Question d’image

S’autoproclamant « citoyennes », les voilà parties à la conquête des médias. Résultat ? Des réalisations probantes, quelques investissements et un peu de poudre aux yeux…

Publié le 14 juin 2005 Lecture : 11 minutes.

Le développement durable s’est taillé une place de choix dans le discours des grandes entreprises. Pure stratégie d’image de marque ? Garantir à l’entreprise une bonne performance sur le marché de la réputation reste bien souvent le premier objectif de ces programmes dits de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE, Corporate Social Responsibility en anglais). Leurs critiques parlent plutôt de green-washing, dénonçant
certains groupes désireux de faire oublier leur contribution à la dégradation de l’environnement à l’aide d’une généreuse dose de communication. Des organisations non gouvernementales (ONG) ont cependant fait le choix de suivre les multinationales sur ce terrain et prêtent leurs services aux entreprises soucieuses d’être prises au sérieux. En dépit des cris d’alarme des scientifiques et des inquiétudes de la société civile tous reprochent à ces actions de ne traduire qu’une vision à court terme , un nombre croissant de multinationales tentent de préparer le monde pour les générations futures, si possible en améliorant leurs marges et leurs profits. Comme le montre ce tour d’horizon, les stratégies qu’elles ont adoptées sont fort diverses.

Lafarge Initiative contre le sida

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Absentéisme, baisse de productivité… le cimentier Lafarge a estimé à 2 millions d’euros les coûts engendrés par l’épidémie de sida s’il ne réagissait pas. Son programme sud-africain, qui va du dépistage anonyme jusqu’au traitement des salariés atteints, lui en coûte un seul. En 2003, le groupe a signé un accord-cadre de cinq ans avec l’ONG internationale Care, qui encourage les dirigeants à gérer les objectifs de développement durable comme des objectifs financiers, en posant des buts clairs, suivis à l’aide d’indicateurs. Lifeworks, une entreprise sud-africaine, assure le suivi médical des employés de Lafarge et celui de milliers d’autres salariés dans le pays. Des dizaines de personnes suivent un traitement médical approprié, à base d’antirétroviraux, et l’entreprise évoque un meilleur climat social sur ses sites de production sud-africains. Pour François Jung, responsable des relations avec les entreprises pour Care France, Lafarge a les moyens, dans certains villages reculés, de devenir le ministère de la Santé, de l’Éducation et de l’Eau… Sans aller aussi loin, la société a mis au point un programme qui s’adressera aux conducteurs des camions qui desservent ses usines, et dont le mode de vie représente un formidable vecteur de diffusion pour le VIH.

Veolia Dépolluer la baie de Tanger

Depuis 2001, au Maroc, 4 millions de personnes ont été raccordées au système d’alimentation en eau potable, soit près de 15 % de la population. C’est encore insuffisant et l’Office national de l’eau potable (Onep) prévoit d’investir plus de 2 milliards d’euros dans les prochaines années en projets d’adduction et d’assainissement. Une évolution que le français Suez, qui gère notamment la distribution d’eau et d’électricité à Casablanca, et Veolia Environnement, en charge des mêmes services à Safi, Oujda et Rabat Hassan, au travers de sa filiale Redal, et à Tanger et Tétouan, via Amendis, entendent bien surveiller. Également présent dans la collecte de déchets solides à Fès, à travers sa filiale Onyx, et à Rabat et Agadir via CGEA, Veolia Environnement affiche en outre clairement le but de se positionner comme le roi de l’environnement au Maroc. En juillet 2003, sa filiale Amendis a réussi à lever 940 millions de dirhams (près de 90 millions d’euros) auprès des principales banques du pays pour développer son activité dans la région, signant l’un des plus grands contrats de financement au Maroc. Au programme également : l’assainissement de la baie de Tanger, qui fut longtemps l’une des plus belles du monde… mais qui est devenue l’une des plus polluées. Jusqu’en 2002, quatre oueds ramassaient sur leur passage la totalité des eaux usées des quartiers périphériques et de la zone industrielle pour les déverser dans la mer. En installant 150 kilomètres de canalisations et des stations de pompage et de relevage, la société est parvenue à limiter l’évacuation en mer à deux points de rejet. Bientôt, un grand canal souterrain, long de 1,5 km, déviera les eaux vers la nouvelle station d’épuration près du port, qui devrait être opérationnelle fin 2006. Ancienne destination phare du tourisme au Maroc, Tanger veut se recentrer sur sa vocation, d’autant que la construction du nouveau complexe portuaire à l’extérieur de la ville lui permettra de retrouver le calme en détournant de sa route les longues files de camions de marchandises. Sur les prochaines années, Amendis et Redal doivent construire dans le pays sept stations de traitement des eaux usées ainsi que cinq canalisations pour évacuer les eaux traitées loin des côtes. Le montant global des investissements prévus s’élève à 684 millions d’euros pour Amendis et 1,25 milliard d’euros pour Redal d’ici à la fin de la concession, en 2028. Contrepartie classique de la gestion déléguée de services publics à un groupe privé, la hausse des tarifs de l’eau et de l’électricité est parfois difficile à faire accepter par la population.

EDF Du courant dans les zones reculées

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Avec son programme d’accession à l’électricité et aux services (Access), le français EDF s’est lancé dans le développement rural. Dans la région cotonnière du Koutyala, au Mali, il a créé une société de services, Yeelen Kura, qui fournit des kits de production d’énergie solaire et les entretient pour une somme modique. Le modèle économique du programme repose sur un investissement initial de l’ordre de 400 à 600 euros par famille (couvert en majorité par la Banque mondiale). Les clients – près de 7 000 familles sont visées – paient ensuite un abonnement équivalent à leurs dépenses antérieures en bougies, kérosène et autres sources d’énergie. Avec ses multiples partenaires, notamment la Fondation Nicolas Hulot et l’entreprise Total, Access encourage également la création de petites entreprises, auxquelles elle apporte des solutions énergétiques adaptées. Yeelen Kura emploie une quarantaine de techniciens et d’administrateurs recrutés localement et formés par EDF. Au bout de quinze ans, la société devrait générer un profit annuel de 9 %. « C’est beaucoup moins que ce que visent habituellement les investisseurs privés au Mali », souligne Vincent Denby-Wilkes, directeur du programme. Le modèle connaît aujourd’hui un succès retentissant auprès de la Banque mondiale et de plusieurs agences occidentales de développement. Il a pourtant peiné à s’imposer : « En 2001, les institutions internationales étaient extrêmement réticentes à subventionner des infrastructures, se souvient Vincent Denby-Wilkes. Un an après Johannesburg, en 2003, les choses ont complètement changé.

Shell Embourbé dans le Delta

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Pauvreté et instabilité politique forment un cocktail explosif qui menace la rentabilité des opérations des entreprises pétrolières au Nigeria. En 1997, pour faire face à de nombreuses campagnes d’ONG dénonçant ses pratiques polluantes et ses rapports étroits avec la police nigériane, le géant néerlando-britannique Shell s’engage dans une « Stratégie de développement durable des communautés » dans le Delta du Niger. Le groupe promet notamment de mettre un terme aux torchères, où brûle, en pure perte, le gaz accumulé dans les conduites de pétrole, et interdit la distribution d’argent liquide aux populations. Cette pratique, couramment utilisée pour pacifier les jeunes chômeurs agités, aurait largement contribué à l’évolution marquée du gangstérisme. Aujourd’hui, les performances environnementales et sociales de l’entreprise continuent de susciter les critiques d’ONG comme Human Rights Watch, Christian Aid ou International Alert. Cette dernière, qui a pourtant travaillé aux côtés de l’entreprise, souligne que « l’approche de Shell en ce qui concerne l’investissement social et le dialogue avec les parties prenantes au Nigeria continuent à créer des problèmes et même à engendrer des conflits ». Christian Aid, dont les enquêteurs ont constaté des fuites mal nettoyées, des canalisations d’eau potable abandonnées ainsi que des centres médicaux fantômes, accuse l’entreprise de green-washing : « Plusieurs de ces projets de « développement communautaire » dans le Delta du Niger servent de compensation pour gagner l’accès à la terre et non à aider les communautés. Ils sont trop souvent administrés par des employés dont la priorité est que le pétrole continue de couler.

Alcatel Les pédiatres consultent en ligne

En 2001, le constructeur français de télécommunications Alcatel s’est associé à l’ONG Afrique Initiatives pour une opération pilote, Pésinet, dans la région de Saint-Louis au Sénégal. Dans cette zone rurale qui souffre du manque de pédiatres, le projet consiste à relier les enfants à un médecin par messagerie électronique. Le poids des enfants de 0 à 5 ans est mesuré à domicile deux fois par semaine par des assistantes de santé. Ces informations sont ensuite transmises à la base de données d’un hôpital, via une connexion Internet. Ce service est accessible aux familles par un abonnement à bas prix, et concerne actuellement 1 800 enfants. Depuis son cabinet, le pédiatre peut ainsi suivre l’évolution des courbes de poids de chaque bébé. Si quelque chose apparaît suspect, il organise un rendez-vous à l’hôpital avec la mère et l’enfant. Des mesures préventives peuvent ainsi être prises en cas de risque de malnutrition, de malaria ou d’autres maladies infantiles, à des âges critiques pour le développement de l’enfant. Pour Thierry Albrand, vice-président du programme Fracture numérique pour Alcatel, ce projet « illustre l’intérêt de l’utilisation des TIC au profit des services de santé d’une manière économiquement durable, afin d’aider à réduire le taux de mortalité infantile ». À terme, d’autres pays d’Afrique devraient bénéficier du même programme, comme Madagascar, le Mali, le Niger et le Maroc. Le 25 février dernier, Alcatel a d’ailleurs annoncé qu’il participerait à l’augmentation de capital d’Afrique Initiatives, avec l’objectif de démarrer rapidement de nouveaux projets. Il est vrai que ce partenariat est une excellente manière de renforcer son image de marque à moindres frais, sur un continent où près de 2 000 personnes travaillent en permanence pour le groupe, en direct ou en sous-traitance.

