Qui a tué Daïf el-Ghazal ?

Après l’enlèvement et l’assassinat d’un journaliste dissident, tous les soupçons convergent vers les extrémistes des Comités révolutionnaires.

Publié le 14 juin 2005 Lecture : 4 minutes.

Le journaliste Daïf el-Ghazal rentre chez lui à Benghazi dans la nuit du 21 au 22 mai lorsqu’il est enlevé aux environs de minuit par deux individus armés. Un confrère qui l’accompagne rapportera que ces derniers se sont présentés comme des membres des services de sécurité intérieure, connus pour opérer des arrestations nocturnes sans mandat d’amener.
Le 30 mai, le cadavre du journaliste est découvert sur la plage de Ganfouda à l’ouest de Benghazi, où la mer l’a rejeté. Malgré l’état de décomposition assez avancé du corps, le médecin légiste a pu déterminer qu’il porte de multiples traces de torture et que Ghazal a été achevé par un tir de revolver à bout portant derrière l’oreille droite. Comme pour signer leur forfait, les assassins se sont acharnés sur les doigts qu’ils ont coupés, non sans avoir placé un sparadrap sur la bouche du malheureux et ligoté ses pieds. Les parents de la victime n’ont pu reconnaître le défunt que grâce aux vêtements et à la montre qu’il portait.
Après un silence de près de deux semaines depuis l’enlèvement dont elles avaient pourtant été informées par la famille et la presse étrangère, les autorités libyennes démentent une quelconque responsabilité dans la disparition de Ghazal et son exécution. Elles ont annoncé l’ouverture d’une enquête dont la crédibilité est mise en doute, d’autant que le ministre de la Justice et de l’Intérieur, Ali Hasnawi, a cru bon de souligner que le journaliste avait des origines égyptiennes, alors même qu’il appartient à deux grandes tribus de l’est de la Libye : celle, paternelle, des Chehibat, et celle, maternelle, des Houaras.
Libya Watch, une organisation de défense des droits de l’homme basée à Londres, estime qu’il a pu être liquidé par des « extrémistes des Comités révolutionnaires », dont le but est de faire taire ceux qui, comme lui, se battent contre la corruption et réclament des réformes. Ghazal était bien placé pour connaître les faits de l’intérieur et pour se constituer des dossiers sur plusieurs personnalités qu’il accusait de malversations, note Libya Watch. Diplômé de lettres et d’histoire, le journaliste, qui avait eu 31 ans deux semaines avant son enlèvement, a fait partie pendant dix ans de ces Comités qui noyautent l’armée, les services de sécurité, les médias, l’administration, et agissent comme un pouvoir parallèle à l’ombre de Mouammar Kadhafi.
Ghazal s’est fait remarquer dans les colonnes de leur quotidien Ezzahf al-Akhdar (« la Marche verte ») par ses enquêtes sur la corruption qui sévit dans les cercles du pouvoir. Rappelé à l’ordre à plusieurs reprises, il a fini par claquer la porte des Comités révolutionnaires en 2004, avant de joindre, à partir de janvier 2005, sa voix à celles des dissidents libyens qui s’expriment à partir de l’étranger. La libre association et l’expression d’opinions divergentes étant assimilées à des « trahisons », Ghazal est d’abord empêché en début d’année d’accéder au poste de doyen des journalistes et écrivains de Benghazi. Puis il est interrogé par le bureau de liaison des Comités révolutionnaires pour avoir écrit le 27 février 2005 sur libya-alyoum.com, un journal en ligne édité à Londres, qu’il « n’y a pas de volonté, de la part de l’État libyen, de changer les choses ».
Ghazal répond à son interrogateur en publiant le 22 avril un pamphlet de sept pages qu’il intitule « Qui de nous est le traître et le lâche ? » D’une manière qui paraît après coup prémonitoire, il énumère les techniques de torture utilisées en libye contre tous ceux qui osent franchir les « lignes rouges ». À plusieurs reprises au cours des derniers mois, il a laissé entendre qu’il avait reçu des menaces, signant ses articles publiés à l’étranger par un « Au prochain si je suis sauf ».
Peu de Libyens pensent que l’enquête des services officiels aboutira à la découverte des coupables. Les parents de Daïf el-Ghazal ont demandé, comme l’association Reporters sans frontières, que la Fondation Kadhafi pour les organisations caritatives dirigée par Seif el-Islam entreprenne une enquête indépendante. Le fils du « Guide » a en effet pris la tête des réformateurs au sein du régime. Au cours des derniers mois, il a réclamé une libéralisation du secteur de l’information, les journaux et les médias audiovisuels étant aujourd’hui encore totalement contrôlés par les durs des Comités révolutionnaires. La section des droits de l’homme de la Fondation est par ailleurs devenue une adresse où les citoyens peuvent exposer leurs récriminations.
Des opposants en exil réclament pour leur part une enquête internationale, du type de celle qui a été diligentée après l’assassinat, le 2 juin à Beyrouth, du journaliste libanais Samir Kassir. Ils craignent que la vieille garde autour de Kadhafi ne se lance à nouveau dans la suppression physique des dissidents à l’étranger, comme elle l’a fait à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Ils ont conseillé à leurs compatriotes opposants de se faire connaître aux autorités du pays où ils résident pour s’assurer une protection.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires