à démontrer, le déclare « élu avec 60,15 % des voix, contre 38,25 % pour le candidat de l’opposition ». Je croyais que la nuance était une vertu des journalistes, de tous les journalistes, car, d’autres, bien sûr, ont fait usage de cette nuance en précisant qu’il s’agissait d’élections très contestées, pour ne pas dire frauduleuses. M. Soudan écrit plus loin dans son article qu’il « n’est pas question, qu’il n’a jamais été question [déclaration péremptoire à mon avis] de revenir sur le pouvoir sorti des urnes le 24 avril 2005 ». D’accord, ceux qui gagnent ont toujours raison, quels que soient les moyens employés pour gagner. Mais, ne devrait-on pas au moins faire semblant d’écouter un peu ceux qui perdent ?
Nicolas Sarkozy a qualifié de parodie l’élection togolaise du 24 avril dont M. Gnassingbé serait sorti vainqueur. Il s’agit d’une « petite phrase » selon M. Soudan, qui estime qu’il faut la placer dans son contexte franco-français. Soit. Nous reconnaissons que toutes les occasions sont bonnes pour le chef de l’UMP de critiquer l’action de Chirac dans le cadre d’une lutte interne pour le leadership au sein de la droite française. Mais cette petite phrase de Sarkozy, combien de Français, à commencer par Chirac, l’ont dans la tête ? Combien la pensent tout bas et combien la prononcent en privé ou en public ? Il ne faut pas oublier que Nicolas Sarkozy est quand même le président du parti encore majoritaire en France. Il ne faut pas oublier non plus que des socialistes, des Verts, des communistes français ont déclaré que cette élection était simplement scandaleuse.
En fait, la phrase de Sarkozy cesse d’être petite quand on pense à toute l’opinion mondiale qui a été témoin, par médias interposés, des scènes tragi-comiques observées lors de ces élections. Elle n’est pas petite non plus par rapport à la résolution du Parlement européen, déclarant ne pas reconnaître M. Gnassingbé comme nouveau président de la République togolaise.
L’exercice de M. Soudan ne me paraît pas aisé : après avoir tenté de banaliser la phrase de Sarkozy, il fallait balayer d’un revers de la main cette résolution. Les excuses du délégué de l’Union européenne à Lomé présentées à M. Gnassingbé seraient-elles la preuve que cette résolution était annulée ? Là, encore, une question à M. Soudan : dans un système démocratique, un ambassadeur jouit-il du pouvoir de casser un acte du Parlement ?
Je terminerai par le dialogue, conçu comme la solution suprême par M. Soudan, tout comme par les différents partenaires du Togo qui souhaitent une normalisation de la situation créée. Je ne dirai pas que le dialogue est une chose difficile à réaliser entre Togolais, mais qu’il s’agit simplement d’une pratique qui a un sens spécial au Togo : si un dialogue ne permet pas au pouvoir en place de maintenir toutes ses prérogatives, il ne l’acceptera que du bout des lèvres, prêt à faire ce qui lui conviendrait par la suite. On nous permettra donc, malgré le remplacement d’Eyadéma par son fils, d’être sceptique quand on parle de dialogue. Techniquement, les positions des deux forces en présence sont inconciliables. Gouvernement d’union nationale et gouvernement de transition partent de deux principes bien différents : l’un suppose un pouvoir légitime qui daigne amener ceux qui ont des points de vue contraires aux siens à collaborer avec lui. L’autre indique clairement qu’il y a absence de pouvoir légitime et qu’il appartient à un organe de transition d’y pourvoir dans un délai limité, par des élections organisées dans des conditions acceptables pour tous.
Nous souhaitons simplement au jeune Gnassingbé d’opter pour la meilleure solution, celle qui résoudra le drame togolais en profondeur et de manière durable. La balle est dans son camp.

Vous tuez l’espoir d’un peuple
Comment, avec les données d’une élection reconnue « contestable », peut-on prétendre à une analyse aux conclusions dignes de foi ? Telle est la gageure de Jeune Afrique/l’intelligent et de François Soudan depuis l’élection présidentielle du 24 avril dernier au Togo.
Dans le n° 2312 daté du 1er au 7 mai, vous nous faites croire que la victoire de Faure Gnassingbé est le résultat d’une meilleure stratégie. Celle du RPT (Rassemblement du peuple togolais) aurait été beaucoup plus élaborée que celle de la « Coalition de l’opposition » dont le péché originel serait en outre d’avoir comme leader un certain… Gilchrist Olympio, incarnation du « mal ».
Vous récidivez dans le n° 2313 avec une carte du Togo montrant une répartition des voix « […] en fonction de critères, de réflexes, de positionnements ethniques et politiques dont les origines remontent à la période coloniale ».
Mais quel crédit accorder à cette analyse qui s’appuie sur des résultats tronqués ? Comment donner à ce qui est reconnu complètement faux dès le départ une base et des explications qui se veulent rationnelles ? Tout le monde le sait : là où les fraudes « classiques » ne suffisent pas, l’armée togolaise a toujours été utilisée pour terroriser, interrompre les dépouillements, confisquer des urnes et brûler des bulletins de vote, dans les fiefs de l’opposition. Ce fut le cas en 1998 !
Face aux magouilles éhontées du pouvoir, votre objectif est manifeste : faire accréditer l’idée d’élections « propres », honnêtement remportées par celui que vous soutenez. Mais plus vous vous évertuez à le démontrer, plus la vérité fuse de toutes parts. Vos arguments sont fallacieux. Et vous essayez de faire diversion, en évoquant une « fracture » dont les origines remontent selon vous à la période coloniale. Là où vous parlez d’une division Nord/Sud, il faudrait voir plutôt une bipolarisation ayant comme noyau les Kabyès sur lesquels Eyadéma a bâti l’essentiel de sa stratégie politique. Les « deux Togo » que vous évoquez se répartissent ainsi entre les privilégiés du pouvoir en place et tous ceux, beaucoup plus nombreux, qui aspirent au changement.
L’habillage prétendument rationnel auquel vous vous livrez ne risque pas d’aider à réduire la « fracture » et à réconcilier vos « deux Togo ». Ce faisant, vous tuez l’espoir d’un peuple ! Vous tuez l’espoir de tout un continent !

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Réponse : De ces deux lettres, fort longues l’une et l’autre, nous avons extrait l’essentiel sans en ôter – on le voit – leur substance critique et même leurs procès d’intention. Le dossier Togo étant éminemment passionnel, il est semble-t-il impossible de laisser la parole à nos lecteurs, ce qui est la fonction même de « Vous & nous », sans éviter totalement les excès, les outrances et les attaques personnelles. Je m’abstiendrai donc d’en faire le commentaire. L’Histoire, comme on dit, finira bien par trancher.

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