Total Pistes pour l’après-pétrole

Deux accidents majeurs ont noirci récemment l’image du groupe pétrochimique français Total. En décembre 1999, le pétrolier Erika coule au large de côtes françaises. Plus de 10 000 tonnes de fioul s’en échappent, qui polluent 400 km de plages après plusieurs jours de dérive. Montant de la facture : 400 millions d’euros, payés pour moitié par Total. Deux ans plus tard, en septembre 2001, intervient l’explosion d’une usine chimique du groupe, AZF, à Toulouse. Le bilan est très lourd : 30 morts et quelque 2 200 blessés. Le site industriel est totalement détruit et les alentours sont soufflés à plusieurs centaines de mètres à la ronde, au point que 2 500 personnes n’ont plus de logement et que 3 500 foyers sont privés d’électricité. Enregistrée par des spécialistes de la surveillance sismique, la secousse s’est étendue sur une distance de 500 km…
Après ces deux catastrophes, la question du développement durable est devenue éminemment stratégique chez le pétrochimiste français. Créée en janvier 2002, une nouvelle direction est chargée de coordonner les actions du groupe en faveur de la protection de l’environnement et d’en susciter de nouvelles. De fait, Total a entrepris de nombreux programmes dans le domaine de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Certains visent à la généralisation de technologies plus propres dans l’utilisation du pétrole et du gaz. D’autres incitent à développer l’usage de la cogénération, qui associe deux modes de production d’énergie. Enfin, le groupe multiplie les investissements dans les énergies renouvelables, comme l’eau, le soleil ou le vent. Total se place en effet dans l’optique d’une raréfaction progressive de la production pétrolière dans les prochaines décennies, un événement attendu au plus tard en 2050, mais qui pourrait se produire dès 2010. Pionnier depuis plus de dix ans dans les biocarburants, la société se flatte aujourd’hui d’être le premier distributeur mondial de gazole contenant de l’ester de colza. Plusieurs projets d’unités de production de biocarburants sont à l’étude en Afrique et en Amérique du Sud. Autre sujet d’avenir, les panneaux photovoltaïques pour transformer l’énergie solaire en électricité. Le groupe Total s’est engagé sur cette voie dès 1983, avec la création de Total Énergie, dont il est aujourd’hui actionnaire à parts égales avec EDF. Total participe notamment en Afrique à deux grands programmes d’électrification rurale décentralisée, l’un en Afrique du Sud et l’autre au Maroc. En Afrique du Sud, KES, filiale conjointe de Total et d’EDF, a entrepris d’équiper 15 000 foyers de la province du Kwazulu-Natal d’ici à la fin 2006. Plus de 4 000 sites sont déjà équipés. Au Maroc, Temasol, filiale conjointe de Total Énergie, de Total Maroc et d’EDF, a remporté, à la fin 2004, un nouvel appel d’offres portant sur l’équipement de 37 000 foyers. Il fait suite à celui remporté en 2002 et qui prévoyait l’équipement de 16 000 foyers, dont près des deux tiers l’étaient à la fin 2004. Ces programmes donnent aux populations des villages isolés « un premier accès à l’information et à la communication puisque l’électricité fournie permet d’assurer, outre l’éclairage, le branchement d’une télévision, d’une radio ou d’un chargeur de téléphone mobile ».

Renault À l’école en Afrique du Sud

Lors du Sommet de Johannesburg en 2002, les partenariats entre la société civile et les industriels ont été définis comme un des piliers du développement durable. Un bon exemple en est l’initiative Valued Citizens initiée par le ministère sud-africain de l’Éducation. Elle a pour but de redonner une place centrale à l’école dans l’éducation des enfants de communautés désavantagées. En 2003, le constructeur automobile français Renault est devenu le principal soutien financier de Valued Citizens, auquel il contribuait déjà depuis deux ans. La mise en oeuvre du programme nécessite en effet une présence active sur le terrain, pour assurer des cessions de formation qui concernent non seulement les éducateurs, mais aussi les enfants et leurs parents. Pour les adultes, il s’agit de les inciter à mettre en oeuvre les valeurs démocratiques dans l’éducation qu’ils donnent aux enfants. Pour ces derniers, l’objectif est d’« éveiller leur conscience civique et leur esprit critique, tout en développant leur confiance en soi et l’estime de l’autre ». En pratique, les élèves travaillent ensemble pour identifier un problème de leur communauté sur lequel ils pensent pouvoir influer. Il peut s’agir d’un problème de santé, d’environnement, ou encore de délinquance. Les discussions permettent d’établir progressivement des liens avec des valeurs morales, comme l’ouverture, la démocratie, l’égalité ou l’ubuntu (un concept désignant le fait d’être humain envers autrui). Au fur et à mesure, enseignants et élèves débouchent sur une décision concrète et sur des actions à entreprendre pour résoudre, au moins partiellement, le problème. Commencé dans dix écoles, le programme touche aujourd’hui 45 000 élèves et 500 éducateurs répartis dans 210 écoles primaires et 20 collèges dans la province de Gauteng. Une extension de cette initiative à cent trente écoles primaires de la province de Freestate et à vingt écoles primaires pilotes de la province de KwaZulu, toujours avec le soutien de Renault, est prévue dès cette année.

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